Contrat de travail unique, problèmes multiples edit

8 février 2006

Avec le Contrat première embauche qui suit de peu le Contrat nouvelle embauche, on est naturellement conduit à se demander s’il n’y a pas là l’amorce d’un processus d’unification des contrats dans une formule inspirée du CNE-CPE. Une telle perspective est désormais plausible et l’on murmure que le gouvernement explorerait sérieusement cette voie.

Qu’en penser ? Plusieurs arguments plaident en faveur d’une telle évolution. D’abord, la simplification du droit, presque toujours favorable à son efficacité ; ensuite, l’harmonisation avec la pratique de la plupart de nos voisins européens qui ne connaissent pas la distinction des contrats selon leur durée ; enfin, la synthèse en un même instrument de deux exigences contradictoires de flexibilité et de stabilité puisque, selon toutes probabilités, ce contrat comporterait également une période initiale de deux ans soumise au régime de l’essai professionnel au cours duquel chacun peut rompre librement la relation. Bref, un droit au service de l’économie, donc de l’emploi et par conséquent du plus grand nombre.

De tels arguments convaincront-ils le monde du travail ? Cela semble hautement improbable et pour au moins trois raisons.

En premier lieu, il n’est pas du tout certain que le modèle hérité des années 30 et généralisé au cours des Trente glorieuses, celui de l’emploi stabilisé dans le cadre du contrat à durée indéterminée ( CDI ), soit désormais contre-performant. Une grande majorité des entreprises continue de miser sur la continuité des relations de travail avec leurs salariés sur la base de rapports de confiance - il est révélateur d’observer l’insistance actuelle sur ce thème de la confiance - permettant de valoriser l’investissement en formation. Après une période d’individualisation à tout-va on redécouvre progressivement les vertus d’une collectivité de travail soudée par le temps.

Mais, dira-t-on, le contrat unique qui serait un CDI ne remet pas du tout en cause ce modèle ! C’est vrai, en principe. En pratique, on peut néanmoins craindre que la période de totale précarité initiale n’induise de proche en proche des effets déstabilisateurs. D’abord, par recours beaucoup plus aisé qu’à l’heure actuelle à des contrats à durée déterminée qui, orphelins de leur statut protecteur, viendront se glisser sous le manteau de l’essai initial. Il y a fort à parier que la période minimale qui sera fixée cas par cas se trouvera ajustée à cet objectif. On imagine déjà les contrats conclus pour un minimum de… 8 ou 15 jours ! Et puis, il sera tout de même très tentant de mettre les salariés sous pression maximale avant de s’en séparer avant l’échéance pour recommencer avec d’autres et ainsi de suite. Même les entreprises les plus scrupuleuses résisteront-elles à semblable tentation extraordinairement forte au risque de leur propre déstabilisation interne… à terme ? Le vrai danger serait alors que le CDI ne devienne ce qu’il est déjà, en fait, dans le CNE et le CPE, à savoir une promesse hypothétique de CDI. Avant toute généralisation, il conviendrait au moins de se donner un temps suffisant pour évaluer les pratiques.

Enfin, si la « mobilité » se réalisait par la vertu d’un tel système, il resterait à mettre en place un véritable régime de protection pour les salariés voués à sauter d’un emploi à l’autre. La « sécurité sociale professionnelle » est une réponse mais, pour l’heure, magique. Elle serait en effet fondée sur une protection rattachée non plus à l’emploi mais à la personne. Ce qui veut dire que l’introduction d’une dose nettement accrue de flexibilité statutaire appellerait, et appelle déjà, un changement global très lourd d’implications multiples. Sous ce rapport, les mesures actuellement initiées dans cadre du CNE, CPE relèvent du complet bricolage pour ne pas dire du colmatage.

On n’imagine pas que s’agissant d’un tel tournant de l’histoire sociale, les partenaires sociaux ne soient pas étroitement associés à la définition de ses modalités et conditions. Si une telle perspective ne les enthousiasme guère, il n’est pas certain qu’ils l’écartent d’un revers de main dès lors qu’elle s’inscrirait sous l’horizon d’un pacte social sur l’emploi. A défaut, la menace de troubles sociaux sérieux n’est pas à exclure.