Où va l’écologie politique? edit

29 septembre 2021

Yanick Jadot a gagné. À l’issue d’une primaire organisée parmi les sympathisants de l’écologie il l’a finalement emporté, au second tour, sur sa rivale Sandrine Rousseau. Il sera donc le candidat des écologistes à l’élection présidentielle à venir. Quel chemin ont parcouru les Verts depuis leur retentissant succès des européennes de 2019 ? Comment évaluer aujourd’hui la force que représente l’écologie politique dans le champ électoral ? Quelle sera la stratégie d’EELV et de Yannick Jadot dans les échéances électorales de 2022 ?

La période ouverte avec les élections européennes de 2019 a offert à l’écologie politique représentée par EELV et par sa tête de liste Yannick Jadot de nouvelles opportunités dans un contexte marqué par la fréquence et la gravité des désastres environnementaux subis par notre planète et par leur écho quasi quotidien dans les médias de grande diffusion. Pour la première fois la liste des Verts a devancé de très loin celle du Parti socialiste : 13,5% pour la liste menée par Yannick Jadot contre 6,2% pour celle de Raphaël Glucksmann. Or, depuis les élections présidentielle et législatives de 2017 qui ont été marquées par un effondrement sans précédent du Parti socialiste, la perspective d’une écologie politique qui aurait vocation, non seulement à concurrencer la social-démocratie mais purement et simplement à prendre sa place, prend consistance. Les élections municipales de 2020 et régionales de 2021 ont constitué une seconde mise à l’épreuve de la concurrence entre Verts et Socialistes. Mais en raison de leur caractère local, leurs résultats nous renseignent mal sur la question cruciale du rapport de force national entre EELV et le PS. Les victoires enregistrées par les Verts dans plusieurs grandes villes (Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Grenoble...) sont certes spectaculaires. Elles nous indiquent clairement que désormais les électeurs font confiance aux Verts pour gérer par eux-mêmes, c’est-à-dire en tant que détenteurs du mandat de maire, de grandes agglomérations. Mais il faut se souvenir que ces brillants résultats ont toujours été obtenus au détriment de la droite et non dans une compétition avec la gauche, les maires socialistes sortants ayant résisté en général à l’offensive verte (à l’exception de la ville de Poitiers). L’analyse complète des résultats des écologistes lors de ces élections[1] démontre du reste que, là où ils ont présenté des listes, c'est-à-dire dans 12,1% des communes de plus de 3500 habitants, les écologistes (EELV et Ecologistes Divers) ont obtenu 16,5% des suffrages exprimés soit un score voisin de celui des européennes de 2019 (en comptant là aussi EELV et Ecologistes divers). Aux élections départementales de 2020, les écologistes, présents dans environ 300 cantons ont encore obtenu un score du même niveau : 16,4%. On objectera, à raison, que rien ne permet d’affirmer que ces résultats, obtenus dans un sous-ensemble réduit de communes et de cantons, et avec des taux d’abstention élevés[2], soient une mesure du niveau réel de l’écologie politique dans l’ensemble des électeurs inscrits. Il est en effet possible que la présence de listes écologistes dans une commune ou un canton dépende de la ressource en candidats, potentiel lui-même dépendant de l’inclination de cette commune ou de ce canton en faveur de l’écologie politique.

Depuis 2019, une série d’élections, européennes, municipales, départementales, régionales a donc permis de situer un ordre de grandeur du poids électoral de l’écologie politique : environ 16% des suffrages exprimés. Mais dans toutes ces élections les taux d’abstention ont été très élevés, de 50% pour les européennes à 67% pour les régionales. Or les élections présidentielles mobilisent, jusqu’ici, beaucoup plus d’électeurs : au premier tour de la présidentielle de 2017 l’abstention s’élevait à 22%. Aujourd’hui il est bien difficile d’évaluer le taux d’abstention de la prochaine élection présidentielle, mais on peut raisonnablement penser que la participation se situera bien au-dessus des élections européennes, municipales et régionales et que, par conséquent, le corps électoral différera dans sa composition de celui des élections à fort niveau d’abstention. Le « vrai poids » électoral de l’écologie politique ne sera donc connu qu’à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle de 2022. En attendant le verdict des urnes, que peut-on conjecturer aujourd’hui ? 

On se souvient que les élections présidentielles n’ont jamais été un bon terrain pour les écologistes. Leur meilleur score, 5,3%, a été obtenu en 2002 par Noël Mamère, pour les autres élections présidentielles il a été toujours inférieur à 4%, et lors de l’élection présidentielle de 2017, EELV a renoncé pour la première fois à présenter un candidat. Pourtant il est clair que dans la campagne présidentielle qui débute actuellement, les Verts manifestent une ambition et une volonté de réussir très impressionnantes dont le leitmotiv semble être : nous participons pour gagner, il y aura un (une) président (e) écologiste.

