Traité simplifié, 3. L'Europe n'a toujours pas le téléphone edit

30 juin 2007

Les dispositions les plus consensuelles du Traité Constitutionnel de 2004 portaient paradoxalement sur les domaines de la politique étrangère et de sécurité communes. Elles n'ont pas été substantiellement affectées par le compromis de Berlin sur le traité simplifié. Les éléments les plus importants sont la création du nouveau poste de Haut-Représentant, le poste de Président du Conseil et le développement d'un service diplomatique européen.

L'innovation-clé tient dans les attributions nouvelles du Haut-Représentant pour les Affaires étrangères et la sécurité. Dans le texte du Traité de 2004, ce poste était intitulé « ministre des Affaires étrangères de l'Union ». Profitant du nouveau cycle de négociation, le Royaume-Uni (qui avait cédé sur ce point en 2004) a présenté des objections, arguant qu’un tel titre suggérait des pouvoirs plus étendus que ceux que Londres pouvait accepter.

Ce titre est en réalité inapproprié. Le détenteur du poste ne disposera que des pouvoirs que les Etats-membres sont prêts à lui concéder. La principale innovation tient à ce que le poste réunira les fonctions de l’actuel Haut-Représentant, Javier Solana, et celles du Commissaire aux relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner. Au Conseil européen de juin 2004, on avait déjà décidé que Solana serait le premier titulaire du poste.

Sa position sera la seule dans l'UE qui implique d’être présent à la fois au Conseil et à la Commission. Cela permettra au HR de coordonner les deux domaines principaux de la politique externe de l'UE : sécurité et aide au développement. Le détenteur du poste contribuera aussi à la fois à la préparation et à la mise en œuvre de la politique commune de sécurité et il présidera le nouveau Conseil des affaires étrangères, une tâche qui aurait été dévolue à la présidence tournante dans l’ancien système.

Il représentera l'Union dans les organisations internationales et aux conférences internationales, « dirigera le dialogue politique » au nom de l'Union, et pourra convoquer une réunion d'urgence du Conseil des affaires étrangères. On est ici aussi près que possible de cette formule apocryphe de Henry Kissinger sur le « numéro de téléphone » de l’Europe. Disposant de la légitimité conférée par le Conseil et des vastes ressources associées à la Commission, le HR doit être en position de donner forme à la politique étrangère et de sécurité et d’aider à lui donner plus de cohérence et d’impact qu’elle n’en avait jusqu’ici, à la fois dans la réflexion et la mise en oeuvre.

Une des plus grandes faiblesses des dix-sept opérations étrangères qui ont été lancées dans le cadre de la Politique européenne de défense et de sécurité a été l'incohérence et les doubles-emploi résultant des tensions entre les différentes agences et institutions. Au cours des deux dernières années, des tentatives ont été faites pour améliorer son fonctionnement en établissant des groupes de travail bipartites associant le Conseil et la Commission. Le nouveau poste de HR améliorera considérablement ce procédé. Le titulaire du poste sera doté d’une influence considérable. Cependant, puisque les politiques qu’il aura à conduire restent résolument intergouvernementales, les tensions entre « Bruxelles » et les capitales nationales continueront dans n'importe quel secteur politique où un Etat-membre sentira qu'il a un intérêt national spécial à défendre. Pendant le conflit autour de la guerre d'Iraq en 2003, Solana a dû rester silencieux.

Autre innovation conférant une plus grande influence au HR, le Service d’action extérieure de l'UE, qui était sur la touche depuis les référendums français et hollandais. Le dessein est ici de combiner l'expérience et le professionnalisme des diplomaties nationales avec les ressources qui peuvent être mobilisées au niveau européen. Beaucoup de questions restent toujours irrésolues et les discussions qui vont commencer pour leur trouver des réponses seront intenses. Aurons-nous un service autonome, quelque part entre le Conseil et la Commission, comme quelques-uns l’ont recommandé, ou sera-t-il attaché à la Commission, comme le Parlement européen l’a suggéré avec insistance? La probabilité est que le nouveau service sera de nature sui generis mais qu’il sera proche du Conseil et de la Commission.

Cette énigme institutionnelle, à laquelle sont associées des implications symboliques sur le sujet sensible de la souveraineté, ne sera pas facile à résoudre, mais les Etats-membres ont démontré par leur engagement sans faille à lancer le service leur détermination à donner forme à une représentation plus cohérente de l’UE à l’extérieur. Les tâches spécifiques qui seront attribuées au service ne sont pas encore définies. Dans le Traité Constitutionnel, on ne se référait au service que dans le contexte du deuxième pilier, ce qui suggère qu'il n'aura pas en responsabilité les affaires du premier pilier (actuellement surveillé par les 121 missions étrangères de la Commission). Cela serait manifestement absurde et la probabilité est que sa mission couvrira toutes les questions de politique extérieure. Mais la tâche de rendre cohérent le travail du nouveau Service diplomatique de l’UE et celui des 1362 ambassades des Etats-membres de l'UE dans les pays tiers ne sera pas l’affaire d’une journée. Cependant, le service réunira des diplomates issus de trois sources : le Secrétariat Général du Conseil, la Commission et les Etats-membres. Etant donnée la volonté politique de le faire réussir et le rôle galvanisant du HR, il est presque certain que la voix de l'UE à l’extérieur deviendra progressivement plus cohérente et plus audible.

La troisième innovation est le nouveau Président du Conseil européen, élu pour une période de deux ans et demi, avec la possibilité de faire deux mandats. Il remplacera aussi la présidence tournante, dont la fin est une autre caractéristique majeure du mini-traité. Le nouveau Président, en plus de “présider et de conduire” le travail du Conseil, sera aussi chargé d’assurer la représentation externe de l'Union sur des problèmes touchant à sa politique étrangère et de sécurité commune. Cela suggère une concurrence avec le HR. Mais l’analogie fréquemment faite avec le Président et le Secrétaire d'Etat aux Etats-Unis est doublement trompeuse. En effet, les deux représentants américains ont des attributions bien définies, tandis que leurs nouveaux « homologues » de l'UE devront toujours coexister avec les puissants chefs d’Etat et de gouvernement et avec les influents ministres des Affaires étrangères de chaque pays. De plus, entre le Président des Etats-Unis et le Secrétaire d’Etat existe une relation hiérarchique que l’on ne retrouve absolument pas dans les nouvelles positions de l'UE. La meilleure façon d’éviter un conflit potentiel serait une division du travail de facto, laissant Président du Conseil européen la préparation et la mise en oeuvre des affaires ne touchant pas essentiellement à la Politique étrangère et de sécurité commune, qui serait attribuée au HR. De cette façon, les deux responsables pourraient coordonner leurs efforts quand la coordination serait essentielle. La représentation extérieure suivra les normes de protocole. Le Président des Etats-Unis ne devrait pas s’attendre à avoir beaucoup de contacts directs avec le HR ; et ce dernier devrait s’attendre à être reçu par le ministre chinois des Affaires étrangères.
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L'UE cherche depuis longtemps à améliorer sa représentation et son impact extérieurs. Dans le Traité Constitutionnel de 2004, elle s’était donnée une nouvelle série d'instruments dans ce but. Le fait que ces instruments ont émergés presque indemnes du procédé de mini-traité suggère la force de l’engagement des politiques sure ce point. Mais le diable sera dans les détails .