Les emplois électoraux edit

16 janvier 2012

Un président-candidat qui finance, avec l’argent de la SNCF, le rachat de Seafrance par une SCOP de marins. Une candidate écologiste déterminée à sauver une raffinerie de pétrole sans débouchés, Petroplus Petit-Couronne. Une ministre qui veut arracher à la liquidation Photowatt, un producteur de panneaux solaires dont le marché a été tari par son propre gouvernement. L’approche des élections conduit le gouvernement à faire feu de tout bois pour éviter les licenciements dans les entreprises qui font la Une des médias. Mieux encore, le président-candidat, dans un accès d’hyper-volontarisme, entend apporter des solutions durables à ces faillites industrielles et faire ainsi la preuve que contrairement à ce qu’affirmait Lionel Jospin, « l’Etat peut tout faire ». Pour les salariés des entreprises les plus en vue, c’est une bonne nouvelle. Un répit de quelques mois est bon à prendre dans un marché de l’emploi très dégradé. Mais pour l’économie française c’est un pur exercice d’anti-pédagogie.

Qu’on en juge. SeaFrance est une entreprise de transport maritime, filiale de la SNCF, en déficit récurrent et ayant bénéficié déjà de plusieurs plans de sauvetage. Dans un marché du transport maritime trans-Manche surcapacitaire, le syndicat CFDT-maison est parvenu à obtenir des effectifs supplémentaires, dégradant davantage les résultats de l’entreprise. Il règne dans cette entreprise un climat de gabegie et de népotisme qui a suscité la colère de M. Chérèque. C’est une entreprise où le management a en fait rendu les armes. La DG Concurrence qui gère les procédures d’aides publiques empêche la France de renflouer SeaFrance, laissant à l’entreprise le choix de se vendre ou de faire faillite. Le groupe Louis Dreyfus, un moment intéressé, a proposé de reprendre l’entreprise avec les 2/3 des salariés, la CFDT-maison a interdit tout contact avec l’acquéreur, préférant avancer la solution d’une SCOP que le président Sarkozy entendait soutenir ! Dans le montage que vient de rejeter le Tribunal de Commerce, la SNCF finançait l’apport initial des sociétaires, rachetait les bateaux et les louait à la SCOP.

La raffinerie de Petit-Couronne appartient au groupe suisse Petroplus. L’outil productif européen dans le raffinage est vieillissant et surcapacitaire. Il subit la concurrence des raffineries modernes qui apparaissent dans les pays émergents, producteurs de pétrole. De plus, la législation environnementale européenne renchérit le coût de la modernisation de cet outil vétuste. Enfin les opérateurs intégrés, tels Total, Shell ou BP, ont tendance à se retirer du secteur du raffinage dont les marges sont faibles ou négatives. Facteur aggravant, les Français consomment moins de produits pétroliers (10% en 15 ans) et la diésélisation accélérée du parc rend l’outil de raffinage inadapté : la France produit trop d’essence et pas assez de diesel. Or le marché américain de l’essence qui servait de débouché à la France connaît aussi un ralentissement de la consommation domestique. Petroplus, privé de financements, a décidé d’abandonner le site français. Il est sommé par le gouvernement français et par Mme Eva Joly de rouvrir son site. Quant aux syndicats, ils l’invitent à le céder à un opérateur intégré… mais aucun n’est candidat.

Photowatt, entreprise pionnière de la filière solaire française, est en redressement judiciaire. Fondée en 1979, elle a été un moment l’un des leaders mondiaux du secteur, c’est encore aujourd’hui la seule entreprise à fabriquer en France des cellules photovoltaïques. Victime du long sommeil du secteur des énergies renouvelables dans les années 80/90, l’entreprise a décliné et elle est passée sous la coupe d’un investisseur canadien, ATS. Avec le Grenelle de l’environnement, l’entreprise croit à sa renaissance, elle développe des partenariats technologiques avec le CEA et entend profiter du plan Borloo dans le solaire. Deux événements majeurs vont briser l’entreprise : l’arrêt brutal de la politique solaire de la France décrété par Mr Fillon tarit le marché au moment où les surcapacités de production chinoises conduisent à l’effondrement des prix. Aujourd’hui Photowatt est en faillite, son actionnaire veut se débarrasser de cet actif et le gouvernement français tente de trouver des acheteurs pour des cellules qui coûtent 50% plus cher que le prix du marché. Comme nul n’est prêt à payer ce prix, le gouvernement envisage d’introduire une clause de production locale dans les appels d’offre.

