Le moment #MeToo de LFI edit

Écriture acérée, d’une lecture agréable, agrémentée de nombreux témoignages inédits et de révélations édifiantes, La Meute est assurément un ouvrage écrit pour marquer les esprits. Par conséquent, c’est bien de lui que tous les médias bruissent depuis quelques semaines ; lui que ses auteurs – Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, respectivement journalistes politiques à Libération et au Monde – promeuvent sur de nombreux plateaux de télévision et au cours d’émissions de radio ; lui enfin que le public plébiscite en librairie. À dire vrai, le sujet vaut le détour : une enquête fouillée, des centaines de personnes interrogées – certaines anonymement, mais beaucoup à visage découvert – décrivent le fonctionnement de La France insoumise, mouvement politique phare de la gauche radicale, et de son fondateur, Jean-Luc Mélenchon : trois présidentielles au compteur, sans doute bientôt une quatrième et 22% des voix à la dernière ; le seul personnage à gauche d’un niveau « Ligue des champions » pour 2027.
Mais de quoi s’agit-il au juste derrière ces presque 350 pages d’enquête ? D’un objet hybride dont, en réalité, on ne sait pas bien quoi penser tant il échappe aux catégories habituelles, mais émarge pourtant à des registres bien établis : il ne s’agit pas d’une biographie ni d’une histoire intellectuelle et politique de Jean-Luc Mélenchon, même si la première partie campe L’homme ; pas non plus un livre politique qui décrirait le programme et les stratégies du parti, bien que cela fasse l’objet de la partie 2, Le mouvement. Il n’est en rien une sociologie des cadres et des militants de LFI dont on n’apprend finalement assez peu d’eux-mêmes et des ressorts de leur engagement. Cela ne s’apparente pas non plus au pamphlet puisque cette enquête journalistique se veut la plus objective possible, mais qu’elle réalise en réalité une démolition en règle de LFI, de son fondateur et de ses proches.
Pour tout dire, voilà une enquête instruite à charge, rarement à décharge, quand bien même ses auteurs se récriront de tels propos nous expliquant qu’ils sont allés vers ce mouvement compliqué avec des idées simples et un cœur sûrement pur. On en doute un peu. D’abord parce qu'une partie des faits était déjà connue et qu’on n’apprend pas grand chose au-delà de ce que toute personne un peu lucide et informée sait déjà ou peut déduire par elle-même du cirque que nous propose LFI depuis des années. Songeons seulement à l’excellente enquête du journaliste de Marianne Hadrien Mathoux, Mélenchon, la chute, publié en 2020 et qui montre peu ou prou la même chose ; au moins Charlotte Belaïch et Olivier Pérou ont-ils le mérite de rassembler toutes les informations disponibles dans une seule base de données particulièrement fournie. Ensuite parce du titre de l’ouvrage à celui des différentes parties – Les pions, La violence, L’impunité, La dérive – tout est fait pour nous décrire non pas un mouvement politique, mais bien une secte au service exclusif de son leader : L’homme, campé au départ ; celui de qui tout procède et vers qui tout converge. Si bien que l’ouvrage ressort d’un genre particulier, la dénonciation d’un scandale sur fond de révélations obtenues par des témoignages internes.
S’il faut trouver une comparaison, cet ouvrage s’apparente à ce qu’a représenté, dans le domaine de la santé publique, la publication du livre-choc du journaliste Victor Castanet – prix Albert Londres 2022 –, Les Fossoyeurs, sous-titré Révélations sur le système qui maltraite nos aînés, et consacré à ce qu’on a alors appelé « le scandale Orpea », du nom de ce groupe privé d’Ehpad obsédé par la maximalisation de ses profits au détriment du bien-être et de la santé de ses résidents. Il y a, avec La Meute, une croyance identique dans le pouvoir performatif du livre qui pourrait être sous-titré, lui aussi, Révélations sur le système qui maltraite ses militants. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la mise à nu des rouages d’un système qui broie ceux qui s’engagent pour lui et les rejette dès l’instant où ils deviennent critiques du fonctionnement ou de la ligne du grand Timonier. Ce dernier est décrit comme fasciné par les pouvoirs autoritaires (Syrie, Chine, Russie, Venezuela…), s'embarrassant peu de démocratie interne, comme autrefois au Parti socialiste, et ne jugeant de l’utilité politique de ses cadres que par leur degré d’inféodation à sa personne. Ce qui permet la promotion croissante d’incompétents notoires, comme le député Sébastien Delogu capable d’une phrase telle que « Mélenchon, c’est Dieu, et moi, je suis le fils de Dieu »...
