Premières leçons du 22 avril edit

23 avril 2007

Les résultats du 22 avril tranchent les nombreux débats qui depuis plusieurs années portent sur le rapport des Français à leur système politique et que l’élection présidentielle de 2002 avait amplifiés.

Première leçon : non, les Français ne se désintéressent pas de la politique. Non, ils n’ont pas rompu avec leur système politique. Ils ont au contraire plébiscité l’élection présidentielle, confirmant ainsi, contre les tenants d’un renforcement du parlementarisme, qu’il s’agit bien de l’élection centrale du système politique et qu’ils ont bien intégré le fait que l’instauration du quinquennat renforçait encore au sein de l’exécutif les pouvoirs du président. Au moyen de cette élection, les Français, inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants, ont envoyé un double signal aux politiques : écoutez-nous et apportez-nous des solutions. En votant dans une proportion de près de 85%, autant qu’à la première élection présidentielle de 1965, ils ont conforté le régime de la Cinquième République.

Seconde leçon : à la différence de 2002, les angoisses des Français n’ont pas été exprimées au moyen d’un vote protestataire. C’est aux grands partis de gouvernement et à leurs candidats que les Français ont donné sinon leur confiance au moins le mandat de gérer les affaires de la France et de trouver des solutions aux problèmes du pays. A eux trois les candidats qui représentaient les trois partis qui ont gouverné la France depuis les années 1970 ont totalisé plus des trois-quarts des suffrages. Les extrêmes (gauche et droite) ont totalisé 16% contre 30% en 2002. C’est bien aux partis centraux que les électeurs se sont adressés, rejetant les solutions irréalistes et dangereuses des extrêmes. Conscients de la difficulté de la situation, ils ont préféré les candidats des partis qui ont une expérience de gouvernement. De ce point de vue, il s’agit d’une normalisation de la situation française par rapport aux autres pays européens.

Troisième leçon : la bipolarisation gauche/droite continue de structurer le fonctionnement du système politique français. Le second tour opposera le candidat du principal parti de droite à la candidate du principal parti de gauche. Le ni gauche ni droite de François Bayrou n’a pas fait éclater le clivage qui depuis plus de trente ans structure le fonctionnement du système politique français. Quel que soit le niveau particulièrement élevé de son score, qui passe de près de 7% en 2002 à près de 19% en 2007, François Bayrou a perdu son pari. N’étant pas au second tour, sa capacité à transformer profondément le système politique français s’en trouve très fortement affaiblie. Voulant créer un parti centriste autonome, il va subir les effets puissants du mode de scrutin législatif. Que restera-t-il de l’UDF après ces élections s’il n’a pas clairement choisi son camp, ce que précisément il se refusera probablement de faire ? Ce qui a fait sa force – le ni gauche ni droite – fait aujourd’hui sa faiblesse, pris dans l’étau de la rebipolarisation. Plusieurs députés UDF sortants se sont déjà prononcés en faveur de l’alliance avec l’UMP. Quant à la candidate socialiste, elle n’a pas appelé à un rapprochement avec l’UDF. Ce parti, isolé, risque d’être marginalisé en sièges aux législatives, à moins d’un retour au bercail de la droite qui signerait l’échec de la stratégie du leader centriste et renforcerait encore la bipolarisation.

Quatrième leçon : l’évolution du système de partis français vers le bipartisme. La bipolarisation ne signifiait pas seulement l’organisation de ce système autour du clivage gauche/droite, elle consistait en l’opposition de deux alliances politiques et électorales. D’un côté l’alliance des deux grands partis de droite RPR/UDF, et de l’autres l’alliance entre le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts et les radicaux de gauche.

Depuis 2002, ce système d’alliances s’est effondré pour plusieurs raisons : le caractère de plus en plus dominant des deux grands partis, mal supporté par leurs alliés, notamment à droite où la fondation de l’UMP a été prise pour une volonté de marginaliser l’UDF, ce qu’elle était en effet. Mais aussi la marginalisation progressive des partis anciens partenaires des deux grands partis. Les résultats du 22 avril renforcent la tendance au bipartisme, c’est-à-dire au contrôle du système par les deux grands partis. Jamais depuis 1974, les deux candidats arrivés en tête n’avaient atteint le score cumulé de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal : près de 57%. Et encore, en 1974, François Mitterrand était-il le candidat unique de la gauche du programme commun.

