Présidentielles : le chiffrage pour les nuls edit

20 février 2007

Une semaine de débat sur le chiffrage des projets des candidats n'a pas apporté beaucoup de lumière. Il se trouve même des politiques et des économistes pour en contester le principe, au nom de l'idée qu'on ne peut réduire l'ambition présidentielle à la froide logique des comptables. En France ou ailleurs, l'argument a déjà beaucoup servi, généralement comme alibi à des promesses intenables. Pourtant, il n'est pas si difficile de se donner des repères dans la jungle de chiffres. C'est au moins ce que suggère un petit kit de chiffrage pour citoyens désorientés.

Commençons par la croissance, puisque qu'elle détermine le niveau des recettes. Au cours des cinq dernières années, elle a été de 1,7% par an. Pour l'avenir, les estimations récentes de la croissance potentielle (c'est-à-dire à taux de chômage constant et compte tenu d'un relèvement attendu de la productivité) se situent un peu au-dessus de 2% par an. Il est souhaitable de faire mieux, pour réduire le chômage, mais l'évolution récente invite à la prudence. Il est aussi possible de faire moins bien, notamment si les conditions internationales, qui ont été exceptionnellement favorables ces dernières années, se détériorent. Retenons 2,25%, pour n'être pas accusé de malthusianisme.

2,25% de croissance sur cinq ans représentent une augmentation d'un peu plus de 210 milliards du PIB à horizon 2012 (en euros 2006). Il est commode de raisonner systématiquement à cet horizon, qui est celui de la mise en œuvre des programmes. A taux de prélèvements obligatoires constant, la moitié de ces 210 milliards iront aux caisses publiques (le taux de prélèvements est de 44% mais l'Etat dispose de ressources additionnelles), soit 105 milliards de recettes supplémentaires en fin de législature, qui peuvent être consacrés à baisser les impôts, à réduire le déficit ou à accroître les dépenses.

Il est parfois difficile de chiffrer l'impact budgétaire des réductions d'impôts, parce qu'une baisse du taux ne s'accompagne pas nécessairement d'une baisse proportionnelle de la recette. Mais tout devient facile lorsqu'on raisonne en prélèvements obligatoires : cela revient à supposer que si d'aventure le rendement des prélèvements augmente (comme cela a été le cas récemment), les recettes supplémentaires seront recyclées en baisses d'impôts ou de cotisations sociales. Or c'est bien ainsi que raisonnent les deux principaux candidats : Ségolène Royal est très claire, elle maintiendra les prélèvements et Nicolas Sarkozy entend, lui, les réduire de quatre points (80 milliards), mais on ne sait pas en combien de temps puisque ses déclarations ont beaucoup varié sur ce point. Le calcul, en tous cas, est simple : un point de prélèvements en moins réduit les recettes disponibles de 20 milliards.

Côté dette aussi, l'arithmétique est reine. Le déficit actuel des comptes publics (2,6% du PIB) n'est pas loin de celui (2,4% environ) qui stabilise le ratio de dette publique aux alentours de 65% du PIB. Une fois ce seuil atteint, la dette augmente, mais croissance et inflation font également progresser le PIB, si bien que le rapport entre les deux ne change pas – sauf sous l'effet de privatisations et autres cessions d'actifs qui, comme cela a été fait en 2006, réduisent d'un même montant l'actif et le passif, et n'améliorent donc pas la situation patrimoniale de l'Etat. Si l'on exclut ce type de mesures, et en supposant, ce qui est réaliste, une évolution régulière du déficit, chaque point de dette en moins à l'horizon 2012 coûte de l'ordre de 8 milliards.

