Du grand emprunt et des déficits edit

8 juillet 2009

Les commentateurs ont raison : il n’y a pas de logique économique au grand emprunt qu’annonce Nicolas Sarkozy pour 2010 sinon – on reconnaît la patte de M. Guaino – mobiliser l’opinion autour de l’effort de relance, aider au choc psychologique et détourner l’opinion de l’idée qu’elle pourrait avoir de finances publiques françaises allant à vau-l’eau. Accessoirement, créer du bruit politique, avec le talent qu’on connaît, les mêmes commentateurs saluant tous l’habilité tactique de l’annonce, comme si le temps politique ne devait consister qu’à aller d’habileté en habileté. Du point de vue des finances publiques, l’emprunt est même un non-sens : cela fait belle lurette que l’Etat a organisé efficacement une distribution de gros de ses emprunts, par des adjudications régulières, à prix serrés, immédiatement placés par les banques auprès des investisseurs français et étrangers, OPCVM et fonds de pension. Pourquoi payer une commission (probablement 15 centimes de marge de distribution, soit 150 millions d’euros en une fois et 20 centimes de surcoût sur le taux d'intérêt, pour faire encore 200 millions d’euros l’an) ? Pourquoi lever exclusivement l’épargne des Français, alors que les étrangers peuvent participer au financement de l’économie française ?

De la même manière, les annonces sur les dépenses publiques peuvent être menées autrement. Le gouvernement dit que l’emprunt va être consacré à des dépenses productives, qui créent de la valeur, et donc à des projets de politique industrielle. Là encore, c’est peut-être un bon moyen de conduire un débat politique sur les investissements « verts » ou technologiques pour la France de demain. Mais à nouveau du point de vue financier, c’est un non-sens. Il y a unité de caisse chez l’Etat, comme de toute entité qui s’endette ou se finance : pourquoi l’argent levé auprès de moi serait-il « productif » si j’achète le fameux emprunt, et moins productif – implicitement – si je paie mes impôts ou si j’achète une part de Sicav qui porte des bons du Trésor ? Politiquement aussi, cela laisse à penser trop facilement que les autres dépenses de l’Etat « ne créent pas de la valeur ».

Par contre, on entend à propos de cet emprunt l’éternel sophisme sur la dette publique : quand l’Etat s’endette, ce serait à nos enfants qu’on passe l’addition. Ils devront se priver pour la rembourser. Au fond, toute dépense publique non financée par l’impôt ne serait qu’un dol commis sur les générations à venir. Il suffit pour répondre de remarquer que si l’Etat s’endette, c’est bien aujourd'hui et non demain que je me prive de consommer pour acheter l’emprunt d’Etat. Et en l’achetant, je transfère des revenus dans le futur, au moment du remboursement, pour moi ou mes enfants.

C’est vrai pareillement qu’il y a de bons et de mauvais déficits, le déficit étant un critère très imparfait pour juger de l’action budgétaire. Le vrai critère, identique pour une entreprise et pour l’Etat, c’est l’efficacité de la dépense, mesurée par un « rendement » supérieur au coût des ressources qui la financent. Construire un système de transport qui désengorge une métropole, est-ce créateur de valeur ? Payer des instituteurs pour enseigner à nos enfants, des infirmières pour soigner la population, investir dans la sécurité publique, est-ce créateur de valeur ? (Pas forcément d’ailleurs !)Si c’est le cas, la dépense publique profite à la génération future, dont il faut dire en passant qu’elle sera probablement bien plus riche que la présente. Dans le cas inverse, la génération future bénéficiera certes du remboursement de l’emprunt, mais devra payer des impôts ou souscrire un autre emprunt pour le rembourser, à partir d’une économie pénalisée entre temps par le mauvais rendement de la dépense d’autrefois.

Ce raisonnement de bon sens n’est cependant pas une porte ouverte à la dépense. Un Etat succombe très aisément à la facilité de la dette et une fois lancé, il est difficile d’empêcher que l’argent aille à des dépenses de complaisance ou pire à des dépenses subies par incapacité à faire les choix politiques qui s’imposent. Faire ici la différence avec l’entreprise privée : la contrainte d’endettement y mord beaucoup moins gentiment. Une entreprise qui s’endette sans perspective de rentabilité aura vite la banque ou l’actionnaire sur le dos, avec menace de faillite et débarquement du management. L’Etat est toujours solvable, parce qu’il est supposé avoir toujours accès à l’impôt (ou pire à l’inflation) pour réparer les dégâts d’un endettement excessif. C’est là qu’est le danger. Par manque des garde-fous que connaît bien le directeur financier – être à la fois solvable et garder l’accès à la liquidité –, l’Etat est souvent le plus mal placé pour engager les dépenses « rentables ».

D’autant que l’Etat ne connaît pas un autre garde-fou qui normalement s’impose à l’entreprise. La valeur qu’il est censé créer est le plus souvent une valeur « sociale », dont les retours sont parfois à long terme ou difficiles à mesurer à l’aune d’une règle de marché : quelle est la rentabilité de la santé, de la sécurité, de l’éducation ? Dans nos démocraties, c’est ce qui donne sa légitimité au politique pour décider la dépense à entreprendre. Mais comme la notion de rentabilité sociale est floue, elle autorise tous les dépassements, sous le charme des belles paroles politiques ou sous l’opacité des procédures budgétaires. Il est de bon ton d’accuser aujourd'hui les marchés financiers et leurs folies. Mais, mais comme le savent bien l’Irlande ou la Lettonie, ils restent souvent, avec leur violence, les ultimes gardiens contre une politique budgétaire ou monétaire inconsidérée.

C'est ce qu’oublie M. Guaino dans son zèle anti-malthusien. Il ne s’agit pas de suivre, dans la profonde crise de la demande que connaissent nos économies, la rigueur prussienne du gouvernement de Mme Merkel. Mais de constater que la classe politique française n’ayant jamais pu s’exonérer de la facilité à la dette, il lui est trop facile aujourd'hui de trouver l’argument keynésien d’une action budgétaire contra-cyclique. Les dépenses d’aujourd'hui doivent être gagées sur des engagements fermes à réduire d’autres dépenses dès aujourd'hui et demain, d’accélérer les bonnes mesures prises par M. Woerth de réduire sur la durée le coût de fonctionnement de la machine publique. A 80% de taux d’endettement public, il n’y a plus d’autres choix. Cela doit faire partie de la communication politique.