Entre gaullisme et libéralisme, quel costume présidentiel Macron veut-il réellement endosser? edit

25 septembre 2017

Emmanuel Macron a développé dans plusieurs interventions, depuis 2015, sa conception de la fonction présidentielle [1]. Cette conception, complexe et pour partie contradictoire, appelle une analyse approfondie que nous ébauchons ici.

L’idée de départ du nouveau président est qu’il existe chez les Français un refoulé monarchique qui, depuis 1793, a empêché la France d’instaurer un système institutionnel et politique stable et légitime. Selon lui « la démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi. […] On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. […] De là l'ambiguïté fondamentale de la fonction présidentielle qui, dans notre système institutionnel, a partie liée avec le traumatisme monarchique. Voilà aussi pourquoi, dans notre imaginaire collectif, le président de la République ne peut être tout à fait "normal" ».

Un président gaullien 

Pour lui, en accord avec la vision gaullienne, le président de la République est le seul à pouvoir remplir cette mission fondamentale qui est d’œuvrer à la réconciliation d’une France gravement divisée avec elle-même. Pour l’accomplir il faut avant tout réaffirmer notre fidélité à l’histoire nationale et en réconcilier les différentes mémoires. C’est en effet par la réappropriation de cette histoire que pourra être restaurée l’unité du peuple français. Cette histoire "commence bien avant Valmy" ». Le rappel des actions de nos grands hommes, de nos héros, « doit nous faire vibrer », « qu'ils aient pour nom Jeanne d'Arc, Napoléon ou de Gaulle ». Sans cette énergie créatrice qu’ils ont insufflée au pays « la France n’est pas la France » affirme Macron, en écho à de Gaulle pour qui « la France ne peut être la France sans la grandeur ». La valeur de l’héroïsme est centrale dans son discours : « Notre société a besoin de récits collectifs, de rêves, d’héroïsme ». Il appelle ainsi à « la construction d’un héroïsme politique, d’une vraie ambition » et à « réinvestir un imaginaire de conquête ». Pour être fidèle au mandat que le peuple lui a donné, et qui est « de créer de l’unité où il y avait de la division », le président doit incarner l’autorité. « Qu'est-ce que l'autorité démocratique aujourd'hui, s’interroge-t-il, une capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer un sens et une direction ancrés dans l'Histoire du peuple français ». « Pour moi, affirme-t-il, la fonction présidentielle dans la France démocratique contemporaine doit être exercée par quelqu'un qui, sans estimer être la source de toute chose, doit conduire la société à force de convictions, d'actions et donner un sens clair à sa démarche ». 

Cette centralité de la fonction présidentielle conduit Macron à adopter les institutions de la Ve République et, plus encore, la vision gaullienne de cette fonction où le président est « la clé de voûte » du système. C’est lui qui « doit fixer le sens du quinquennat. […] Il revient au Premier ministre qui dirige l’action du Gouvernement de lui donner corps. C’est à lui qu’incombe la lourde tâche d’assurer la cohérence des actions, de conduire les transformations, de rendre les arbitrages et, avec les ministres, de vous les présenter. Je souhaite que cette responsabilité ait un sens. […] Mais tout cela ne sera possible que si nous avons une République forte et il n’est pas de République forte sans institutions puissantes. Nées de temps troublés, nos institutions sont résistantes aux crises et aux turbulences, elles ont démontré leur solidité mais comme toutes les institutions elles sont aussi ce que les hommes en font ».

D’une manière qui frise parfois le discours populiste, Macron « croit fermement » que « le peuple nous a donné le mandat de lui rendre sa pleine souveraineté » et que ce mandat « n’est pas d’instaurer le gouvernement d’une élite pour elle-même, c’est de rendre au peuple cette dignité collective qui ne s’accommode d’aucune exclusion ». Il s’agit de réconcilier les deux France : « celle qui vit la mondialisation et les grandes transformations à l'œuvre comme une chance et celle qui en a peur ; la France des nomades heureux et la France des sédentaires qui subissent ».

Un président libéral ?

Ce discours centré sur la figure présidentielle conduit Emmanuel Macron à se distancier du libéralisme politique et en particulier du parlementarisme. Cette distance apparaît clairement lorsqu’il estime que le système politique allemand ne pourrait pas convenir à la France : « La France, contrairement à l'Allemagne, n'est pas un pays qui puise sa fierté nationale dans l'application des procédures et dans leur respect. Le patriotisme constitutionnel n'existe pas en tant que tel. Les Français, peuple politique, veulent quelque chose de plus ». Il rejette ainsi le mode de fonctionnement des régimes parlementaires basé sur les compromis politiques, mettant ainsi ses pas dans ceux de son illustre prédécesseur : « Désormais, estime-t-il, l'accession au pouvoir ne se fait plus que par une série de compromis et de jeux d'appareils. Les compromis sont permanents entre progressistes et conservateurs de gauche d'un côté, entre progressistes et conservateurs de droite de l'autre côté. Aujourd'hui, nous sommes arrivés à l'épuisement de ce mécanisme, qui est en réalité une forme de dégénérescence de l'ère post-mitterrandienne ».

