Décentralisation : l'enjeu fiscal edit

4 avril 2007

La promesse d'une nouvelle phase de décentralisation est commune aux principaux candidats à l'élection présidentielle. L'acte III de la décentralisation sera sans doute celui de l'autonomie fiscale. Mais celle-ci ne risque-t-elle pas d'accroître les inégalités entre régions ? Ce n’est pas tant le surcroît d’autonomie fiscale des régions que les modalités de sa mise en œuvre qui posent question. Les pistes évoquées par le président de l’Association des régions de France sont éclairantes : une taxe professionnelle rénovée, un impôt sur la valeur ajoutée, un impôt sur le foncier d’entreprise ou une part de l'impôt sur les sociétés. Ces exemples montrent que l’essentiel de l’autonomie fiscale s’exercerait sur des bases fiscales mobiles, ce qui n’est pas sans risques. Tout d’abord, les régions seront fortement incitées à entrer dans un jeu de moins disant fiscal afin de soigner leur attractivité. Toutes les régions gagneraient-elles à ce jeu ? Il existe d’autres facteurs que la fiscalité qui influencent la position concurrentielle des économies régionales et en fonction desquelles elles ont une capacité plus ou moins grande à résister à une concurrence fiscale vers le bas. Il n’est pas sûr que des régions à forte attractivité naturelle comme les régions Rhône-Alpes ou Ile-de-France s’engagent dans une telle course alors même que des régions plus en difficulté pourraient y être tentées sans que cela se traduise au final par des suppléments de ressources. En effet, la localisation dans les régions les plus riches offrent de tels avantages (travailleurs qualifiés, proximité des services spécialisés, infrastructures performantes…) qu’une baisse de la fiscalité des entreprises dans les autres régions peut ne pas induire un redéploiement de l’activité vers ces dernières. Le second risque de l’autonomie fiscale des régions réside dans un accroissement des inégalités dans l’effort fiscal entre les entreprises et les ménages. En effet, ces derniers étant beaucoup moins mobiles géographiquement que le capital, la course au moins disant fiscal pour attirer ou maintenir de l’activité économique pourrait se traduire par une augmentation de la charge fiscale supportée par les résidents des régions. Conscients de tels risques, les présidents de régions et la candidate socialiste prônent un système renforcé de péréquation financière permettant de concilier décentralisation et solidarité territoriale. De quoi s’agit-il ? Il existe différentes formes de péréquation financière. La péréquation, dite horizontale, s’effectuant entre les collectivités territoriales d’un même niveau hiérarchique, est un outil intéressant. Ce système permet la redistribution des recettes fiscales des collectivités locales à fort potentiel fiscal vers les collectivités les plus pauvres. Cette redistribution vise à ce qu’un citoyen ait accès à un niveau comparable de services publics quel que soit son lieu de résidence sur le territoire et peu importe la richesse et le niveau d’imposition de la région. La péréquation financière est, par exemple, une des caractéristiques majeures du système fiscal allemand et canadien. En 2004-2005, huit des dix provinces canadiennes dont la capacité fiscale était inférieure à une norme de 6217 dollars par habitant ont perçu des transferts s’élevant au total à 10 milliards de dollars. Actuellement, les montants de péréquation entre les régions françaises relèvent presque de l’anecdote budgétaire. En 2007, un peu plus de 132 millions d’euros sont répartis entre 13 régions et proviennent pour une part significative de l’Ile-de-France et de Rhône-Alpes. Cela représente 0,5% des recettes totales des régions qui s’élèvent à un peu plus de 22 milliards en 2006. C’est clairement ce type de transferts que la candidate socialiste et la plupart des présidents de régions souhaitent voir se développer en France. La péréquation est-elle la panacée ? A première vue, un tel système résorbe quasi-mécaniquement les inégalités régionales d’investissements en services publics. A première vue seulement, puisque le niveau de péréquation réel dépend fortement du nombre et de la richesse fiscale des régions à partir desquels la norme de dotation est calculée. Dans les faits, la péréquation ne rend pas les capacités financières sensiblement comparables d’une province à l’autre, mais seulement comparable à une moyenne dont la méthode de calcul est évidemment l’objet de tractations politiques. Les transferts perçus peuvent être différents selon qu’on établit la norme à partir de la totalité ou non des régions et selon que l’on intègre ou non toutes les régions riches. Ceci est clairement illustré par les tensions existant sur le mode de calcul des fonds de solidarité de la région Ile-de-France, destiné à aider les municipalités les plus pauvres, qu'alimentent les communes dont les bases d'imposition dépassent 3,5 fois la moyenne nationale. En 2004, M. Balkany proposait que le calcul s'effectue désormais sur la moyenne régionale (sensiblement supérieure) ce qui dispensait de cette contribution des communes comme Levallois-Perret, la ville dont il est le maire. Il est évident aussi que la péréquation modifie les incitations à taxer. La fiscalité d’une région riche peut avoir suffisamment d’influence sur le calcul de la norme, pour que son gouvernement tente de le manipuler afin de minimiser sa contribution aux transferts. Cette distorsion est a priori limitée au Canada, puisque le système de péréquation mis en place ne donne pas lieu à des transferts nets de provinces à provinces. Cela n’empêche pas que l’Alberta, l’Ontario et la Saskatchewan, qui ne sont pas bénéficiaires du système mais dont les citoyens en payent indirectement le prix par l’impôt fédéral, soient plus que réticents à le pérenniser. On l’aura compris la stabilité d’un système de péréquation dépend aussi de l’importance des clivages politiques entre les majorités régionales, mais aussi entre ces mêmes majorités et le gouvernement central. Ensuite, la péréquation peut diminuer les effets négatifs d’un risque de fuite des bases fiscales mobiles. Sachant que les transferts viendront compenser pour partie la perte de recettes fiscales liée à une fiscalité élevée, les régions sont susceptibles de s’engager moins franchement dans un jeu de moins disant fiscal. Cette distorsion peut aussi se traduire par un effort moindre à collecter l’impôt comme l’a montré un travail pour les Länder allemands. Bien que la péréquation régionale soit un instrument de régulation intéressant, les promoteurs de sa montée en puissance en France devraient avant toute chose s’inspirer des expériences étrangères. Au delà des effets d’équité attendus, valorisables en terme de marketing politique, il convient de bien en anticiper les possibles distorsions fiscales inexistantes actuellement en France du fait des sommes modestes qui sont en jeu. Enfin, on peut raisonnablement penser que le consensus politique autour d’une péréquation horizontale renforcée s’effritera au fur et à mesure que les enjeux financiers pour les régions deviendront plus significatifs. En l’occurrence, des majorités régionales moins unicolores à l’issue des prochaines élections régionales ne feraient qu’augmenter ce risque.