Trois entreprises différentes, des technologies matures ou émergentes, des marchés saturés ou à fort potentiel et pourtant ces entreprises partagent quelques caractéristiques communes qui rendent l’intervention de l’État problématique.

Ce sont d’abord des entreprises sans clients et sans débouchés. Dans les trois cas, ces entreprises ne parviennent pas à vendre leurs produits ou leurs services de manière profitable, soit parce qu’elles ne sont pas compétitives (SeaFrance), soit parce que le marché est saturé ou l’outil de production inadapté (Petroplus) soit parce que la régulation publique est désincitative (Photowatt).

Dans les trois entreprises, l’actionnaire, étranger dans deux cas sur trois, veut abandonner des actifs qui n’ont plus d’utilité industrielle. Les entreprises sont en fait en redressement judiciaire, à vendre ou fermées.

Enfin ces entreprises n’ont plus accès au financement par les marchés ou par les banques.

Comment l’État peut-il donc, au nom de l’emploi à préserver, se substituer durablement à des consommateurs absents, à des actionnaires évaporés et à des financiers en grève de crédits ? La solution réside dans la réinvention des « commandites publiques » des années 75/85. L’actionnaire disparu peut être remplacé par un faux nez de l’État comme la SCOP de SeaFrance. Le consommateur récalcitrant peut être forcé à acheter par un dispositif réglementaire favorisant le contenu local. Quant au banquier qui ne veut plus financer l’exploitation de Petroplus, il suffit de le convoquer à Bercy pour lui rappeler son devoir. Ces interventions sont contreproductives.

Elles accréditent l’idée que l’Etat peut tout et qu’en particulier, il peut se substituer au consommateur, à l’actionnaire et au banquier réunis. La mise en scène du volontarisme d’État, qui permet au passage de stigmatiser une gauche résignée face aux diktats du marché, n’a qu’un temps. Dans un État de droit et en économie ouverte, il n’y a pas d’avenir pour les entreprises en carton pâte, elles ne font même pas illusion le temps d’une campagne électorale comme en témoigne le cas de la solution Scop SeaFrance finalement rejetée par le Tribunal de Commerce.

Elles n’incitent pas les patrons et les syndicats à trouver les solutions qui assurent la viabilité de long terme de l’entreprise en difficulté. L’acharnement thérapeutique pour le maintien de sites dans un secteur en état de surcapacité ne peut que générer des déconvenues et pousser des ouvriers bafoués à des actes de désespoir. L’intervention tous azimuts de l’État détruit ce qui avait été gagné en crédibilité et en réalisme au cours des vingt dernières années.

Elles instrumentalisent la commande publique et la réglementation pour créer des marchés artificiels. La transition énergétique, le verdissement de l’économie sont des enjeux trop sérieux pour être utilisés à des fins électorales, alors même que la crise actuelle de Photowatt est le résultat d’un changement brutal d’orientation politique.

Le propre des campagnes électorales est qu’elles sont passagères et la démagogie y coule à flots. Nul ne devrait s’en émouvoir. Le problème tient au contexte de la crise actuelle. D’un côté on sait qu’il existe un surplomb d’emplois hérité de 2008/2009 que les entreprises vont résorber, par des licenciements, si on ne sort pas rapidement de la récession actuelle. Par ailleurs, on sait que si la France veut respecter sa trajectoire de réduction des déficits, l’effort à fournir en 2012 sera plus important qu’en 2011. Enfin l’exemple des pays qui ont déjà emprunté cette voie montre que les efforts fournis ne sont pas payés de retour. Que, dans ce contexte, on feigne de croire qu’on peut interdire les licenciements pour les commodités d’une campagne électorale n’est pas sérieux.