On remarquera pourtant que le tableau qu’il nous est donné d’admirer n’est pas éclairé depuis l’intérieur du motif représenté, ce qu’auraient constitué une immersion ou des entretiens avec les cadres du mouvement et son leader (qui n’a pas accepté de répondre aux auteurs), mais bien de l’extérieur. Toutefois, c’est une lumière sombre et amère qui arrive jusqu’à nous, celle des purgés, des bannis, des repentis de la secte. Ce sont eux qui témoignent. Si bien que La Meute représente un peu le livre noir du mélenchonisme, comme il a existé d’autres Livre noir (de l’extermination des juifs, ou du communisme) : un rapport d’enquête implacable sur une série de crimes. C’est précisément ce qui constitue l'intérêt de La Meute, mais limite, en réalité, sa portée. Et qui empêche au final de s’extasier sur la performance des auteurs, aussi honnêtes intellectuellement soient-ils. À ce sujet, mentionnons que depuis la sortie du livre, Charlotte Belaïch a été largement prise à partie dans l'espace numérique par les suppôts de Jean-Luc Mélenchon sous la forme d’un insupportable antisémitisme ; c’est aussi cela la meute… Pendant ce temps, le même Mélenchon réclame un silence total sur l’ouvrage par lequel il dit ne pas vouloir être « abîmé ». Mutisme officiel, hallali officieux.
Il y a donc bien un risque à dénoncer les « crimes » du mélenchonisme. Mais s’agit-il vraiment de crimes ? Contre qui et contre quoi ? Contre la probité de ses militants et l’intelligence de ses électeurs, sans doute. Mais au-delà ? En effet, la brutalité des enjeux de pouvoir en politique n’est ni nouvelle, ni propre à LFI. C’est donc bien dans le rapport entre ce que représente La France insoumise ou son chef et la réalité du mouvement que vient se loger la désillusion des bannis de l’organisation. Mais en quoi est-ce nouveau ou répréhensible ? C’est là que les auteurs, et peut-être aussi les lecteurs qui se sont massivement emparés du livre, nous semblent commettre deux erreurs comme autant de limites à l’intérêt suscité par cette publication. La première tient à la psychologisation excessive de la chose politique à travers la seule personnalité de ses principaux acteurs ; la deuxième porte, par conséquent, sur la transformation du journalisme politique tel qu'on la repère dans l’ouvrage. Ce qui interroge pour conclure sur l’utilité politique d'une telle enquête.
La première des limites, la plus importante à nos yeux, tient à la nature de l’ouvrage qui procède d’une psychologisation de la politique, comme cela est de plus en plus souvent le cas de la part de journalistes politiques. On peut faire remonter l’inauguration du genre à la publication de La Nuit du Fouquet’s, ce petit livre coécrit par Ariane Chemin et Judith Perrignon en 2007. En greffières sourcilleuses, les deux journalistes scrutaient la liste des présents à la soirée organisée au Fouquet’s par l'épouse de Nicolas Sarkozy le soir de sa victoire à la présidentielle. Révélations essentiellement people, le livre avait néanmoins l'ambition d’opposer le récit sarkozyste à la réalité des intérêts de classe qui l’avaient soutenu dans sa conquête du pouvoir et dont on imaginait qu’il allait bien devoir les remercier d'une façon ou d’une autre. Rien de tel avec La Meute. En effet, résumant toute l’entreprise politique de Jean-Luc Mélenchon à un égotisme monomaniaque, les auteurs décrivent un homme tourné vers un seul but, être président. Peu de convictions chez ce leader, si ce n’est sa persuasion d’être le meilleur et sa volonté d’arrimer son destin à ce talent personnel. Il s’autoriserait de cette prééminence pour maltraiter ses affidés, les purger à sa guise et déléguer auprès d’eux force commissaires politiques imposant leur rectitude du même nom, aidé, au plus haut niveau, par Sophia Chikirou, « la femme du chef » telle qu’elle se présente elle-même.