Ces résultats confirment le caractère structurant de l’élection présidentielle. La nature des deux grands partis est devenue progressivement différente de celle des autres partis. Leurs présidentialisation, la manière dont ils ont occupé de longs mois le paysage politique dans la préparation de l’élection présidentielle, le choix de leur candidat respectif et la manière dont elle s’est opérée, tout cela conforte leur position de grands partis présidentiels. L’un et l’autre, le 22 avril, ont occupé mieux que jamais leur espace, à gauche pour la candidate du PS qui, en faisant progresser le score socialiste de 10 points entre 2002 et 2007, avec 70% des voix de gauche, n’a plus d’adversaire conséquent sur sa gauche, à droite pour le candidat de l’UMP, qui en faisant progresser de 11 points son score par rapport à celui de Jacques Chirac et en ramenant l’extrême-droite de près de 20% à un peu plus de 10%, inflige à Jean-Marie Le Pen le coup décisif que François Mitterrand avait infligé à Georges Marchais en 1981. L’UMP n’a plus d’ennemi dangereux à droite et représente près des trois quarts de l’électorat de droite. Mais en même temps, n’ayant plus d’alliés potentiels à la fois puissants, disponibles et peut-être nécessaires, les deux grands partis sont obligés de jouer la carte du bipartisme, c’est-à-dire de jouer cette élection à quatre tours qu’est la séquence présidentielle-législative en tentant de s’emparer à la fois de la présidence de la République et d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Pour y parvenir, les deux grands doivent être capables de gagner sur le centre au second tour après avoir neutralisé leurs extrêmes au premier. C’est ici que l’équation Bayrou doit être examinée.

Cinquième leçon : les deux grands partis doivent devenir plus divers et plus ouverts pour imposer clairement un système bipartisan en France. Le score de François Bayrou, s’il n’est peut-être pas de nature à remettre en cause l’évolution vers le bipartisme, montre que cette évolution peut être accélérée ou freinée selon que les deux grands partis prennent en compte ou non la demande exprimée par les électeurs qui ont voté au centre.

Cette demande est une demande de pluralisme, de transformation des deux partis dans un sens plus ouvert et aussi plus lucide sur les défis que la mondialisation pose au pays. En attendant une analyse plus fine de cet électorat, il est clair que les électeurs de centre-gauche sont en attente d’un parti socialiste enfin capable de mieux prendre en compte dans ses analyses et son projet l’insertion de la France dans l’Europe et dans le monde. Le Parti socialiste ne peut plus voir dans l’alliance à gauche la seule stratégie possible. Il doit faire fond sur lui-même pour se transformer, se moderniser, acquérir à nouveau une crédibilité de gouvernement. Certes, Ségolène Royal a fait quelques pas dans cette direction mais il reste fort à faire pour sortir la gauche d’un étiage de moins de 40 % qui rend toute perspective de victoire électorale très incertaine. La gauche demeure relativement faible et fragile même si la candidate socialiste a rempli son contrat.

Un système bipartisan ne signifie pas nécessairement des alternances régulières des deux partis au pouvoir. Le Parti socialiste doit envisager les moyens nécessaires pour revenir au pouvoir. Cela passe par une profonde réforme de son identité. Si Ségolène Royal est battue le 6 mai, et même dans le cas contraire, le Parti socialiste devra enfin faire sa mue et sortir de son isolement au sein du mouvement socialiste européen.

Quant aux électeurs de centre droit qui ont voté en faveur de François Bayrou, ils ont envoyé un signal à l’UMP. Celle-ci devra mieux assumer l’identité pour partie centriste qui a présidé politiquement à sa naissance en 2002 et instaurer un pluralisme interne qui n’est ni dans la nature de l’ancien parti gaulliste ni peut-être dans le tempérament de son leader.

Ainsi l’on peut analyser le bon score de François Bayrou de deux manières : soit comme la préfiguration de la création d’un parti centriste autonome qui pourrait faire obstacle au duopole des deux grands partis, soit comme l’appel d’une partie importante de l’électorat français à la transformation et à la modernisation des deux grands partis, un appel en quelque sorte à un bipartisme durable à condition d’être plus représentatif de la diversité de grande majorité des électeurs français prête jouer le jeu de l’alternance entre deux grands partis de gouvernement, ce qui est la situation la plus fréquente dans les grandes démocraties. La parole est désormais aux dirigeants de ces partis.