Qui a gagné le congrès de Reims ? edit

22 novembre 2008

La réponse paraît simple : c’est Martine Aubry. La direction du parti socialiste l’a déclarée élue et le Conseil national qui se réunira la semaine prochaine refusera probablement la demande de sa concurrente de rejouer le second tour de scrutin. Il y a donc toutes les chances que cette instance confirme la victoire de la maire de Lille. Celle-ci l’a donc finalement emporté. Le Parti socialiste a une nouvelle secrétaire générale.

Réponse simple, probablement trop simple. Que vont peser, en effet, les 42 voix d’avance de Martine Aubry face à l’impressionnante dynamique qui a porté Ségolène Royal de 29% au vote des motions à près de 50% au second tour d’élection du Premier secrétaire en passant par les 43% du premier tour alors que tous ses concurrents s’étaient rangés sous la bannière de la maire de Lille ? Comment empêcher qu’à la légalité due à l’arithmétique électorale qui est celle de Martine Aubry s’oppose la légitimité de la dynamique politique de Ségolène Royal qui montre clairement l’impopularité du Parti socialiste, tel qu’il fonctionne, aux yeux d’un adhérent socialiste sur deux ?

Comment nier, que si Martine Aubry est le lieu géométrique de tous les courants, très divers, du parti et le plus petit commun dénominateur des adversaires de Ségolène Royal, celle-ci incarne plus clairement et de manière plus assumée un leadership qui probablement correspond mieux au profil d’un futur candidat à la présidence de la République ? Comment nier qu’il pèsera toujours sur ses adversaires de circonstance le soupçon d’avoir par tous les moyens barré la route à la celle qui incarnait le renouvellement du parti et son adaptation aux défis lourds que l’organisation aura à relever dans les années qui viennent ?

Comment ne pas voir, enfin, que, même déclarée vaincue, Ségolène Royal est le véritable vainqueur de ce congrès et que, telle la statue du commandeur, elle va se dresser constamment face à une direction nécessairement sur la défensive et, le congrès l’a montré, incapable d’adopter une ligne politique commune ? Non seulement les adversaires de Ségolène Royal dans le parti n’ont pas pu l’éliminer, comme ils le pensaient, mais encore, elle apparaît pour eux comme un danger plus grand encore demain qu’hier. N’aura-t-elle pas pour elle une opinion publique lassée des jeux des appareils partisans et aisément convaincue que la victoire de son adversaire est entachée d’un doute ? Victoire d’Aubry à la Pyrrhus, victoire réelle de Ségolène donc ?

Pas si sûr. Car le véritable vainqueur du congrès de Reims pourrait bien être Nicolas Sarkozy. Le seul grand parti d’opposition vient d’entrer dans une des périodes noires de son histoire. Selon Manuel Valls, l’un des lieutenants de Ségolène Royal, la fracture du PS « sera longue et durable » si les adhérents ne sont pas appelés à revoter, ce qui est peu probable. Ainsi donc vont se dresser l’un contre l’autre deux personnalités, deux camps, deux partis même, pourrait-on dire, dont aucun ne reconnaîtra la victoire de l’autre. Aucun rassemblement ne sera possible et tout affaiblissement d’un camp par l’autre sera aussi un affaiblissement du parti dans son ensemble, en admettant même que le parti demeure uni - ce qui, certes, est le plus probable mais n’est plus absolument certain. Deux camps qui ont une conception radicalement différente de ce que doit être demain l’organisation socialiste, sa stratégie et bien sûr… son leader. Deux camps engagés dans une guerre civile froide, longue et âpre tant cette nuit de novembre aura encore accru la haine entre les personnes et l’antagonisme entre les groupes. Or la discorde chez l’ennemi est toujours un avantage décisif, à la guerre comme en politique. Comment Nicolas Sarkozy n’en profiterait-il pas ?

Le Parti socialiste avait un besoin vital de se donner rapidement un leader fort et légitime. Les sondages nous montrent que c’est le vœu premier des sympathisants socialistes. Le congrès de Reims débouche sur le résultat exactement inverse. Comme organisation, il a échoué à produire un leader incontesté, ce qui est sa tâche principale. Il lui faudra dans l’avenir revoir l’ensemble de ses processus internes de désignation. Car, le Parti socialiste, aujourd’hui, « ça ne marche pas ». Incapable de gérer efficacement la question du leadership, il apparaît inutile. Et l’on voit que la démocratisation des processus de sélection n’est pas une réponse suffisante à la crise. Encore faut-il être capable de gérer les divisions et les crises internes. Le parti d’Epinay est mort cette nuit mais le nouveau parti socialiste n’est pas près de naître. Cet entre-deux risque de coûter très cher aux socialistes et partant à la démocratie française elle-même.

Si, finalement, la question du vainqueur du congrès de Reims demeure ouverte, celle du vaincu, elle, est évidente : le Parti socialiste lui-même.