La droite et la Ve république edit

14 avril 2010

Depuis 1962, les attitudes à l’égard des nouvelles institutions se sont distribuées de manière stable sur l’échiquier politique : les gaullistes et leurs héritiers défendaient le régime tandis que la gauche le rejetait. Les premiers se félicitaient de la prééminence retrouvée du pouvoir exécutif, prééminence que la gauche, de manière certes moins appuyée lorsqu’elle était au pouvoir que dans l’opposition, condamnait au nom de son anti-bonapartisme et de sa volonté de restaurer un véritable pouvoir parlementaire. Cette distribution des rôles semble dépassée. La gauche, qui n’a pas voté la réforme constitutionnelle de 2008, n’a cependant plus de propositions concrètes pour atteindre les objectifs qu’elle s’était fixés en matière institutionnelle, se contentant de critiquer l’hyper-présidence de Nicolas Sarkozy. En réalité le débat s’est déplacé vers l’organisation héritière du gaullisme, l’UMP.

En effet, les conflits de plus en plus vifs qui ont éclaté récemment au sein de ce parti à propos du fonctionnement de la Ve République montrent que la droite n’est plus unie sur la simple défense des institutions gaullistes. La réforme de 2008, qui a indéniablement accru les pouvoirs du Parlement, a eu pour conséquence d’initier un débat interne sur une question que les gaullistes pensaient avoir réglée une fois pour toutes, celle de l’équilibre des pouvoirs. Paradoxalement, l’instauration du quinquennat et la pratique présidentielle de Nicolas Sarkozy, en particulier l’effacement du Premier ministre qui, jusque-là, jouait le rôle de chef de la majorité parlementaire, même si le président de la République en exerçait en réalité la direction générale, ont, une fois votée la réforme des institutions, généré un début de renouveau du pouvoir parlementaire. Au point qu’au Parlement, et notamment à l’Assemblée nationale, l’opposition au pouvoir semble aujourd’hui surtout venir du groupe parlementaire de l’UMP.

La question du fonctionnement des institutions devient ainsi un sujet de débat sein de l’UMP. Faut-il établir un nouvel équilibre des pouvoirs qui reconnaisse au Parlement un rôle nouveau sous la Ve république ou faut-il rester fidèle à l’inspiration gaullienne qui entend encadrer l’action parlementaire dans un corset rigide ? Ce débat se développe avec d’autant plus d’intensité que l’attitude du président à l’égard de ses groupes parlementaires est particulièrement contradictoire. Comment comprendre en effet que ce soit la même personne qui ait voulu et pour une bonne part mené à bien, courageusement, la récente réforme institutionnelle et qui, en même temps, entende brider le pouvoir parlementaire autant sinon plus que ses prédécesseurs ? Devant cette contradiction, qui montre l’absence chez Nicolas Sarkozy d’une vision claire et cohérente du fonctionnement du régime, la cacophonie s’est installée au sein de l’UMP. L’on entend, de la part de certaines personnalités de ce parti, des arguments que l’on n’avait pas entendu depuis longtemps, mais qui cette fois sont opposés non à la gauche mais au président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé. N’est-il pas surprenant d’entendre le président de la dite assemblée, Bernard Accoyer, rappeler au remuant patron du groupe UMP que son action « crée une confusion dommageable pour la lisibilité de l’action » et que « l’équilibre institutionnel est malmené » ?

Au centre du débat est la notion chère à Jean-François Copé de coproduction législative. Celui-ci est accusé de conduire son action « à la façon d’un parti politique », ce qui a pour conséquence que « la marge de manœuvre du gouvernement et de ce fait son autorité soient de plus en plus réduites ». Le conflit s’est aiguisé à propos de la proposition de loi déposée par le président du groupe sur l’interdiction du port du voile intégral.

