Budget européen : beaucoup de bruit pour presque rien ? edit
Il faut sans doute se réjouir de ce que le Conseil européen ait finalement abouti à un accord sur le budget de l'Union. Depuis quelques semaines, il était clair que la négociation s'inscrivait dans un cadre traditionnel et que toute révision ambitieuse des priorités était exclue. Dès lors, mieux valait conclure, pour ne pas prolonger des batailles acrimonieuses et ne pas retarder la préparation des programmes d'aide aux pays de l'élargissement.
Il aurait dû en aller autrement. Les " perspectives financières " (c'est ainsi qu'on nomme la programmation budgétaire dans le jargon européen) couvrent les années 2007-2013. En conséquence, elles déterminent ce que seront les ressources de l'Union dans huit ans et ce à quoi elles seront employées. A cet horizon, on pouvait espérer une révision substantielle des priorités, ainsi que l'avait proposé le rapport Sapir commandé en 2003 par Romano Prodi. En cohérence avec les objectifs affichés par l'Union, ce rapport proposait, à enveloppe constante, une restructuration complète du budget en faveur des dépenses de croissance (recherche, enseignement supérieur et infrastructures) et de l'appui aux nouveaux Etats membres. Le financement de ces priorités était gagé sur une renationalisation du soutien à l'agriculture.
Les institutions européennes n'ont jamais envisagé de mettre en pratique les recommandations du rapport Sapir. Y faisait d'ailleurs obstacle l'accord de 2003 sur la PAC, qui avait été négocié antérieurement à l'ouverture des discussions sur le budget, et que la France ne voulait pas remettre en cause. Mais dans ses premières propositions budgétaires la Commission en avait retenu l'esprit en proposant d'accroître très substantiellement les dépenses en faveur de la croissance et de la compétitivité. En conséquence, elle préconisait une augmentation substantielle du budget, à 1,27% du revenu communautaire en 2013 contre 1,15 en 2006. Parallèlement, les soutiens directs à l'agriculture devaient revenir de 0,42 à 0,34% du revenu communautaire. Autrement dit, la Commission proposait de financer de nouvelles priorités non par une restructuration, mais par une augmentation du budget.
Cette suggestion s'est immédiatement heurtée au refus des Etats-membres et notamment de ceux qui contribuent le plus au budget communautaire - Allemagne, France, et Royaume-Uni en tête. Avant tout soucieux d'éviter une dérive des dépenses, France et Royaume-Uni ont ainsi paradoxalement commencé par faire front commun alors qu'ils étaient en opposition sur les priorités. Dès lors, la discussion s'est trouvée enfermée dans un cadre sensiblement rétréci. Fallait-il un budget à 1% du revenu, comme le voulaient ces Etats ? A 1,06%, comme l'avait proposé la présidence luxembourgeoise en juillet ? A 1,03%, comme dans les propositions britanniques de l'automne ? Ce sera finalement 1,045% en moyenne sur 2007-2013, donc sensiblement moins qu'en 2006 .
Un instant, après l'échec du Conseil européen de Luxembourg, la présidence britannique a donné l'impression de vouloir rebattre les cartes. En juillet, Tony Blair a prononcé un discours enflammé au Parlement européen en reprenant la problématique du rapport Sapir. Etait-ce une tactique, pour sortir de l'isolement où il se trouvait sur la question du " rabais " britannique, ou l'affichage d'une vraie ambition ? En tous cas les propositions n'ont pas suivi, le réalisme diplomatique l'a emporté, et la question du rabais est revenue au centre des discussions.
En raison de la double contrainte de l'enveloppe et du maintien des dépenses agricoles au niveau préalablement négocié, la restructuration des dépenses ne pouvait en conséquence qu'être limitée. Au total, le budget agricole est en baisse mais se situe à un niveau très proche de celui proposé par la Commission, les aides régionales sont rabotées mais se maintiennent en pourcentage du revenu, et les crédits en faveur de la " compétitivité " où se retrouvaient les nouvelles priorités, augmentent modestement quand la Commission avait proposé de les doubler. En somme : les vaches continueront d'être nourries - fût-ce par des aides découplées - on construira un peu moins d'autoroutes que prévu, et la recherche attendra des jours meilleurs.
A quand ces jours meilleurs ? La présidence britannique a bataillé pour que soit effectué en 2008-2009 un réexamen des priorités, politique agricole comprise, et que soit laissée ouverte la possibilité d'une révision de la programmation 2007-2013. Elle a obtenu un accord sur ce point, il faut espérer que cette possibilité sera saisie.
Par delà ce bilan morose, ce qui frappe est l'extraordinaire dépense d'énergie politique qu'il a fallu déployer pour un pareil résultat. Par deux fois, les chefs d'Etat ont dramatisé les enjeux, multiplié les rencontres, polémiqué publiquement, et finalement négocié jusqu'à une heure avancée de la nuit... pour aboutir à un compromis décevant. Ce contraste entre efforts et résultats rappelle les années 1970, quand l'activité de la Communauté se réduisait aux négociations-marathon sur les prix des produits agricoles. Ce n'est pas la meilleure des références.
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