La grande vulnérabilité des personnes âgées face au Covid-19: une illusion? edit

13 mai 2020

Pour chaque épidémie, la question se pose de déceler son éventuel effet d’âge, c’est-à-dire la prise en considération de l’âge des personnes comme facteur explicatif d’un niveau de vulnérabilité conduisant à des différences de létalité par âge[1].

Ainsi, il est acquis que la peste n’a pas d’effet d’âge, car la vulnérabilité des populations à cette maladie est la même quel que soit leur âge[2]. En revanche, il est certain que la grippe dite « espagnole »[3] ou le sida ont eu d’incontestables effets d’âge, avec des effets mortifères particulièrement centrés sur les jeunes adultes.

Concernant le Covid-19, la présentation de la mortalité qui en résulte a imprimé l’idée qu’une des caractéristiques de cette pandémie serait un incontestable effet d’âge. Le virus se traduirait par un risque élevé de mortalité pour les personnes âgées en étant porteur et un risque quasiment nul aux autres âges. Certains en ont conclu que le déconfinement devait prendre en compte ce – présumé - effet d’âge.

Ainsi, en France, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, rappelle, lors de ses points de presse quotidiens, que 82 % des personnes décédées du Covid-19 sont âgées de plus de 70 ans[4]. Mais que signifie une telle observation ? À quoi comparer cette valeur pour en apprécier la singularité ou non ?

La surmortalité des seniors face au Covid-19

Pour répondre à ces questions, une première comparaison possible consiste à considérer la proportion des personnes de 70 ans ou plus dans la population de la France. En France métropolitaine, les personnes âgées de 70 ans ou plus ne représentant que 14,9 % de la population[5]. Il apparaît que les seniors sont 5,6 fois plus présents dans les décès dus au Covid-19 que leur part dans la population. Comme ils paieraient un plus lourd tribut à la pandémie, il est apparu à certains observateurs que la solution était donc de les confiner durablement pour les « protéger ».

Selon ce point de vue, le déconfinement général aurait pu être envisagé à l’exception des plus de 70 ans, ces derniers devant rester confinés jusqu’à ce que l’on ait pu atteindre l’immunité collective. En effet, pourquoi confiner l’ensemble de la population, et donc bloquer l’essentiel de l’économie, pour protéger les seniors qui seraient les seuls à affronter un risque sévère avec le Covid-19 ? Ainsi, on remettrait au travail l’ensemble de la population active, ce qui permettrait de relancer l’économie, tout en protégeant les personnes âgées et, par là même, les capacités d’accueil des hôpitaux français. Que n’y a-t-on pensé plus tôt ? Cela aurait évité l’effondrement économique du confinement général mis en œuvre du 17 mars au 10 mai 2020. Cela éviterait que les mesures restrictives du déconfinement mises en œuvre à compter du 11 mai limitent la reprise économique.

Les personnes âgées victimes ou propagatrices ?

Toutefois, présenter ainsi la situation, c’est faire des personnes âgées les boucs émissaires de la situation actuelle et de la crise économique. Si le confinement a été instauré, ce n’est nullement de manière à protéger les seules personnes âgées, mais l’ensemble de la population. Les personnes âgées ne sont en fait que les principales victimes de cette crise dont elles ne sont pas les principales propagatrices. Plus précisément, elles sont les victimes de l’impréparation à une telle épidémie, du retard pris à prendre des mesures de précaution (comme le port de masques), de comportements inadaptés en période de pandémie, comme en témoignent les quelque 10 000 morts des EPHAD, soit près de 38% de l’ensemble des décès officiellement annoncés liés au Covid-19.

L’immunité collective est-elle atteignable ? Les quelques études faites pour mesurer la diffusion du virus dans la population de la France montrent qu’elle n’atteindrait même pas 10 % dans l’ensemble du pays, et 15 % dans les régions les plus touchées comme le Grand Est, soit quatre à six fois moins que le seuil espéré de cette immunité collective ! Sans compter les doutes sur la durée de l’immunité acquise en cas d’infection et même sur sa réalité.

En réalité, derrière cette apparente préoccupation des personnes âgées, se profile avant tout la crainte de leur forte contribution à l’encombrement des hôpitaux.

Les morts du Covid-19: également des enfants et des adolescents

En outre, les personnes âgées ne sont pas les seules à décéder du Covid-19. Cela peut même arriver chez des moins de 15 ans. Ainsi, le 10 avril, le directeur général de la santé a annoncé le décès d’un jeune garçon de 6 ans infecté par le coronavirus en Île-de-France. « Les causes du décès sont multiples » a-t-il précisé. C’est la plus jeune victime du Covid-19 en France.