Les oppositions qui s’expriment n’ont pas selon lui de réelle consistance politique : « Notre société est aujourd’hui divisée entre les égoïsmes tentés par les sirènes de la mondialisation qui voudraient faire croire qu’on peut réussir à quelques-uns ; que les nomades en quelque sorte dicteraient leur loi. Et de l’autre côté les donneurs de leçons, les tenant d’une morale sans bras qui voudraient qu’on oublie toutes les contraintes du réel pour s’occuper d’une partie de la société ». « Nos sociétés modernes, affirme-t-il encore, ont tendance à se fractionner au gré des intérêts, des égoïsmes, des idées de chacun ». Le rôle du président est donc de résister à ces forces de dislocation et de rétablir l’indivisibilité du peuple français. Nous sommes loin, ici, de la confrontation d’intérêts réels et légitimes qui est à la base du fonctionnement des régimes représentatifs. « Les débats d'idées, estime-t-il, sont devenus le paravent des combats de personnes – les primaires en sont la caricature. Il faut dégager des consensus et non pas des compromis. Soyons précis : la fonction présidentielle exige le consensus construit dans la clarté plutôt que le compromis entre chien et loup. Le consensus doit permettre de dégager une majorité autour d'idées. Il exige la clarté politique et idéologique ». Tous ces éléments nous ramènent encore à la vision gaullienne de la politique et de la mission du chef de l’État.

Mais d’autres éléments de son discours, qui semblent au contraire inspirés du libéralisme politique, lui ôtent sa cohérence et conduisent à s’interroger sur leur portée. On sait, par exemple, que le général de Gaulle entendait établir la suprématie complète du chef de l’État sur l’ensemble des pouvoirs. Il estimait être le véritable représentant du peuple. Il écrivait ainsi : « Si j’étais convaincu que la souveraineté appartient au peuple dès lors qu’il s’exprime directement et dans son ensemble, je n’admettais pas qu’elle pût être morcelée entre les intérêts différents représentés par les partis ». Or, Macron, s’adressant aux parlementaires réunis en Congrès, leur tient un tout autre langage : « Nous avons vous et moi reçu le mandat du peuple ; qu’il nous ait été donné par la nation entière, ou par les électeurs d’une circonscription, ne change rien à sa force ; qu’il ait été porté par le suffrage direct ou par le suffrage indirect ne change rien à sa nature ». Devons-nous voir là un désaccord de fond avec de Gaulle sur la primauté présidentielle ou au contraire un simple geste de courtoisie du président s’adressant directement aux parlementaires dans l’enceinte du Congrès ? De même, défendant devant eux le pluralisme et les vertus de l’opposition, il affirme : « La réalité est plurielle, la vie est plurielle. Le pluralisme s’impose à nos institutions, qui s’affaiblissent dans l’entre-soi. […] C’est aussi pour cela que je crois à la vertu du pluralisme, au respect plein et entier des oppositions. Non parce qu’il s’agirait d’un usage. Mais, car c’est la dignité du débat démocratique et cela sera notre ardente responsabilité ». Son illustre prédécesseur, sans rejeter le pluralisme, privilégiait clairement le pouvoir exécutif et l’autorité du chef de l’État. Emmanuel Macron semble préférer ici « le débat démocratique ». Mais alors que signifie le rejet des partis, qu’il partage avec de Gaulle, alors que les partis sont l’un des principaux canaux permettant, dans les démocraties représentatives, l’expression institutionnelle de ce pluralisme ?

Pointant avec raison « l’ambiguïté fondamentale de la fonction présidentielle », et se proposant de la supprimer en assumant la tradition monarchique française et en mettant ses pas dans ceux de de Gaulle – tout en clamant les vertus du pluralisme et en reconnaissant aux parlementaires une légitimité égale à la sienne – ne tend-il pas, au contraire, à renforcer cette ambiguïté ? Ni président gaullien, ni président acquis à l’importance de la fonction délibérative du pouvoir parlementaire, Macron ne risque-t-il pas de n’être que le successeur de présidents ayant utilisé les institutions et l’appareil d’État sans prendre à bras le corps la modernisation du pays ?

 

[1] Les citations d’Emmanuel Macron sont tirées des textes suivants :

-          Interview dans 1 Hebdo, 8 juillet 2015

-          Discours prononcé à Orléans, 8 mai 2016

-          Interview dans Challenges, 16 octobre 2016

-          Discours prononcé devant le Parlement réuni en Congrès, 3 juillet 2017

-          Interview dans Le Point, 31 août 2017