Emploi : peut-on croire M. Borloo ? edit

2 juin 2006

Il faut plus d'une heure de travail à un économiste du travail expérimenté pour savoir si la baisse de 210 000 du nombre de chômeurs annoncée par M. Borloo est une bonne nouvelle, ou si au contraire, il y a lieu de déplorer cette évolution.

Commençons par expliquer pourquoi les chiffres ne sont pas réjouissants. Depuis mars 2005, l’emploi salarié (hors secteur agricole, administration, éducation, santé et action sociale) est passé de 15,463 millions à 15,519 millions, soit une hausse de 64 000 salariés ou 0,4% du total de l’emploi privé. Même s’ils sont provisoires, ces chiffres diffusés par l’Insee confirment ce qui avait été dit sur Telos en janvier : pour trois chômeurs sortis des statistiques, un emploi ou moins a été créé. Sur les trois derniers mois, selon ces mêmes chiffres, la hausse a été de 0,1% ce qui confirme que la tendance à la création d’emplois reste constante et faible, sans inflexion notable.

Cette hausse faible de l’emploi provient essentiellement de la progression séculaire des femmes, selon la tendance dégagée par les enquêtes Emploi de 2004 et 2005 : pour 10 personnes de plus dans la population active occupée, 9 sont des femmes. Il est réjouissant de constater qu’il y a plus de femmes employées en France, mais en attribuer la responsabilité à l’action gouvernementale est audacieux.

Le ramdam actuel est donc exagéré : ce qui est vraisemblable, c’est que l’emploi progresse lentement, trop lentement par rapport à nos voisins et aux objectifs de Lisbonne, et que le chômage baisse essentiellement par diminution de la population active. Or, dans un pays où le taux d’emploi est déjà faible, on devrait surtout déplorer le fait que la population active baisse, ce qui est toujours le cas quand la baisse du chômage est plus rapide que la hausse de l’emploi : car un chercheur d’emploi de moins, c’est un futur employé de moins.

Mais pour pouvoir tirer ces conclusions, il faut pouvoir lire et interpréter les chiffres fournis par l’administration, ce qui à l’heure actuelle n’a rien d’évident. La difficulté à saisir ce qui se passe (il faut quatre bases de données publiées séparément sur trois sites différents de l’Insee et de la Dares pour se faire une idée) résulte de l’hyperspécialisation des rédacteurs de ces notes et illustre bien que la production de statistiques étroites l’emporte sur l’analyse utile au débat démocratique. La publication mensuelle de la Dares sur l’emploi ne donne, paradoxe des paradoxes, aucun chiffre d’emploi mais seulement des taux de croissance, en l’occurrence de l’ordre de 0,1% avec une erreur du même ordre. Qui plus est, ces chiffres ne portent que sur les entreprises de plus de 50 salariés. Autant dire qu’on ne peut rien dire de sérieux sur l’emploi une fois que les statistiques mensuelles du chômage sont publiées.

Ensuite, il est impossible de comprendre d’où vient la baisse du chômage : la note mensuelle de la Dares donne le stock de chômage du mois courant, du mois précédent et celui du même mois de l’année précédente. Si on veut comprendre ce qui s’est passé sur un an, notamment au niveau des entrées et sorties du chômage, il faut cumuler toutes les radiations, toutes les sorties pour congé maternité, toutes les reprises d’emplois, etc., au total 10 séries à regarder, mais, ce qui est pire, non pas seulement pour le mois en cours, ou le mois précédent, ou même le mois correspondant de l’année précédente, comme ces chiffres apparaissent dans la note de la DARES, mais pour tous les mois de l’année : cela n’est sûrement un scoop, mais l’évolution des flux sur un an, c’est la somme de tous les flux sur l’année. Donc, pour comprendre ce qui se passe, il faut analyser 120 chiffres environ, qui se trouvent non pas dans une seule note de la Dares, mais 12 notes mensuelles si l’on veut réagir chaque mois, ou quatre notes trimestrielles si on a la patience d’attendre la fin du trimestre.

Mesdames et messieurs de la DARES, votre rôle étant si crucial pour les échéances politiques de 2007, un petit effort : donnez des flux cumulés d’entrées et de sortie dans vos notes (total des radiations depuis un an, etc.) et donnez des estimations de l’évolution mensuelle de l’emploi dans la même note que celle qui annonce les chiffres du chômage. Cela clarifiera bien les débats.