Qui doit payer pour les intermittents ? edit

5 mars 2006

Au cours des vingt dernières années, les effectifs d’intermittents ont quadruplé, le volume de travail rémunéré qui leur était alloué était multiplié par 2, la masse salariale par 3, et les dépenses d’assurance-chômage par 9. Paradoxe fantastique : alors que ce secteur a connu une croissance continue (en financements, en revenus distribués, en volume de travail alloué), il s’est adossé de plus en plus fortement au chômage au point que le chômage a progressé plus vite que l’emploi. Situation totalement absurde au regard du fonctionnement habituel du marché du travail. Qui est responsable ? Chacun et personne : c’est le propre d’un système d’emploi désintégré que de diluer totalement les responsabilités.

Les employeurs, dont le nombre a augmenté plus vite que celui des salariés, embauchent pour des durées aussi variables qu’ils le souhaitent des salariés aussi nombreux et aussi différents qu’ils le désirent – nouveaux talents, jeunes désireux de se lancer, professionnels aguerris, artistes ou techniciens réputés, etc. Ainsi, leur demande de travail se disperse sur une population de plus en plus large de candidats à l’emploi, sans qu’ils aient à se soucier en rien d’augmenter ou non le volume de chômage de ceux-ci, puisqu’il est entendu qu’ils ne leur procurent que de l’emploi par contrats en morceaux et fragments (trois heures, deux jours, une semaine, etc.). Qui coordonne le système? L’assurance-chômage, qui seule tient les comptes individuels d’emploi de chaque salarié, pour vérifier son éligibilité à l’indemnisation de ses périodes chômées et pour lui verser ses prestations. Les employeurs n’ont qu’à payer des cotisations dont le taux est uniforme, qu’ils provoquent peu ou beaucoup de chômage dans les rangs de leurs salariés. Les réformes qui ont cherché à réduire les déficits de l’Unedic n’ont jamais mené à rien, et celle de 2003 a augmenté les niveaux d’indemnisation des personnels parvenant à entrer dans le système sans réduire vraiment le nombre des indemnisés, puisque l’Etat, pour calmer la crise née de cette réforme, a mis en place un fonds provisoire qui permet aux intermittents de bénéficier des anciennes règles et de réentrer dans le système, une fois indemnisés par le fonds.

Pourquoi toutes les réformes échouent-elles? D’abord, parce qu’un conflit social dans lequel les salariés sont coalisés avec leurs employeurs ne se dénoue pas de lui-même. Les employeurs, qui, pour la plupart, n’ont rien de commun avec des patrons d’entreprises, (beaucoup sont à la tête d’associations de loi 1901, dont les collectivités territoriales et l’Etat ont usé et abusé pour structurer et faire croître l’offre), ont tout intérêt à faire défendre par leurs salariés un système qui transforme leurs dépenses salariales en charges variables, et ne subissant aucune des contraintes juridiques et procédurales d’embauche et de licenciement propres au CDI comme au CDD. Pourquoi iraient-ils réformer un système aussi facile d’utilisation et aussi peu coûteux, tant que les coûts induits d’assurance-chômage de leurs personnels sous-employés ne sont pas internalisés dans leurs comptes d’employeurs, mais qu’ils sont mutualisés avec tous les autres secteurs d’activité? Et si un syndicat, la CFDT, invoque l’inéquité de ce qui est un deuxième impôt culturel prélevé sur le seul secteur privé, et veut réformer, au titre de l’équité intersectorielle face à la précarisation de l’emploi, elle est foudroyée par la coalition des intérêts au statu quo.

Une vraie politique de l’emploi, dit le ministre, doit permettre d’alléger la pression sur l’assurance-chômage, mais il y faudra beaucoup de temps et beaucoup de mécanismes incitatifs : « chiche, disent les syndicats qui rejettent la réforme de 2003, à condition de restaurer largement les règles d’assurance-chômage d’avant 2003 ». Quant aux coordinations d’intermittents, elles souhaitent faire jouer à l’assurance-chômage un rôle redistributif, pour amortir les inégalités de rémunération propres à l’hyperflexibilité d’un marché du travail où l’employabilité dépend de la réputation, ce qui consacrerait la vocation de l’assurance-chômage à fournir un revenu de complément plutôt que de remplacement, à rebours des missions actuelles de l’Unedic.

Où est la solution ? Quand on touche aux seules dépenses et aux règles d’indemnisation, le puzzle est si complexe que ce qu’on croit économiser est vite annulé, car les salariés et leurs employeurs s’adaptent rapidement aux nouvelles règles : les compromis négociés attisent ou atténuent les conflits, mais n’apportent jamais la solution au problème posé, et le prochain protocole, s’il est inspiré par les scénarios habituels, ne fera pas exception. Tant qu’un système de couverture du risque ne cherche pas à définir le niveau et la structure de ses recettes en fonction du comportement de ses dépenses, il ouvre la porte à toutes les dérives et contestations Comment innover dans ce contexte d’hyperflexibilité du travail ? En créant un “compte employeur” qui fera apparaître ce que chaque employeur fait dépenser à l’Unedic par ses pratiques d’emploi génératrices de droits à indemnisation. En introduisant ensuite un principe de modulation des cotisations employeur à l’assurance-chômage, en fonction du comportement de chaque employeur, selon le mécanisme inventé pour les accidents du travail. D’où une architecture à trois étages.

1. La solidarité interprofessionnelle serait relégitimée si elle prenait en charge une fraction importante, mais limitée des dépenses de chômage dans les spectacles : réduire progressivement à 40% la part des dépenses assurantielles mutualisées avec tous les autres secteurs contre 100%actuellement.

2. La modulation des cotisations- employeur serait progressivement introduite à concurrence de 60% pour apprendre ainsi à chacun d’ assumer ses responsabilités dans le fonctionnement du système.

3. L’acteur public – collectivités territoriales et Etat – pourrait, en toute transparence, décider de prendre en charge une partie du surcoût consécutive à l’introduction de la modulation des cotisations.

Sans un véritable changement d’approche, la coalition des intérêts pour réformer le système à la marge, comme cela est le cas aujourd’hui laissera entier le problème.