Le sarkozysme est-il un libéralisme ? edit

5 mai 2008

Nicolas Sarkozy est indiscutablement un homme de droite. Est-il pour autant un libéral ? Rien n’est moins sûr, et sa difficulté à trancher n’est peut-être pas étrangère à ses difficultés politiques.

Le libéralisme est une philosophie avant d’être une politique. Il peut toutefois se définir comme une doctrine de la limitation du pouvoir et donc d’accroissement de l’autonomie de la société par rapport à l’Etat. Ce libéralisme peut être économique mais aussi culturel.

Culturellement, le libéralisme renvoie en France à l’héritage de Mai 68. Cet héritage, Sarkozy a pendant toute sa campagne électorale cherché à le dénigrer et à le combattre, ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait cherché à faire. Il y a vu un moyen de conquérir l’électorat du Front National et d’exprimer aussi sa volonté de rupture.

Mais cet affichage antilibéral est paradoxal. Car, de tous les présidents de la Cinquième République, il est culturellement le plus libéral : sa vie privée en témoigne éloquemment. On peut donc dire que ce président qui se voulait antilibéral sur le plan culturel l’est en réalité très profondément. Il l’est d’ailleurs plus qu’un Valéry Giscard d’Estaing qui, idéologiquement était plus libéral que Nicolas Sarkozy mais qui, culturellement, était plus conservateur que lui, même si le vote de la loi Veil en fit un réformateur libéral.

Sur le plan économique, les choses sont plus complexes car le libéralisme économique et le libéralisme culturel se rejoignent sans toutefois se superposer. Et que la France est un des pays où ce clivage est le plus prononcé. Depuis la fin du XIXe siècle, et notamment depuis le vote des lois Méline, la tradition économique libérale française s’est considérablement affaiblie. Depuis cette date, elle n’est d’ailleurs jamais réellement parvenue à se rétablir. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire l’anti-libéralisme n’est pas le seul apanage de la gauche. L’emprise politique du gaullisme et celle plus idéologique du marxisme ont contribué, à partir de 1945, à construire une matrice étatique et nationale puissante qui a dominé la France pendant près de 50 ans. Culturellement, cette matrice a été fortement ébranlée par Mai 68. Mais économiquement, la rupture a été moins forte.

Le désengagement considérable de l’Etat de la vie économique n’a pas pour autant transformé la France en un pays libéral. Même le patronat français compte en son sein une frange corporatiste qui a toujours vu d’un mauvais œil la modernisation des rapports sociaux. La refondation sociale lancée à la fin des années 1990 par le Medef et la CFDT s’est heurtée à l’hostilité conjointe d’une partie du Medef , des autres syndicats et du gouvernement Jospin.

On peut même penser que plus le libéralisme économique pénètre la société, plus la résistance culturelle à celui-ci s’intensifie. Toute autonomisation de la société est vécue par certains comme un abandon aux forces du marché. On le voit bien dans le milieu de la recherche en sciences sociales où l’autonomie des universités est accueillie avec méfiance par certains universitaires pour qui l’autonomie préfigure une marchandisation. De ce point de vue, la mondialisation a non seulement exacerbé la fracture entre libéralisme économique et libéralisme culturel, mais elle a de surcroît légitimé l’antilibéralisme économique.

Nicolas Sarkozy exprime d’une certaine manière les contradictions françaises. Il est indiscutablement libéral quand il vante les mérites de l’initiative personnelle et de la réussite individuelle. Il l’est aussi dans sa critique de l’Etat administratif. Plus que ses prédécesseurs, il est conscient du fait qu’un Etat omnipotent n’est pas forcément un Etat fort. Il n’est d’ailleurs pas impossible de penser qu’il cherche même à affaiblir l’administration quand celle-ci cherche à faire obstacle aux réformes. Mais ce libéralisme reste très ambigu.

Politiquement, Nicolas Sarkozy aurait par exemple  tout intérêt à avoir des ministres forts capables de bousculer leurs administrations. Il ne semble pas pourtant que ce soit toujours le cas. Souvent, en passant par-dessus la tête de ses ministres il affaiblit ces derniers face à leurs administrations. Nicolas Sarkozy est le pur produit d’une culture française très volontariste poussée à l’extrême puisqu’elle valorise la volonté personnelle du président pour atteindre un résultat. Par ailleurs tout en cherchant à valoriser l’initiative privée, les talents individuels et la compétition, il s’est toujours gardé de critiquer ouvertement les comportements antilibéraux de certaines clientèles de droite détentrices de rentes, comme les notaires, les médecins, les pharmaciens, etc.

On touche là l’une des ambiguïtés du sarkozysme. D’un côté il aimerait tant développer une culture entrepreneuriale, mais de l’autre il paraît toujours fasciné par la culture du deal à la française où l’on s’arrange sans modifier forcément les règles du jeu. Ce qui fascine le président c'est le résultat en soi beaucoup moins que la méthode du résultat.  C’est d’ailleurs ce qui pourrait expliquer pourquoi M. Sarkozy semble parfois plus à l’aise avec FO qu’avec la CFDT, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de son Premier ministre. De ce point de vue, il sera intéressant de voir le sort définitif que la majorité présidentielle réservera au projet de loi de Mme Lagarde sur la concurrence. Cette loi est indiscutablement une loi libérale qui cherche à réduire les ententes anti-concurrentielles. Mais rien n’indique que l’UMP soit unanime sur une telle stratégie. Certains débats serrés au sein de la Commission Attali ont d’ailleurs montré que des groupes économiques n’étaient pas favorables au démantèlement de toutes les rentes de situation qui existent en France.

Par ailleurs, et par instinct autant que par nécessité, Nicolas Sarkozy continue à faire croire aux Français que l’Etat peut agir sur la conduite des entreprises mondialisées. Son discours de Gandrange aux salariés de Mittal en témoigne éloquemment. Plus grave encore est son volontarisme sur le pouvoir d’achat et la croissance. Or, sur ce plan Nicolas Sarkozy bute sur les mêmes problèmes que ses prédécesseurs. Il n’est pas parvenu à développer une pédagogie politique qui permettrait de comprendre que l’Etat ne peut pas tout mais que la fin de son omnipotence ne le rendrait pas pour autant inutile. Bien au contraire le président du pouvoir d’achat a renforcé cette croyance dans la toute-puissance du politique , croyance qui débouche inévitablement sur une réelle déception.

Cette difficulté est renforcée par le caractère hétéroclite de l’équipe élyséenne qui compte aussi bien des souverainistes antilibéraux et antieuropéens que des libéraux cohérents. Certes, on dira que le propre du politique est de fédérer les contraires. Mais encore faut-il pouvoir transformer un attelage baroque en stratégie cohérente. Pour le moment, ce résultat est loin d’être acquis et la difficulté de Nicolas Sarkozy à trancher n’est pas étrangère à ses déboires politiques.