On ne prétendra pas que tout cela soit faux ; c’est tout à fait juste au contraire. Mais c’est juste un peu court. Trop peu de politique dans la politique de Mélenchon ; trop d’affects. Ce qui rend incompréhensible à la fois la place que lui et le projet de La France insoumise occupent dans la politique française, mais aussi le rôle que jouent les idées et la stratégie politique dans leur hégémonie à gauche. Où est l’idéologie dans cette enquête qui ne parle que tactique et ressentis ? À cet égard, la récente biographie de Lambert, par le journaliste historien François Bazin, est un bon guide pour apprécier La Meute à sa juste valeur : le parti lambertiste n’était pas moins violent que LFI aujourd’hui – on peut d’ailleurs penser que Mélenchon, passé dans sa jeunesse par l’OCI, s'en inspire forcément. Pourtant, comme le montre François Bazin, tous les militants savaient que leur engagement, leur abnégation, les turpitudes qu'ils vivaient et les avanies qu’ils faisaient subir à leurs camarades ou leurs adversaires dépassaient la personne de Lambert : sous l’intérêt bien compris du chef et sa paranoïa, chacun distinguait l’intérêt général (même s’il est notoire que les engagements radicaux et sacrificiels ont toujours attiré des personnalités à la fois fragiles et brillantes). Rien de tel dans La Meute. Si Mélenchon est doué, il est surtout toxique et participe d’une emprise proprement inexplicable.
Si nous soulignons ces deux termes, c’est qu’ils nous paraissent relever d’un symptôme d’époque dans laquelle les affects psychiques et la santé mentale deviennent des critères essentiels du rapport au collectif et à la chose publique ou politique. Celle-ci, parce qu'elle relève de l’exercice du pouvoir donc d’une dimension d’autorité verticale s’imposant aux individus est susceptible de générer une souffrance que les militants ne sont plus à même d’intégrer dans l’économie psychique de leur engagement : la fierté d’appartenir et le sentiment de participer à quelque chose de plus grand que soi permettait autrefois de relativiser le manque de bienveillance ou de considération ; au point de se perdre soi-même. Dans le documentaire de Romain Goupil, Mourir à trente ans, le suicide de Michel Recanati n’est pas dû aux mauvais traitements que lui inflige son organisation, mais au fait que la Révolution n’est pas au rendez-vous de son engagement total, sur fond, là aussi, d’un malaise filial – ce qui était déjà une inflexion par rapport à l’engagement communiste des années 1930 ou 1950 ; songeons, par exemple, au Sans frontière ni patrie de Jean Valtin où le désaveu de Moscou n’altère pas sa foi en la Révolution.
Notre époque est autre. Elle entend réconcilier l’engagement et la bienveillance, le pride et le care. On ne peut que s’en féliciter ; non sans une certaine perplexité. Car si les deux ne sont pas au rendez-vous, que se passe-t-il ? Réponse dans ce long lamento et cette libération de la parole que représente La Meute, véritable moment #MeToo de LFI dont on se prend à songer qu’il lui manque visiblement quelques safe spaces… Évidemment, on entend déjà Jean-Luc Mélenchon ricaner de la fragilité de ses ouailles. C’est d’ailleurs ce que beaucoup de lecteurs semblent avoir apprécié dans le livre, son côté thérapie de groupe : « pour les personnes que je connais qui ont témoigné, pour celles qui n'osent pas encore le faire, avoir déjà pu parler dans un cadre où on est écouté sans prendre une mandale, c'est énorme », commentait récemment une lectrice sur Facebook.
Cette psychologisation de la politique et, par ricochet, la psycho-pathologisation des dirigeants, emportent une conséquence majeure sur la manière d’exercer le métier de journaliste politique. Et cela explique que l’on s’intéresse au fonctionnement de LFI sous la coupe de Jean-Luc Mélenchon, aux réactions de François Bayrou face aux drames de Betharram ou aux rapports entre Jordan Bardella et Marine Le Pen suite à la condamnation de celle-ci ; ou encore que l’on cherche à rendre raison de la décision, a priori irrationnelle, d’Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée il y a bientôt un an. Sans parler de l'imprévisibilité de Donald Trump : tout n’est que psychologie et parfois folie. On a l’impression d’être soudain jeté dans un drame shakespearien où la politique n’est plus qu’un théâtre sur la scène duquel s’agitent des Macbeth et des roi Lear en proie à des délires mentaux. Oubliant, comme le pensait Hobbes, que le Souverain est un acteur qui joue une pièce écrite par le Peuple, les journalistes politiques interrogent alors en priorité les effets psychopolitiques de ces « malades » qui nous gouvernent. C’est la seconde limite de La Meute qui découle directement de la première : la description des personnalités devient supérieure à celle des idées, la stratégie marque le pas devant la tactique et l’intérêt journalistique porte avant tout sur la coïncidence entre l’objectif affiché et les méthodes utilisées. Du Monde à Médiapart, ce glissement nous semble assez général.
