Résilience et dynamiques: la capacité de réaction de l’Occident edit

8 avril 2020

La crise du Covid-19 traduirait selon de nombreux observateurs le déclin de l’Occident et la bascule de leadership vers l’Asie et notamment la Chine. Personne n’aurait cru possible de voir les scènes de désordre actuelles en Italie, en Espagne, en France ou même aux États-Unis. La pénurie de masques, l’indisponibilité de tests, les cafouillages dans la prise de décision publique ou encore les défaillances dans la coordination internationale et plus particulièrement européenne seraient la preuve des symptômes d’une perte de leadership dans le monde au profit des pays asiatiques qui, de leur côté, seraient en mesure de nous porter assistance. La Chine apparaîtrait en sauveur de pays occidentaux aux abois.

Si les dysfonctionnements de nos démocraties occidentales sont flagrants, il conviendrait néanmoins d’être prudent sur les conclusions à tirer dans un contexte où la crise est avant tout une crise importée, mal gérée au départ par un pouvoir chinois qui a masqué la réalité. La censure opérée par ce dernier, les conditions sanitaires déplorables dans le pays (seulement la moitié de la population bénéficie de l’assainissement et un tiers n’a pas accès à l’eau potable), la mise au pas de la recherche et de la médecine empêchant de trouver des solutions rapides (le docteur Li Wenliang accusé de propager des rumeurs anti chinoises alors qu’il ne faisait qu’alerter sur la dangerosité du virus), l’incapacité à évaluer le nombre précis de personnes infectées et de décès sont les signes d’un colosse aux pieds d’argile, pour reprendre la thèse de Dominique Jolly dans son livre datant de 2014 .

A contrario, l’Occident, malgré ses atermoiements, démontre une résilience étonnante malgré les informations partielles dont il disposait jusqu’à très récemment encore sur le virus. La vitalité du monde occidental mérite d’être soulignée autour de trois dimensions essentielles.

Premièrement, notre système médical, en particulier en France, est étonnamment dynamique et ce malgré des moyens limités. En très peu de temps, la recherche a su se mettre en mouvement pour chercher un remède à cette nouvelle maladie. Les débats autour des résultats du professeur Raoult et l’intérêt ou non du recours aux traitements à base de chloroquine sont un des exemples parmi d’autres des dynamiques en cours entre expérimentations et discussions scientifiques contradictoires qui nourrissent la recherche. La connaissance est un bien public en Occident par opposition aux pays non démocratiques et c’est cette connaissance qui certainement permettra de trouver le vaccin ou tout du moins d’atténuer la dangerosité du virus. Le déploiement large et rapide des savoirs nouveaux est une condition fondamentale de la réussite de notre civilisation. L’économie de la connaissance est une dimension de notre système et certainement sa principale force.

Deuxièmement, la digitalisation ou la numérisation de nos économies est en marche. Qui aurait imaginé qu’un confinement d’une grande partie de la population active n’obère pas quasiment totalement la capacité des forces productives à poursuivre leur activité ? Or même confinée, une partie non négligeable de cette population parvient à travailler. Le télétravail est une réalité pour de nombreux salariés et cela produit de l’intelligence collective. Des communautés s’auto-organisent, réagissent instantanément à un message, peuvent communiquer, s’entraider, débattre entre elles et trouver des solutions à des problèmes rencontrés. En mode gestion de crise, cette intelligence collective met à mal les silos de l’ancien temps et permet de créer des task forces  de réponse rapides et adaptées aux enjeux actuels. Preuve de sa résilience, l’Occident aura ainsi vécu en quelques mois une forme de transition numérique qui sera source potentielle de croissance et d’amélioration du bien-être au travail au lendemain de la crise ; même si cela n’effacera jamais le coût humain terrible de la pandémie.

Enfin, plusieurs intellectuels de renom international avaient signé en 2017 un livre intitulé L’Âge de la régression en parlant de notre Occident. Montée des populismes, épuisement de nos démocraties, effondrement de nos élites, mécanismes d’exclusion, processus de dé-civilisation et résurgence de la violence, l’image qui surgissait des différentes contributions évoquait un grand retour en arrière. La période anxiogène que nous traversons aurait dû renforcer la noirceur de ce tableau. Certes, les propos de certains chefs d’État sont regrettables. On observe aussi des comportements incivils dans certains endroits. Néanmoins, un certain nombre d’États a su faire preuve de réactivité et ont été à l’écoute de la communauté scientifique. Des patients français et italiens sont accueillis dans les hôpitaux allemands, suisses et luxembourgeois ; tandis qu’un essai paneuropéen (baptisé Discovery) est mené pour trouver des traitements efficaces face au COVID19. Même si les discussions en cours montrent la persistance de difficultés à pousser la solidarité au-delà d’un certain cran, les États européens pourraient même réussir là où ils avaient échoué lors de la crise de l’euro, c’est-à-dire apporter une réponse commune et crédible sur le plan économique. D’ores et déjà, en France et ailleurs, des sommes inouïes ont été injectées dans l’économie pour soutenir les populations et notamment les plus fragiles. Des élans de générosité se font jour de la part d’entreprises et de l’ensemble des populations. Les industriels français se mobilisent derrière Air Liquide pour fournir en urgence 10 000 respirateurs d’ici à mi-mai. Des appels aux dons s’organisent. En France, on observe une forte hausse des inscriptions à la réserve sanitaire. Le nombre de volontaires a doublé entre le début de la crise et aujourd’hui, d’après Santé Publique France. La période est ainsi plus à la solidarité qu’au repli sur soi.

Face à la critique systématique de l’Occident, un « bashing » renforcé avec la crise du Covid-19, il convient de relever la tête et de garder espoir. Face aux maux du temps, à la dérive nationaliste, aux « fake news », la résilience actuelle organisée autour de l’économie de la connaissance, de la digitalisation et des mécanismes inclusifs permet d’explorer des voies d’une sortie de crise et du retour de l’Occident. Ce dernier n’est pas dans une impasse mais à un carrefour. Attendons donc de voir qui aura raison, les déclinologues ou les optimistes dont nous faisons partie.