Côté dépenses, enfin, les choses sont un peu plus compliquées. Il faut en effet commencer par apprécier leur évolution spontanée. Au cours des années récentes, la tendance a été voisine de 2%, mais ce chiffre résulte à la fois des tendances lourdes et des décisions prises. Pour évaluer les marges de manœuvre, il faut décomposer les évolutions. Sur les bientôt 1000 milliards de dépenses publiques annuelles (le seuil sera atteint cette année), environ 40% relèvent de l'Etat et de ses démembrements, 40% des organismes sociaux et un peu moins de 20% des collectivités locales. Le gouvernement ne contrôle donc directement que 40% des dépenses, beaucoup moins en réalité si l'on tient compte des intérêts de la dette publique, des retraites de la fonction publique et des traitements des fonctionnaires en place. Il ne peut infléchir les dépenses sociales qu'indirectement, par des mesures d'économie sur l'assurance-maladie ou des réformes des retraites. Quant aux dépenses des collectivités locales, il ne les contrôle pas.

La croissance spontanée des dépenses sociales est plus forte que celle du PIB pour la santé, à peu près parallèle pour les retraites. Quant aux dépenses des collectivités locales, elles ont fortement progressé depuis dix ans. Admettons que ces dynamiques s'assagissent et que l'ensemble des dépenses sociales et locales progressent au rythme (inférieur à la croissance du PIB) de 2% par an au cours des cinq années à venir. Cela représente 60 milliards à l'horizon 2012. Côté Etat, la tendance des dépenses est nettement inférieure à la croissance du PIB, mais il est difficile de démêler ce qui relève d'évolutions spontanées, de modifications de périmètre et de choix d'orientation. Supposons que la progression des dépenses, avant redéploiements et mesures nouvelles, puisse être contenue à 1% par an seulement. Cela représente 20 milliards supplémentaires. Soit, au total, 80 milliards de hausse tendancielle des dépenses.

Il est temps de faire les additions. Sur 105 milliards attendus de la croissance, 80 iront sans doute à la croissance spontanée des dépenses, et 25 environ resteront donc disponibles pour baisser les prélèvements obligatoires (à 20 milliards le point), réduire la dette publique (à 8 milliards le point) et financer les dépenses nouvelles. Autant dire que les marges de manœuvre sont plus étroites que ne semblent le croire les deux principaux candidats, à en juger par le chiffrage de leurs annonces effectué par www.debat2007.fr.

Cette évaluation n'est pas pessimiste. Elle repose sur l'hypothèse que la croissance se redressera et que l'évolution spontanée des dépenses sera contenue. Elle n'envisage pas qu'une forte appréciation de l'euro bride la croissance ou que la dégradation de la compétitivité française la maintienne en-dessous de celle de nos partenaires. Elle écarte le risque, pourtant important, d'une hausse des taux d'intérêt mondiaux (coût : 12 milliards le point). Il est vrai qu'elle ne suppose pas non plus que les réformes envisagées produiront des miracles, mais rares sont les réformes qui ont cet effet. Quand bien même accélèreraient-elles la croissance, leur effet sera progressif.

Cette évaluation n'implique pas non plus que rien n'est possible. Elle indique seulement que pour dégager des marges de manœuvre supplémentaires, il ne suffit pas de prôner une gestion rigoureuse. Ce que les électeurs sont en droit d'attendre des candidats est d'abord qu'ils disent clairement comment ils entendent allouer les 25 milliards disponibles entre dépenses nouvelles, baisses de prélèvements et désendettement et ensuite, s'ils veulent aller plus loin, qu'ils définissent précisément les gisements d'économies qu'ils entendent exploiter, par quelles mesures, et pour quel rendement. A moins, et ce ne serait pas honteux, qu'ils considèrent nécessaire d'augmenter les prélèvements pour financer leurs priorités.

L'enjeu d'une élection présidentielle, dira-t-on, est d'une autre nature. Il s'agit de diagnostic et d'orientation, de vision, de valeurs. Certainement. Mais alors, pourquoi les candidats ont-ils eux-mêmes ouvert le grand livre des promesses ? Personne ne les y forçait. Maintenant qu'ils l'ont fait, il faut bien qu'ils passent au chapitre des moyens et répondent à des questions simples : veulent-ils réduire les prélèvements, et de combien ? veulent-ils réduire la dette publique, et de combien ? quelles nouvelles dépenses inscrivent-ils à leur programme ? Par quelles économies entendent-ils les financer ?