Aux États-Unis, le 28 mars, un bébé de six semaines est décédé des suites d’une infection au Covid-19, le 29 mars un adolescent portugais de 14 ans, le 30 mars un adolescent de 13 ans au Royaume-Uni, le 31 mars, une adolescente de 12 ans est décédée en Belgique. Il est vrai que les décès d’enfant sont exceptionnels. En France, les moins de 15 ans ne représentent que 1 % des cas confirmés de Covid-19, admis en réanimation du 16 mars au 19 avril 2020, d’après le bulletin épidémiologique de Santé publique France.

Une mortalité non supérieure à celle des autres pathologies

Et il existe une autre manière de juger de la vulnérabilité au Covid-19. Elle consiste non à la comparer à d’autres classes d’âge, mais à la mortalité « ordinaire » de ces mêmes seniors. Pour cela, l’examen des tables de mortalité, qui analysent les données de la mortalité générale, s’impose.

Les dernières publiées par l’Insee, traitant de la période 2012-2016, montrent que les survivants à 70 ans sont au nombre de 78 610 pour les hommes et 89 440 pour les femmes, pour un effectif de 100 000 à la naissance[6]. Cela signifie donc que, dans une population stationnaire, c’est-à-dire une population dans laquelle le nombre de naissances serait égal à celui des décès, 78,6 % des décès d’hommes surviendraient à 70 ans ou plus, comme 89,4 % des décès de femmes.

Si l’on considère que les hommes représentent deux tiers des décès du Covid-19, en appliquant ce rapport aux survivants des tables de mortalité, on arrive à 82 220 survivants à 70 ans, soit 82,2 %. Soit un pourcentage équivalent à la part des 70 ans ou plus dans les décès du Covid-19.

On ne peut donc, aucunement, conclure à une surmortalité supplémentaire des 70 ans ou plus dans cette épidémie par rapport à celle mise en évidence dans la mortalité générale.

En fait, face au Covid-19, les personnes âgées se trouvent dans les mêmes conditions que face aux autres risques de morbidité et de mortalité : ceteris paribus, les défenses immunitaires diminuent avec l’âge. Rappelons aussi une tautologie : plus on avance en âge, plus le risque de mortalité grandit et plus le nombre moyen d’années d’espérance de vie diminue.

Une autre comparaison est possible avec les décès dus aux grippes saisonnières. Pour écarter d’éventuelles évolutions erratiques, considérons l’ensemble de la période 2012-2017 : parmi les personnes hospitalisées en raison d’une forte grippe, les décès de 60 ans ou plus représentent 84 % du total et les 80 ans ou plus 51 %[7]. Des pourcentages qui ne sont pas si différents de ce qui est observé pour le Covid-19. Il convient toutefois de remarquer que ces proportions s’appliquent à des effectifs radicalement différents. En effet, en chiffres absolus de décès, la dernière année disponible, correspondant à la grippe de 2016-2017, indique 1861 décès dus à la grippe de 2016-2017, contre 25 000 pour celle de Covid-19 au 7 mai 2020.

En conséquence, une mesure de déconfinement différentiée excluant les personnes âgées, comme cela avait été avancé, ou un reconfinement différencié ne concernant que les personnes âgées, ne pourrait trouver sa justification que dans la protection de l’hôpital et de ses capacités d’accueil et non dans celle des seniors.

[1] Rappelons que la létalité est le nombre de décès liés à une maladie ou à une affection particulière rapporté au nombre total de cas atteints par la maladie.

[2] Biraben, Jean-Noël, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, 2 volumes, Paris-La Haye, Mouton, 1975-1976.

[3] Sardon Jean-Paul, « De la longue histoire des épidémies au Covid-19 », Les analyses de Population & Avenir, avril 2020.

[4] Comme trop fréquemment, parler des « plus de 70 ans » signifie en réalité les « 70 ans ou plus », la borne démographique habituelle de la classe d’âge précédente s’arrêtant à 69 ans.

[5] Au 1er janvier 2020 ; chiffres Insee, estimations de population (résultats provisoires à fin 2019).

[6] Cf. Table de mortalité.

[7] Caractéristiques des hospitalisations avec diagnostic de grippe, France, 2012-2017. Santé publique France/2019.