Ce qui est en cause en réalité dans ce débat, c’est la nature même du pouvoir parlementaire dans notre régime, après le vote de la réforme des institutions. Cette réforme doit-elle marquer une véritable inflexion du fonctionnement voire de la nature du régime du point de vue du rapport entre l’exécutif et le législatif ? Il semble que l’Elysée ne le pense pas. Et en tout cas, Bernard Accoyer, paradoxal porte-parole du président, a avancé pour critiquer la position du président de groupe un argument qui mérite d’être analysé : « S’agissant d’une question complexe et sensible comme celle-ci, le gouvernement doit prendre ses responsabilités. Il ne revient pas à un groupe, fût-il temporairement majoritaire, de dire le droit sur des questions de cette nature ». Outre l’étrange confusion qui existe dans ce propos entre l’action législative et l’action juridictionnelle, le contenu est fort intéressant : pour les gaullistes et leurs héritiers, la séparation des pouvoirs n’existe pas et dans ces conditions, l’exécutif doit également avoir l’initiative en matière législative car il dispose seul de la responsabilité politique.

Face à cette vision gaullienne, Jean-François Copé, dans un intéressant et substantiel article publié dans la dernière livraison de la revue Commentaire, développe un point de vue fort différent. Sa position est à la fois très tranchée et en complète opposition avec celle du président de l’Assemblée. Citons quelques passages qui expriment la pensée de son contradicteur : « L’affirmation du Parlement est en cours(…) Depuis la rentrée parlementaire de 2009, les changements s’accélèrent. (…) À ce rythme, le député de 2012 n’aura plus grand-chose à voir après celui de 2007. J’ai eu l’occasion de dire qu’il s’agissait de faire émerger, en face de l’hyperprésident, un hyperparlement. L’enjeu n’est pas de construire un contre-pouvoir mais un pouvoir. Il n’est surtout pas de bloquer l’initiative présidentielle qui doit continuer à donner l’impulsion et à porter les chantiers essentiels. Il est d’apporter une contribution audacieuse et pertinente (…) notamment sur des réformes que l’exécutif n’ose pas lancer (…) Jusqu’à présent, le Parlement était le maillon faible de nos institutions. Il est en train de devenir un levier du changement. Il était temps : on ne peut plus gouverner la France au XXIe siècle comme en 1950 ! » Son audace n’a pas été jusqu’à écrire : comme en 1960 ?

On le voit, l’enjeu de ce débat est crucial et l’on ne peut que regretter que la gauche ne s’y soit pas impliquée réellement. Que ce débat se déroule au sein du parti gaulliste montre à quel point la question institutionnelle est à nouveau ouverte dans notre pays. Ni le quinquennat, ni la révision de 2008 n’ont stabilisé le système. Elles ont au contraire lancé un processus qui est toujours en cours, ce qui montre qu’une fois encore il n’existe pas de consensus institutionnel en France. Au contraire, le dissensus se complexifie. Alors que la gauche, adoptant un mécanisme de primaire ouverte pour désigner son candidat à l’élection présidentielle prend acte de la présidentialisation accrue de notre régime politique, il émane du parti héritier d’une tradition anti-parlementaire forte une demande de renforcement du rôle du Parlement. Ces deux évolutions croisées renforcent l’auteur de cet article dans la conviction que l’aboutissement le plus logique et le plus raisonnable du processus ainsi engagé serait l’instauration d’un véritable régime présidentiel. Dans un tel régime, le président, quelles que soient l’étendue de ses pouvoirs et de sa légitimité, ne pourrait plus se convaincre lui-même qu’il est le seul pouvoir réel au risque, en cas de crise grave, de voir l’ensemble du système menacé de paralysie ou d’illégitimité. Dans un tel régime, notre passé monarchiste ou césarien pourrait être enfin exorcisé sans retomber dans le régime d’Assemblée. Certes, dans la plupart des régimes de démocratie représentative l’évolution a été ces dernières décennies dans le sens d’une présidentialisation accrue et il est vrai que l’exécutif y guide le plus souvent en réalité l’activité législative. Mais en France, ramer un peu à contre-courant ne peut être dangereux tant le bâton a été tordu dans le sens inverse depuis longtemps !

Monsieur Copé lance un vrai débat. Que l’on soit ou non d’accord avec lui, il serait dommage que ne lui soient opposés que le rappel du dogme gaulliste ou le traditionnel argument de la gauche selon lequel il existe des problèmes plus importants pour les Français. Personne n’a intérêt à ce que s’installe en France ce que nos voisins italiens ont nommé il malgovierno !