L’Italie plus incertaine que jamais edit

6 novembre 2019

Les élections qui se sont déroulées le 27 octobre dans la magnifique région de l’Ombrie n’avaient pas qu’une dimension régionale : elles constituaient aussi un test national. À cet égard, l’écrasante victoire du centre droit est venue démontrer une fois de plus la dynamique politique ascendante dont celui-ci bénéficie.

L’Ombrie représentait traditionnellement un bastion du Parti communiste italien, et après la transformation de celui-ci en 1991, du centre gauche. Le Parti démocrate (PD) savait que ce scrutin se présentait sous les auspices les plus sombres pour au moins trois raisons propres à cette partie de l’Italie. En effet, ce scrutin avait lieu de manière anticipée suite à la démission de la présidente de la région Catiuscia Marini, membre de son parti, impliquée dans un concours truqué du système sanitaire. En outre, la situation économique de l’Ombrie n’est pas bonne. Enfin, toutes les élections précédentes avaient enregistré un recul du Parti démocrate et une progression de la Ligue de Matteo Salvini. Aussi, suite à la crise politique de cet été et à la formation d’un gouvernement Parti démocrate-Mouvement 5 étoiles dirigé par Giuseppe Conte, les deux partis se sont présentés pour la première fois ensemble, avec d’autres petites formations, derrière un même candidat, Valerio Bianconi, un entrepreneur issu de la société civile. Face à lui, l’alliance du centre droit, composé de la Ligue, de Frères d’Italie (extrême droite) et de Forza Italia (le parti de Berlusconi) se rassemblait derrière la sénatrice de la Ligue, Donatella Tesei.

La participation électorale a été en notable progression : 64,7% de votants près de 10 points de plus qu’en 2015. Et le résultat sans appel. Le centre gauche a enregistré une défaite historique, un peu moins de 37% des suffrages (près de 14 points en moins qu’il y a quatre ans lors de la dernière élection régionale), avec un Parti démocrate qui tombe à 22,3% (-13,5 points par rapport à 2015) et un Mouvement 5 étoiles qui ne rassemble que 7,4% des suffrages deux fois moins qu’en 2015. Le centre droit triomphe avec 58,8% des voix (20 points de plus qu’en 2015), et en son sein la Ligue obtient 37% des suffrages (une progression de 23 points), Frères d’Italie s’impose comme le second parti avec 10%, loin devant Forza Italia qui ne recueille que 5,5% des voix.

Plusieurs leçons s’imposent à la lecture de ces données comme d’ailleurs de celles de tous les autres scrutins depuis 2018. Le centre droit a le vent en poupe. Il est largement dominé par la Ligue. Après l’échec subi par Matteo Salvini cet été qui voulait obtenir des élections anticipées pour les emporter seul ou avec Frères d’Italie mais sans le parti de Berlusconi, la Ligue s’est résignée à reformer une coalition avec Forza Italia. Mais à la différence du passé, Salvini s’impose comme le leader incontesté de ce regroupement et dicte ses conditions à ses alliés. Frères d’Italie cependant ne cesse de progresser à chaque élection et entend non seulement conforter sa position au sein de la coalition mais aussi peser sur les orientations de la Ligue car ce parti s’avère désormais un allié indispensable. Ce que n’est plus Forza Italia qui continue de décliner et de se désagréger, certains de ses membres et responsables lâchant le navire pour rejoindre la Ligue voire, pour une infime minorité, le nouveau parti de Matteo Renzi. Matteo Salvini est en position de force mais il devra clarifier sa ligne politique. Doit-il se droitiser plus encore, surtout du fait de la montée en puissance de Frères d’Italie qui joue entre autres sur le fait de ne jamais avoir été associé au pouvoir ? Ou faut-il tenter de faire un grand écart pour construire une offre politique qui aille de l’extrême droite, envers laquelle il envoie de nombreux signaux, au centre afin de ne pas inquiéter les électeurs modérés, en multipliant aussi les gestes à l‘attention de ces derniers comme par exemple il l’a fait à propos de l’euro en déclarant qu’il n’était pas question pour l’Italie de l’abandonner.

Le Parti démocrate est plus que jamais divisé. Doit-il continuer à essayer de s’allier avec le Mouvement 5 étoiles ou se présenter seul en se contentant d’accords avec de petites formations de gauche ? Le Mouvement 5 étoiles est aussi en pleine crise et se déchire sur ses orientations. Quant à Matteo Renzi, il a créé un nouveau parti, qui n’était pas présent aux élections en Ombrie. Italia viva, se veut un parti centriste décidé à se faire une place entre le Parti démocrate tenté de se gauchir et Forza Italia satellisé par la Ligue pour attirer les électeurs modérés. Quant au gouvernement, il tangue plus que jamais car chaque parti cherche à imposer ses propositions, que cela soit en matière budgétaire ou à propos des institutions ou encore d’une éventuelle modification de la loi électorale. Matteo Renzi ne passe pas un jour sans critiquer son action et le Président du Conseil, histoire de se rendre visible et de renouer avec une popularité largement perdue depuis 2016. Luigi Di Maio, le leader du Mouvement 5 étoiles, de plus en plus critiqué en interne du fait des déroutes électorales, semble vouloir lui aussi se débarrasser de Giuseppe Conte qui prend, à ses yeux, trop de place et qu’il soupçonne de vouloir de jouer un rôle politique plus important, y compris par rapport au Mouvement auquel officiellement il n’appartient pas.

Ces tensions permanentes au sein du gouvernement, comparables à celles qui existaient dans le précédent exécutif Lega-Movimento 5 Stelle, ne peuvent a priori déboucher sur une véritable crise. Certes, Giuseppe Conte pourrait tomber mais la majorité parlementaire PD-M5S trouverait un remplaçant. Ces deux partis ont tout intérêt à rester au pouvoir pour le moment afin de se refaire une santé. Toutefois une rupture complète entre le PD et le M5S n’est pas exclure surtout si, par exemple, l’Emilie-Romagne, région historique de la gauche basculait lors du scrutin du 26 janvier 2020 vers la Ligue et ses alliés du centre droit. Cela contraindrait le Président de la République à dissoudre les Chambres et à convoquer les électeurs. Ce qui, selon toute vraisemblance, permettrait à Matteo Salvini et à ses alliés de rafler la mise. Le dirigeant de la Ligue contrôlerait alors la Chambre des députés et le Sénat, deviendrait le chef d’un gouvernement qu’il composerait à sa guise – sous réserve néanmoins, comme le stipule la Constitution, de l’accord du Président de la République – et attendrait 2022 pour faire élire par les parlementaires de sa majorité le nouveau Président de la République. Son souhait de disposer des « pleins pouvoirs », comme il l’avait exprimé au mois d’août, se réaliserait donc.

En attendant de savoir quel scénario politique se produira, le pays ne sort pas de sa stagnation économique et des énormes difficultés sociales qui provoquent des réactions de peur et de repli qu’exploitent et exacerbent à la fois Matteo Salvini et Giorgia Meloni, la dirigeante des Frères d’Italie. Mais il faut bien comprendre que la dérive italienne n’affecte pas que la seule péninsule : elle concerne toute l’Union européenne.