Un état de fait qui provient de deux phénomènes historiques intimement liés l’un à l’autre : d’un côté, l'évaporation de l’idée de Révolution qui redéfinit, de l’autre, la notion d’utopie laquelle devient – sous sa nouvelle enveloppe – le domaine privilégié du journalisme. Expliquons-nous : d’une part, l'attente de la Révolution impliquait, selon la belle expression de l’historien Jean-François Sirinelli, l’existence d’un « bonheur différé » : sacrifier sa vie à un idéal que l'on ne verrait pas de son vivant avait un sens dont l’origine se situait précisément en dehors et au devant de la psyché du militant ; sa personnalité comptait peu au regard de l’objectif collectif. Ce monde n'existe plus, comme l'atteste La Meute. D’autre part, cette fin du « bonheur différé » implique une redéfinition complète de ce qu’était l’utopie. Celle-ci ne représente plus la formulation d'un avenir meilleur, mais la concrétisation, ici et maintenant, d’un l‘idéal formulé avec les matériaux du présent : on ne milite pas pour être différent de ce que l’on est, mais pour l’étendre plus largement. Ce qui signifie une chose : ce que le militant pense être correspond également à ce qu'il souhaite être.
Plus largement, dans une société démocratique fondée sur les Droits de l’Homme, les prémisses sont aussi la fin : c’est parce que nous sommes fondés sur les Droits de l’Homme, la liberté et l'égalité, que nous voulons que la société réalise réellement ces mêmes droits. C’était déjà la critique de Marx, laquelle prend désormais une autre direction puisqu’il s’agit de tenir la déclaration des droits non pas pour un formalisme bourgeois cachant la réalité de l'exploitation, mais au contraire, de les prendre au sérieux. Et exiger, par conséquent, que coïncident immédiatement l’être social et son devoir-être. Telle est notre compréhension contemporaine de l’utopie : faire coïncider l’être et le devoir-être. Travail titanesque en réalité, proprement utopique puisque ni la société ni les organisations ne sont jamais exactement ce qu'elles disent être. La tâche des journalistes – et donc désormais du journalisme politique – revient à dénoncer le scandale de la promesse trahie. Or celle-ci ne peut être que trahie. C’était, par exemple, déjà l’objet de l‘ouvrage, Le Président toxique, enquête sur le véritable Emmanuel Macron, du journaliste Étienne Campion qui donnait la parole aux déçus du macronisme, aux bernés et à tous ceux qui ont cru ne pas être les jouets d’un président uniquement descriptible à travers des catégories propres à la santé mentale.
Mais c’est là que la psychologie vient jouer un tour à la politique, rendant cette dernière proprement incroyable, c’est-à-dire stupéfiante et incompréhensible. En effet, si la psychologisation de la politique prend le pas sur l’élucidation de l’idéologie et si le spectacle du politique l’emporte sur le fond des discours, pas la peine alors de savoir si la stratégie de LFI est conforme ou non à son objet, ni d’interroger ses effets sur le reste de la gauche et même sur l'ensemble de l'opinion. Rien n'est jamais dit dans La Meute, par exemple, des raisons qui ont fait que Mélenchon est arrivé à obtenir 22% des voix en 2022 ; rien non plus sur le jeu symétrique de LFI avec le RN et sur les risques de décomposition rouge-brune de ce mouvement gazeux après la disparition de son leader. Toutes considérations fort éloignées, par ailleurs, du projet des auteurs qui décortiquent en fait les ressorts de la masculinité toxique en croyant enquêter sur un homme politique.
En revanche, un mystère demeure une fois le livre refermé : quelles sont donc les raisons de l’aura – donc de l’emprise – de Jean-Luc Mélenchon sur les militants de LFI et une bonne part des électeurs de gauche ? S’ils ont perdu foi en la Révolution, les militants reconnaissent pourtant dans leur leader, sa geste, son langage ou ses idées, quelque chose qu’ils portent en eux. Mais cela ne s’arrête pas seulement au partage d'une vision du monde. Sinon le leader serait substituable, son aura amoindrie et son emprise sans objet. Cela tient à la nature des affects mobilisés par le jeu de la représentation politique. En effet, la représentation moderne, dans le sens d'une incarnation condensant dans le corps d’une personne une dimension symbolique produite par l’ensemble d’un groupe, génère des affects qui ne sont pas de l’ordre de la reconnaissance ou de la bienveillance que chacun est en droit d’attendre de l'organisation à laquelle il adhère. Pour rester dans le contexte de La Meute, on peut dire que les militants aiment s’en remettre à Jean-Luc Mélenchon et sont heureux de lui reconnaître une aura populiste qui consiste en une libération d'émotions d’un type particulier. Paradoxalement, ce qu’ils plébiscitent chez Mélenchon est précisément ce qui peut leur faire du mal : l’audace verbale, la violence, « le bruit et la fureur » dont on est surpris de constater que les militants aient pu imaginer un instant qu’ils ne s'adressaient qu’aux adversaires politiques… De cela, pas un mot dans le livre.
