Les impasses stratégiques du PS et du FN edit

24 mars 2015

Le premier tour des élections départementales a confirmé à la fois la faiblesse et les divisions de la gauche.  Avec un peu plus d’un tiers des suffrages, elle ne représente plus une force d’alternance. Certes, le score global de l’UMP-UDI n’est pas significativement supérieur au sien mais, d’une part, la droite et le centre de gouvernement étaient unis dès le premier tour de scrutin dimanche dernier et pourraient l’être également en 2017 et, d’autre part, comme le montrent les sondages, une partie de l’électorat FN paraît prêt à se mobiliser massivement au second tour en leur faveur en cas de duel droite/gauche.

En outre, si la gauche est faible, elle est aussi divisée. Cette division a entraîné dimanche dernier l’élimination du PS dans de nombreuses circonscriptions au premier tour, ce qui pourrait se reproduire à l’élection présidentielle comme aux élections législatives de 2017.

Face à cette situation, et afin de limiter ses pertes au second tour des départementales, le PS a entonné à nouveau l’hymne de l’unité. Une telle tactique est fort compréhensible et tout à fait logique dans la situation d’aujourd’hui. Mais l’union de la gauche peut-elle dans l’avenir tenir lieu de stratégie pour ce parti ? Ici le doute est permis ! En effet, rien ne dit que dans les deux ans qui viennent le PS réussira à réunir la gauche autour de lui. Tout laisse penser le contraire. Nous avons vu, lors de ce premier tour, que les partis situés à sa gauche préféraient leur propre élimination à une victoire avec le PS. La division de la gauche, en France comme dans d’autres pays, notamment au sud de l’Europe, est durable car elle se fonde sur des désaccords fondamentaux sur la politique économique, la construction européenne, la politique de défense et la conception des alliances internationales. Cette division interdit aux différents partis de la gauche française de former une coalition gouvernementale. Dans ces conditions, la crédibilité électorale de l’union de la gauche est nécessairement très réduite.

En outre, en s’enfermant dans cette gauche réduite aux acquêts et gravement divisée tout en voulant faire vivre un front républicain contre le FN, le PS se place dans une situation d’asymétrie stratégique fort désavantageuse par rapport à la droite. Il s’engage en effet à faire voter au second tour pour les candidats de la droite en cas de duel droite/FN sans engagement de réciprocité. Symétriquement, en cas de duel gauche/droite, la droite bénéficiera largement des voix du FN. La droite de gouvernement gagne donc sur les deux tableaux. Elle n’a nul besoin dans ces conditions d’un quelconque accord avec les socialistes. Or, de deux choses l’une, ou bien le PS estime avoir des intérêts et valeurs en commun avec la droite, puisqu’il fait voter pour elle, et, dans ce cas, il doit rechercher une stratégie dans laquelle il pourrait bénéficier d’une manière ou d’une autre de l’existence de ces convergences. Il lui faudrait alors modifier le mode de scrutin en allant vers la proportionnelle pour s’ouvrir des opportunités nouvelles de revenir au pouvoir, en alliance avec cette droite. Ou bien, il demeure attaché à la stratégie d’union de la gauche qui, dans l’état actuel de celle-ci ne peut déboucher que sur la défaite électorale et une longue période d’opposition, porteuse de déclin.

De l’autre côté de l’échiquier politique, la situation stratégique du FN est, elle aussi, plus difficile qu’il n’y paraît. Le débat qui s’est instauré sur la question de savoir qui était aujourd’hui le premier parti de France, l’UMP ou le FN, n’a pas d’intérêt. Ce n’est pas le score en voix d’un parti qui est décisif mais la manière dont il transforme ces voix en sièges aux différents types de scrutins. Il est indéniable que le FN a encore marqué des points lors de ce premier tour compte tenu du fait qu’il s’agit d’élections locales où il n’avait pas de sortants. Son implantation locale croissante annonce de nouveaux succès en voix dans l’avenir. Mais qu’il rassemble plus ou moins de voix que l’UMP n’a pour lui, en fin de compte, qu’un intérêt limité. Ce parti s’est enfermé dans une stratégie qui a pour but la destruction de l’UMP ou au moins sa domination sur lui. Le général de Gaulle, en créant le RPF en 1947, avait la même stratégie à l’encontre du « régime des partis ». Aux élections municipales suivantes, ses listes dépassèrent 40% des voix. Face au regroupement des partis favorables aux institutions, il ne put rien faire de ses voix. N’ayant pas réussi à obtenir une majorité absolue de sièges aux élections législatives de 1951, il mit en 1953 le RPF en sommeil.

En 2017 comme en 2015, en cas de duel UMP/FN, une partie importante de l’électorat de gauche du premier tour viendra voter en faveur du « candidat républicain » contre le FN au second. Or, le FN ne sera le premier parti de France que le jour où il conquerra la présidence de la République et une majorité à l’Assemblée nationale. Vouloir obtenir seul un tel résultat semble aujourd’hui un objectif déraisonnable avec moins d’un tiers de voix. Dans un système majoritaire, une telle réussite paraît impossible.

Dans ces conditions, seule l’alliance UMP/UDI constitue aujourd’hui la possibilité de l’alternance, celle-ci pouvant compter sur la gauche contre la droite radicale et sur celle-ci contre celle-là. Remarquable positionnement stratégique. C’est la raison pour laquelle, si il est tout à fait exact qu’existe aujourd’hui une tripartition électorale, pour autant, parler d’un tripartisme est plus discutable. En effet, les trois grands partis électoraux ne peuvent aujourd’hui être placés sur le même plan. Seul des trois, l’UMP/UDI peut aujourd’hui gagner à la fois une élection présidentielle et des élections législatives. Jusqu’ici, seuls deux partis le pouvaient, l’UMP et le PS, d’où l’appellation de bipartisme imparfait que Florence Haegel et moi-même avions utilisée pour caractériser notre système partisan. Et effectivement, dans ce système, depuis 1981, seuls ces deux partis ont pu alterner au pouvoir. Aujourd’hui, le PS, pour les raisons susdites, semble perdre sa qualité de parti d’alternance. Certes, cette tendance n’est pas certaine, mais elle est probable compte tenu à la fois de la faiblesse et de la division de la gauche mais aussi de la division du PS lui-même.

Quant au FN, il n’est pas, ou pas encore, un parti d’alternance. Ce qui est donc en cause dans l’avenir, si l’UMP/UDI gagne les élections de 2017, résultat le plus probable, c’est la poursuite même du régime l’alternance que nous avons connu jusqu’ici. Pour l’instant, au niveau gouvernemental, ce qui semble devoir dominer n’est pas le tripartisme mais plutôt le régime du parti dominant. À moins que l’éventuel déclin du PS ne s’accompagne d’un progrès supplémentaire du FN recréant ainsi un bipartisme, mais cette fois entre l’UMP et le FN. Nous n’en sommes pas encore là ! Seul le rétablissement du scrutin proportionnel pourrait changer radicalement la donne. Mais semble-t-il, le pouvoir socialiste y est opposé. Quant à la droite, on la voit mal changer, une fois au pouvoir, un mode de scrutin qui  lui a permis de gagner les élections de 2017, même si une telle vision peut paraître, à courte vue.