Budget: mauvaise passe ou retour aux vieux démons? edit
Les décisions annoncées, ou plutôt esquissées, par Emmanuel Macron le 25 avril ne sont pas rassurantes pour tous ceux qui attendaient que la France sorte enfin de sa longue torpeur et s’adapte aux changements économiques et sociaux que les pays qui réussissent ont adoptés. C’est le message du récent article de Gilbert Cette et Elie Cohen. Un point mérite approfondissement : le non-financement des baisses d’impôt ne signale pas seulement un retour à la politique des déficits, il suggère aussi la fin de la réflexion rigoureuse qui avait distingué si bien Macron de ses prédécesseurs.
Le président a annoncé qu’il allait financer ses cadeaux aux classes moyennes, le gros bataillon des électeurs, par la suppression des niches fiscales. Ces fameuses niches, l’eldorado des gouvernements en proie au déficit, aussi bien pourvues qu’inatteignables. Et pour cause. Chaque niche est un cadeau soigneusement calibré pour satisfaire un groupe de pression, de manière parfaitement hypocrite. Au lieu d’accorder une subvention, on accorde une déduction. Face à la manie des dépenses publiques et des impôts, toujours en hausse, ce qui a fini par faire mauvais genre, on réduit les impôts, ce qui est réputé vertueux et qui plait aux électeurs. Mais la multiplication de cette astuce a fini par faire long feu puisque l’on qualifie désormais ces niches de dépenses fiscales, une étrange terminologie qui ne sert qu’à manipuler la présentation du budget.
L’annonce du président franchit un nouveau pas dans l’hypocrisie : les niches à éliminer sont celles dont bénéficient les entreprises, pas les particuliers. Voilà de quoi satisfaire les Gilets jaunes, mais c’est très largement un miroir aux alouettes. Un exemple devrait suffire à comprendre pourquoi. Il serait question d’éliminer la taxation sur les carburants dont bénéficient les entreprises du BTP, soi-disant majoritairement des PME. Que feront ces entreprises ? Elles augmenteront leurs prix à due proportion. Qui paiera donc la suppression de cette niche ? Les ménages pour le B du BTP, leurs dépenses de construction, d’amélioration de leur habitation, y compris en ce qui concerne les travaux d’isolation ou d’économie d’énergie pourtant identifiés comme une clé de la lutte contre le changement climatique. Au lieu de payer des impôts, ils paieront plus cher leurs travaux. L’État aussi sera ponctionné pour la composante TP, ces grands chantiers souvent réalisés par de très grosses entreprises. Par ce biais, la dépense fiscale sera transformée en dépense publique tout court, tout comme ce sera le cas quand il faudra subventionner les dépenses d’économies d’énergie.
On objectera que toutes les niches ne sont pas ainsi manipulables. Prenons un autre exemple, la plus grosse de toutes les niches (hors CICE, honnêtement transformé en baisse de taxe sur les salaires), celle qui est habilement intitulée Crédit d’impôt recherche. Elle serait épargnée du couperet au nom de l’encouragement à l’innovation. Mais cette niche est en réalité une subvention aux très grosses entreprises. En principe, c’est une bonne idée, destinée à réduire le coût de la R&D pour les entreprises. En pratique, le dispositif semble victime d’un effet d’aubaine, lorsque les entreprises renomment ‘recherche’ des activités qu’elles pratiquent de toute façon. De nombreux rapports, y compris par la Cour des Comptes et l’OCDE, suggèrent que l’impact de cette gigantesque niche est ténu, au mieux. Les principaux bénéficiaires (en volume) sont les très grosses entreprises disposant d’une armée de juristes et de fiscalistes qui savent remplir des dossiers touffus et annoncent des projets qui sont soit déjà en cours, soit qui ne seront jamais réalisés. Pour une large part, cette niche se retrouve dans les profits des très grosses entreprises, qui sont distribués aux actionnaires. S’il est une niche qui mérite d’être supprimée, c’est bien celle-là, mais elle sera sauvée parce qu’elle a un joli nom.
Un Macron idéal supprimerait toutes les niches fiscales, celles qui bénéficient aux entreprises comme celles qui bénéficient aux particuliers, quitte à remplacer celles qui sont utiles par des subventions explicites ou par des baisses d’impôt. Les fiscalistes dénoncent depuis longtemps cet épais maquis qui masque des cadeaux injustifiés. L’effet sur les masses budgétaires serait incertain, mais celui sur la rationalité des choix publics et le débat démocratique serait notable. Vouloir en faire une source de financement des baisses d’impôt est non seulement largement illusoire, mais aussi dangereusement trompeur.
En effet, l’un des points saillants du Grand Débat est une profonde insatisfaction à l’égard du budget et des prélèvements obligatoires. La réponse du président aurait dû comporter deux éléments stratégiques, d’ailleurs promis lors de la campagne électorale. En premier lieu, la réduction de la taille de l’État. Cela passe par une rationalisation des dépenses et des gains d’efficacité, face à une demande d’interventions essentielles, comme les promesses de financement des collectivités locales, les dépenses inévitables en raison du vieillissement de la population, celles qui sont nécessaires pour s’attaquer au réchauffement climatique et pour reconstruire l’Education nationale afin de rompre avec la scandaleuse inégalité des chances et remettre en route l’ascenseur social. L’annulation de la très timide suppression de 120 000 postes dans les fonctions publiques (environ 2% du total des effectifs) va exactement en sens inverse de ce qui a été promis.
En second lieu, il faut effectivement réduire la fiscalité, mais pas n’importe comment. Par rapport aux autres pays développés, l’impôt sur le revenu est faible en France et moins de la moitié des ménages y sont assujettis. Les baisser relève donc plus de la démagogie – c’est ce que demandent les Gilets jaunes – que de la raison ou de la justice sociale. Par contre les prélèvements sociaux sont beaucoup larges qu’ailleurs. La raison est la très coûteuse « sécurité sociale à la Française », que le candidat Macron avait, à juste titre, annoncé comme caduque. On en est loin aujourd’hui. Tant que ce chantier ne sera pas entrepris, les marges de manœuvre pour baisser le poids des prélèvements obligatoires seront des plus limitées.
Après deux ans, la messe n’est pas encore dite pour le quinquennat en cours. Mais l’Acte II annoncé suggère un revirement inquiétant. Que les réformes soient difficiles, personne n’en doute et Macron le savait parfaitement. Que la révolte des Gilets jaunes aient déstabilisé le président ne fait pas de doute. On pouvait redouter une pause, souvent synonyme de mise au placard. Il reste des espoirs de progrès dans l’Éducation nationale ou la Santé, par exemple, ou peut-être même les retraites. Mais le nerf de la guerre a toujours été l’intendance et là, ce n’est pas une pause, mais un reniement. Le bricolage budgétaire qui s’annonce commence à faire penser aux mauvaises habitudes de Chirac ou Hollande : on essaie de calmer les protestataires en leur donnant de l’argent que l’on n’a pas, ce qui ne fait qu’aiguiser leur appétit. Plus le temps passe, plus on s’approche des élections et plus se réduit la possibilité de restructurer le budget.
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