L’organisation de primaires de l’écologie destinées à désigner le ou la candidat (e) à l’élection présidentielle a constitué le premier acte de cette stratégie. Pour éviter une candidature écologiste dissidente, les Verts ont organisé une primaire ouverte aux candidats écologistes (et non seulement aux membres d’EELV). Aux candidats attendus (Yannick Jadot et Eric Piolle) se sont donc joints Sandrine Rousseau membre d’EELV, Delphine Batho dirigeante de Génération Ecologie et Jean-Marc Governatori, dirigeant de L'Alliance écologiste indépendante, un mouvement clairement orienté au centre. Pour départager ces candidats un vote à distance a été organisé selon les modalités suivantes : signer son adhésion à une charte des valeurs et verser la somme de deux euros. Au total 122 670 électeurs se sont inscrits à cette primaire qui s’est déroulée en deux tours, du 16 au 19 septembre puis du 25 au 28 septembre. Ce nombre d’inscrits très supérieur aux 33 000 sympathisants inscrits lors de la primaire de 2011 a constitué un premier succès pour les Verts. Il tient sans doute à la présence d’un contexte favorable à la sensibilité environnementale. Il se peut aussi que le malaise des partis de gauche et de droite quant à l’organisation de primaires dans leur propre camp ait contribué à valoriser la primaire des écologistes, et facilité l’affluence de sympathisants et sans doute d’une partie de la gauche. Le fait que trois grandes chaines d’information télévisées (LCI, France info TV et BFMTV) aient contribué à organiser des débats entre les cinq candidats a enfin contribué à légitimer le déroulement de la primaire des Verts.

Au départ de cette confrontation entre candidats à la candidature, on s’attendait à un face à face entre deux conceptions opposées : celle de Yannick Jadot plus consensuelle et plus pragmatique et celle d’Eric Piolle plus clairement orientée à gauche, voire à la gauche de la gauche. Et l’on estimait généralement que parmi les adhérents (environ 12 000) dont le centre de gravité penche nettement à gauche, un candidat tel que Yannick Jadot soupçonné de complaisance pour une écologie ouverte au centre n’avait guère de chances de l’emporter. Mais l’ensemble des quelque 122 000 inscrits à la primaire était-il sur la même position idéologique ? Rien ne permettait de le savoir. Une première surprise des débats a consisté en l’émergence d’autres conceptions de l’écologie politique : celle de Delphine Batho, centrée sur le concept de « décroissance » et celle de Sandrine Rousseau dominée par les thèmes féministes. Et la seconde surprise a été les scores de ces outsiders, Sandrine Rousseau se plaçant en seconde place avec 25,14% des suffrages à peu distance de Yannick Jadot (27,20%) alors que Delphine Batho prenait la troisième place (22,32 %) juste devant Eric Piolle (22,29). Quant à l’écologie du « ni droite ni gauche » défendue par Jean-Marc Governatori elle stagnait à 2,35%.

Le second tour a donc opposé Yannick Jadot et Sandrine Rousseau offrant aux participants la perspective d’un combat symbolique entre une écologie assumée comme « pragmatique » et une écologie revendiquée comme « radicale ». En réalité, les programmes des deux candidats ne présentent pas de différences saillantes dans le degré de radicalité. Mais dans les débats, à nouveau organisés par des chaines de télévision, les postures adoptées par les deux candidats ont bien joué, voire surjoué, des attitudes opposant une « écologie de gouvernement » à une écologie de « radicalité ». La question se posait alors de savoir si le scénario de 2012 dans lequel une Eva Joly « radicale » avait battu un Nicolas Hulot « pragmatique » pour un résultat de 2,31%, allait se reproduire.  La très courte victoire de Yannick Jadot (51%) contre Sandrine Rousseau (49%) rappelle que l’écologie « radicale » continue à prospérer au sein des Verts. Mais le candidat à la primaire, Jadot, s’est, dès son discours de vainqueur, transformé en candidat à la présidentielle visant à de rassembler toute l’écologie sociale, mais aussi, selon lui, des électeurs « humanistes et progressistes ».

Quelles sont donc les perspectives qu’offre finalement la candidature de Yannick Jadot à la prochaine élection présidentielle ? Le premier enjeu consiste à dépasser le seuil de 5% des suffrages exprimés, d’abord pour démontrer les progrès de l’écologie politique par rapport à son meilleur score du passé (5,3 % en 2002) ensuite, et surtout, pour accéder à un remboursement conséquent des frais de campagne. Puis de faire un score supérieur à celui de la candidate du Parti socialiste, enjeu à nouveau symbolique mais en réalité crucial comme expression des rapports de force entre les deux formations. Au-delà se situent les projets, réalistes ou non, de l’écologie politique. Dans cette campagne les Verts vont jouer « gagnants » c'est-à-dire comme s’ils avaient l’espoir sinon la certitude de figurer au second tour, puis de battre le ou la candidat (te) du second tour et enfin, dans la foulée, de gagner les élections législatives avec des candidats se présentant sous la bannière de l’écologie politique. Bref, un scénario bien improbable aujourd’hui, celui d’Emmanuel Macron en 2017. Faute de réaliser cette étape, et à supposer que Yanick Jadot réalise au moins le second objectif (dépasser le Parti socialiste) peut-on penser qu’après la victoire d’un autre candidat (du centre, de droite, d’extrême droite) les élections législatives à suivre pourraient constituer une session de rattrapage ? Une gauche sociale et écologiste unie pour les législatives, dotée d’un programme commun crédible, et s’étant partagée équitablement les circonscriptions législatives à gagner pourrait-elle faire mentir la règle selon laquelle la majorité représentée par le président qui vient d’être élue est toujours confirmée par les élections législatives ? Rien n’est écrit en politique. Mais il est bon de rappeler qu’aux élections législatives de 1997 la gauche dite « plurielle » avait réalisé un score de 43% obtenant ainsi une large majorité à l’Assemblée Nationale. Bien loin, si l’on en croit les sondages publiés aujourd’hui, du niveau actuel de la gauche toutes tendances confondues.

 

[1] Daniel Boy, « Les territoires de l’écologie », Revue politique et parlementaire, 1096, juillet-septembre 2020, pages 161-168.

[2] 57,6% selon nos calculs, dans les communes de plus de 3500 habitants, 66,7% aux départementales