La French touch de Kad et Olivier edit

27 décembre 2012

Peut-on survivre à la mondialisation culturelle ? Peut-on résister à l’américanisation du goût et des écrans européens? Kad et Olivier proposent une stratégie de survie par la dérision, qui donne consistance à la théorie du téléspectateur actif, une preuve que le consommateur de séries peut revisiter le genre pour créer du nouveau, par collage, bricolage, décodage.

« On a re-tué Pamela Rose » nous embarque dans les aventures bancales de deux ratés du FBI ou plutôt du F. B. Ouille, car « ça fait mal », proposant d’emblée par ce mauvais jeu de mot une lecture en abîme, qui laisse voir derrière les personnages soit disant américains, des acteurs franchouillards, interprétant volontairement maladroitement leur rôle dans un costume à la fois trop large et troué.

Au début du film, leur vie se consume dans l’ennui, Kad, retraité dans la petite ville américaine de Bornsville, aux maisons bien alignées, parle à son seul ami, son chien – en réalité un agent du FBI déguisé en chien ; Olivier, mis sur la touche, fait visiter aux enfants le FBI et leur apprend comment réussir une enquête criminelle. Le film n’aurait donc jamais eu lieu sans une relance de « l’affaire Pamela Rose », neuf ans après la sortie du film, et la décision (notamment de Gaumont et de TF1) d’en produire une suite. Les seuls passionnés par l’affaire sont les deux anciens héros, devenus ennemis en raison d’une femme, qui se presse de quitter Olivier pour « Perkins », son chef au FBI (Laurent Laffitte). Libérés de leur rivalité, Bullit et Riper peuvent refaire équipe, Kad et Olivier peuvent relancer l’intrigue et signer la réalisation ! Dans les séries policières américaines classiques, comme dans les comédies (les buddy movies), les héros vont par paire. À l’appel du shérif local, ils partent donc « dans une Fuego de collection », cabossée, explorer les lieux du crime, le cimetière où la tombe de Pamela Rose a été profanée et enlevée, sous les yeux d’une jeune fille naïve qui en a perdu son soutien-gorge. Avec ses nuages de toiles d’araignée accrochés à son portique, il nous rappelle tant de scènes de Halloween, ou même le dernier Tim Burton, Frankenweenie, dont le héros était d’ailleurs lui aussi très proche de son chien.

Ce n’est pas la première fois que le cinéma français s’inspire des films et des séries américaines, qui constituent une mine de références communes pour les scénaristes et leur public. Hazanavicius s’en était déjà largement inspiré dans ses OSS 117. La télévision avec la télévision des Inconnus s’y était déjà frottée. Il y a un an The Artist revisitait l’univers des films américains muets des années 1930. L’exploitation de l’univers de la téléréalité, genre d’inspiration américaine lui aussi omniprésent à la télévision française, n’est pas toujours aisé, en témoigne l’échec scénaristique et économique de Superstar au début de l’automne (avec encore Kad Merad). La parodie exige une connaissance intime du genre et de l’univers parodié mais aussi un point de vue. Kad et Olivier cultivent la lecture de l’univers médiatique au second degré, le regard décalé sur la pseudo expertise scientifique des séries policières, la pseudo ambiance bon enfant des banlieues de la télévision américaine, la délicieuse mais infinie invraisemblance des exploits des super héros, de James Bond à 24 heures chrono, les présentations incongrues des participants des émissions de téléréalité. Le film en est un feu d’artifice. Pour ceux qui n’ont pu y échapper mais les regardent à distance, le plaisir sera immense. Pour ceux qui n’ont pas développé d’appétence pour l’humour par l’absurde (compétence que le visionnage intensif de la télévision ne construit pas spontanément), le film semblera un peu long. 

Kad et Olivier brossent un univers insolite en piochant dans le bric-à-brac médiatique (formules empesées, stéréotypes de la grandiloquence télévisuelle, ridicule des fans de voiture), ils en extraient l’absurdité, l’incongruité, le surréalisme. Tout y est factice, tout y est possible. Le temps n’a pas plus de consistance que l’espace. Les deux héros sortant d’un court séjour de prison cherchent à évaluer le temps qui leur a semblé long, « cette route n’était pas là », dit Kad songeur, à quoi Laurent Lafitte qui vient les chercher répond que leur séjour n’a duré que sept heures. Leur visite d’Air Force One leur permet d’y découvrir l’hôpital d’Urgences, les vaches grasses du Salon de l’agriculture, les folles nuits de Paris Première (ou d’autres images de jambes en l’air). La présidente des États-Unis of America, Madame Apple Pie, a un faux air de l’héroïne du dessin animé Rebelle de Pixar, tout en venant d’Intouchables. Au-delà des séries américaines c’est tout notre univers médiatique qui se retrouve sollicité comme une grande banque d’images et revisité.

À travers leur film Kad et Olivier rendent un hommage parodique à l’imprégnation de la culture française par les séries américaines tout en lui donnant une interprétation personnelle, une « french touch », la maladresse franchouillarde qui crée une complicité avec le public. On ne sait si les Américains du Nord l’apprécieront autant qu’ils l’ont fait pour The Artist, avec ses deux Oscar et ses 750 000 entrées (selon le CNC Les films français à l’exportation en 2011), un chiffre exceptionnel pour un pays très fermé aux productions cinématographiques du reste du monde quand elles ne sont pas en langue anglaise. En se faisant produire par des sociétés françaises et belges, les deux réalisateurs n’ont pris la peine d’intégrer aucun acteur ni producteur américain. « Qui veut re-tuer Pamela » se réapproprie l’Amérique, une Amérique de bricolage, de reconstitution, une Amérique imaginaire qui veut apprivoiser les mythes et joue sur le décalage des cultures. Les magistrats français témoignent depuis des années qu’ils sont appelés « votre honneur » par les prévenus, les policiers qu’on leur demande de « dire les droits », tant les procédures de la police et de la justice des séries télévisées imprègnent les repères de nos concitoyens. La question de l’américanisation des Français n’est pas simple, car la réalité rejoint – de plus en plus – le modèle américain. En 2006, le ministre de l’Intérieur, connu pour son goût pour les parcs d’attraction, avait changé la tenue des policiers municipaux en les dotant d’une casquette à l’américaine. 

Quand on compare les 10 meilleurs scores d’audience réalisés en 2010 par les séries en France, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne et Italie (La fiction américaine dans les audiences des grands pays américains, CSA 2011),  la France se distingue par le fait que c’est une chaîne commerciale, TF1, qui monopolise toutes les places, avec 5 fois sur 10 des séries américaines, Mentalist, les Experts (2 fois), Dr House, Esprits Criminels, alors que dans tous les autres pays c’est la fiction nationale qui vient devant. En 2011, la situation s’est aggravée avec 7 fictions américaines sur 10. En 10 ans, sur les 50 premières audiences de la télévision française, les séries françaises n’occupent plus qu’une place au lieu de 22, la fiction étrangère en a gagné 41 (L’économie de la télévision, CNC 2012).

Dans un contexte de domination culturelle américaine, Kad et Olivier montrent qu’il reste une place pour une création par hybridation, une création qui sollicite la perspicacité du spectateur, se joue des stéréotypes et nous rend capables de surfer entre les multiples registres sémantiques de la culture médiatique.