Cette réflexion rejoint la démonstration magistrale que Todd Philipps avait administrée en 2019 avec son film The Joker : dans ce long métrage plébiscité par le public – dont certains ont voulu voir une traduction cinématographique de mobilisations comme celle des Gilets jaunes –, Arthur Fleck souffre de troubles mentaux qui l’amènent à tuer ceux dont il estime qu’ils l’ont méprisé, libérant en retour une violence sociale dont il est l’auteur et en devient le réceptacle à travers la figure du Joker. Pour nous faire bien comprendre, pensons un instant à la manière dont Jean-Luc Mélenchon a interprété le résultat des élections législatives de juin-juillet 2024 qui ne pouvait générer que violence et frustration chez ses propres militants. Dans une tribune pour l'Opinion, en septembre 2024, l’essayiste Raphaël Llorca met en exergue le mélange d’affects et les émotions provoquées durant cette séquence : lorsque le leader de La France insoumise « affirme haut et fort avoir “gagné” les élections législatives, et être en capacité, avec en tout et pour tout 182 députés, d’appliquer “son programme, rien que son programme, mais tout son programme”, le militant de gauche ne peut qu’être déboussolé : s’il conserve la foi en son propre jugement, il conserve une prise solide sur la réalité, mais a le sentiment de trahir politiquement son camp ; s’il décide d’adhérer au récit du "viol démocratique", il maintient la relation politique mais fausse sa perception de la réalité. Autrement dit, la manœuvre installe un dilemme entre fidélité politique et fidélité rationnelle… soit, une terrible mise à l’épreuve de notre rapport interne au Vrai ». Et Raphaël Llorca de conclure : « le fait que leurs dirigeants politiques disjonctent avec le réel ne peut pas rester sans effets collectifs (...) Jean-Luc Mélenchon n’a pas moins contribué à déstabiliser psychiquement sa famille politique ». Et donc à la souder autour de sa personne pour ne pas la rendre folle. Avant d’en purger les éléments les moins fusionnels ?
C’est bien de cela que nous parle La Meute, des affects en politique mais sous un angle trop victimaire – le scandale – qui ne permet pas de comprendre l’ensemble des émotions mobilisées dans l’engagement partisan. Ce qui nous amène, pour finir, à nous demander quelle est l’utilité politique d’un tel livre et, partant, son effet électoral ? Disons-le tout net, La Meute n’est pas Les Fossoyeurs et LFI ne va pas s’écrouler comme Orpea a chancelé, l’obligeant à tout revoir de son fonctionnement à commencer par son nom (devenu emeis). Sans doute cette enquête obligera-t-elle les partis de gauche à se déterminer plus fermement vis-à-vis de LFI, rendant l’hypothèse d’une union électorale ou de la présentation d'un candidat unique hautement improbable. Notamment en raison d’un point essentiel : l’antisémitisme, un peu trop vite évacué par les auteurs alors qu’ils montrent bien que la stratégie communautariste, pro-islamiste et pour tout dire antisémite actuelle n’est pas inventée en 2019 après la défaite aux européennes et le constat d’une défection électorale des Gilets jaunes, mais qu’elle s’est faite progressivement, dès la défaite de 2017. Il n’en reste pas moins qu'à la lecture du livre, les militants LFI serreront les rangs, les convaincus en sortiront renforcés et les hésitants douteront un peu plus. Mais la séduction électorale de Jean-Luc Mélenchon nous paraît, pour sa part, inentamée, surtout en l’absence d'alternative crédible à gauche. Reste les âmes mortes du mélenchonisme, les damnés, les purgés, les désenvoûtés de La France insoumise qui errent dans le purgatoire de la gauche en attente de leur rédemption ou du jugement dernier de celui qu’ils décrivent comme un « ex toxique ». C’est à eux que ce livre s’adresse ; il leur offre un groupe de parole et tend à leur misère un miroir bien dérisoire.
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