Gauche et libéralisation font parfois très bon ménage : l'exemple italien edit

13 juillet 2006

Le gouvernement Prodi et plus particulièrement le ministre Bersani ont déclaré la guerre aux catégories protégées, ou tout au moins à certaines d'entre elles. La liste est impressionnante : les banques, les compagnies d'assurance, les avocats, les notaires, les chauffeurs de taxi, les commerçants, les pharmaciens... Ce n'est pas une révolution, mais un simple décret (qui requiert un vote parlementaire pour entrer en application) contenant une série de menus changements dont certains devraient produire un résultat significatif : tout simplement de se débarrasser d'anomalies qui n'ont pas beaucoup de sens économique. Prenons quelques exemples.

Les chauffeurs de taxi. C'est une corporation bien organisée, qui tire profit du nombre restreint de licences (chacune vaut 300 000 euros dans les grandes villes) et des tarifs régulés (fixés en accord avec chaque municipalité). Sans même parler des prix, cela signifie par exemple qu'il est très difficile de trouver un taxi à Rome pendant le week-end. Le gouvernement propose donc d'autoriser les villes à augmenter le nombre de licences, en offrant des compensations aux détenteurs actuels et en promouvant les entreprises comptant plus d'une voiture. Aucune mention n'est faite d'une modification des tarifs des prix. Est-ce une révolution ? Pas vraiment, mais c'est assez pour frapper cette corporation là où ça fait mal. Les villes importantes et les aéroports sont bloqués depuis quelques jours et une négociation s'est ouverte.

Les avocats. Ils ont le droit de percevoir des honoraires minimum, mais ils ne touchent pas un euro de plus en cas de succès. Pourquoi ? L'argument, peut-être juste un peu vieillot, est que des professionnels libres sont différents, que leur rapport avec leurs clients ne sont pas des rapports "normaux" entre un vendeur et un acheteur, mais une relation très spéciale, ne relevant pas d'analyses économiques standard. La concurrence serait alors nuisible à la qualité et e fin de compte aux consommateurs. Rien de tout cela n'est validé par une théorie économique, mais c'est un dogme. Et de nouveau le ministre Bersani s'attaque au dogme d'une catégorie. Qu'en sortira-t-il ? Les effets probables, ce sont plus de concurrence entre les jeunes avocats, ou moins de clients poussés dans des procédures sans fin, aussi onéreuses que désespérées. Un effet immédiat et bien réel, c'est la colère des avocats - en grève depuis 12 jours, ce qui est tout à fait inédit.

Les pharmaciens. Ils peuvent vendre des crèmes de beauté et des jouets, mais conservent un monopole sur tout ce qui est considéré comme relevant de la médecine, y compris l'aspirine ou d'autre articles du même tonneau. Le nombre de pharmacies est limité et elles ne peuvent être possédées (et pas seulement dirigées) que par les pharmaciens. Les journaux ont récemment montré que certains produits médicaux étaient beaucoup plus chers en Italie que chez nos voisins. Avec le nouveau décret, les produits dits "de comptoir", ceux qui peuvent être vendus sans prescription, peuvent être proposés en supermarché. L'effet le plus immédiat sera probablement une diminution des prix immédiate et substantielle ; les pharmaciens protestent, affirmant que les consommateurs ne devraient pas être exposés au risque d'acheter des quantités excessives de médicaments (comme si leur monopole leur permettait de protéger leurs clients...).

Ces diverses propositions sont liées par une logique commune : faire des consommateurs une catégorie centrale de l'action publique. Ils se sont sentis abandonnés, surtout depuis quelques nées, quand l'introduction de l'euro aurait provoqué une augmentation des prix exceptionnelle et très substantielles.

La politique du gouvernement répond-elle vraiment à leurs attentes ? Franchement, très peu d'avocats, même aujourd'hui, s'en tiennent au tarif minimum, et quant aux taxis cela ne changera probablement pas grand chose pour les catégories les plus pauvres. Certaines des actions menées sont une simple question de principes. Mais les principes sont importants, le gouvernement a sans doute raison de s'engager dans l'élimination de privilèges, même si cela n'a quelquefois qu'un effet cosmétique.

On peut notamment avancer deux arguments en faveur de cette politique.

Avant tout, comme l'ont montré certains commentateurs, ce décret vise à la réduction du pouvoir de marché de quelques catégories privilégiées, qui n'ont guère soutenu le gouvernement actuel. Pourquoi le gouvernement précédent n'a-t-il pas fait de même avec l'"aile gauche" des catégories protégées, c'est un mystère. Berlusconi avait la majorité la plus grande et la plus solide que l'on ait jamais vu dans notre pays, mais il n'a pas réussi à beaucoup libéraliser. Pourquoi il ne s'est pas attaqué aux avocats ou aux pharmaciens, on ne se le demandera pas bien sûr. Mais pourquoi un gouvernement de droite ne s'en est-il pas pris aux secteurs protégés et notamment au public ?

Ensuite, les principaux secteurs où une libéralisation plus efficace serait susceptible de faire baisser les prix et d'économiser ainsi de grandes quantités d'argent public sont l'énergie et les transports publics locaux. L'un et l'autre sont caractérisés par une contradiction : des entreprises publiques ou semi-publiques en position dominante ne développent pas les infrastructures, mettent en danger les réserves d'énergie et maintiennent les prix à des niveaux très élevés. Mais n'importe quelle intervention visant à réduire leurs rentes impacterait négativement les comptes publics, car les profits de ces sociétés sont un poste important dans le Budget). Le secteur des transports publics locaux, c'est notoire en Italie, est inefficace avec ses hauts salaires et sa faible productivité. Les syndicats y sont puissants, et il est très peu probable que ce gouvernement, à la majorité fragile et qui a grand besoin du soutien des syndicats, tente de faire quoi que ce soit.

Le décret Bersani est un pas dans la bonne direction - si toutefois le Parlement l'approuve. Mais il reste beaucoup à faire et seul un gouvernement fort en sera capable.