Les deux Amériques edit

6 novembre 2020

Alors que Joe Biden se dirige vers une victoire, les désordres, encouragés par Donald Trump, menacent gravement l’unité d’un pays coupé en deux. Deux Amériques antagonistes et mobilisées se dressent l’une contre l’autre. Le sondage sortie des urnes du New York Times et portant sur plus de 15 000 personnes confirme à la fois cette coupure et la rend plus évidente et plus dangereuse encore en permettant de corriger certaines erreurs des sondages d’opinion.

Plusieurs clivages divisent l’électorat américain qui se rabattent tous sur l’opposition entre démocrates et républicains. Le principal demeure le clivage racial, comme on le nomme aux Etats-Unis.

La question raciale

C’est ce que montre le tableau 1. Contrairement aux données de sondages, les électeurs blancs ont voté très majoritairement pour Trump et, parmi eux, les femmes ont voté à peu près comme les hommes. Les différences pointées par les sondages entre un vote féminin nettement anti-Trump et un vote masculin pro-Trump ne sont ici confirmées que chez les électeurs noirs et latinos. En outre, le vote des électrices blanches en faveur de Trump n’a pas été seulement le fait de celles qui n’ont pas un diplôme universitaire de premier cycle (tableau 2). Ainsi, chez les électeurs blancs, la  différence de vote ne semble pas due à la variable de sexe mais à celle de niveau d’études. Les groupes les plus opposés politiquement étant les hommes blancs et les femmes noires, la dynamique démographique actuelle  qui avantage les secondes par rapport aux premier devrait jouer dans l’avenir au bénéfice des démocrates.

Cette forte polarisation entre les électeurs blancs et les autres ne doit cependant pas cacher la montée du vote latino en faveur du candidat républicain (un tiers). On note également une telle évolution, certes moins marquée, dans l’électorat noir.

La question raciale demeure au cœur des antagonismes politiques. Le tableau 3 le montre clairement à partir de trois thèmes : celui du mouvement « Black Lives Matter » (la vie des Noirs compte), né en 2013 contre le racisme systématique envers les Noirs et très actif en 2020 après l’assassinat par la police de George Floyd ; celui de l’évaluation de l’importance du racisme aux Etats-Unis ; celui, enfin, du traitement des Noirs par le système judiciaire. L’extrême polarisation politique qui se construit autour de ces thèmes est frappante.

Les données sur le lieu d’habitation (région et type d’habitat) font également ressortir l’influence de ces variables sur le vote du 4 novembre (tableau 4). Au niveau régional, Biden l’emporte dans l’ouest et dans l’est  tandis que Trump l’emporte dans le sud et dans le midwest, comme le monde la carte des résultats. Mais c’est au niveau du type d’habitat que la polarisation politique apparaît le plus nettement, les habitants des grandes villes votant très majoritairement pour Biden et ceux des petites villes et des campagnes pour Trump tandis que ceux des suburbs donnent une courte majorité au premier.

 

Les motivations du vote et les qualités exigées des candidats

La polarisation politique se marque également dans les motivations de vote des électeurs et à propos des qualités qu’ils exigent des candidats (tableaux 5 et 6). Les électeurs qui privilégient les questions raciale, sanitaire et de protection sociale votent pour Biden, ceux qui privilégient la question économique et celle de la sécurité votent pour Trump. Ceux qui mettent en avant chez le candidat son aptitude à unifier le pays ou sa capacité de jugement votent Biden, ceux qui réclament d’abord un fort leadership votent Trump.

Remarquons que tandis que la préoccupation économique arrive nettement en tête la préoccupation sanitaire n’est pas dominante alors que les sondages laissaient penser que la focalisation de la campagne de Biden sur ce thème serait très payante. En particulier, les sondages laissaient espérer au camp démocrate que cette préoccupation ferait basculer les électeurs les plus âgés du côté de Biden. Or cette étude montre que les 65 ans et plus ont voté en faible majorité pour Trump.

Une forte polarisation idéologique

La polarisation idéologique qui oppose les deux candidats se fonde, outre la question raciale, sur de multiples enjeux comme le montre le tableau 7. Qu’il s’agisse du changement climatique, de l’avortement, de l’Obamacare ou du port du maque, les deux camps s’opposent frontalement.  

Dans le New York Times du 4 novembre, Charles Blow, notant les progrès du vote en faveur des républicains chez les électeurs noirs et latinos et la faible différence chez les électeurs blancs entre hommes et femmes, alors que Trump n’a cessé de dénigrer les femmes, conclut ainsi : «All of this to me points to the power of the white patriarchy and the coattail it has of those who depend on it or aspire to it. It reaches across gender and sexual orientation and even race. Trump’s brash, privileged chest trumping and alpha-male dismissiveness and in-your-face rudeness are aspirational to some men and appealing to some women. Some people who have historically been oppressed will stand with the oppressors, and will aspire to power by proximity.» Cette idée du pouvoir patriarcal blanc est intéressante pour tenter d’expliquer les progrès en voix de Trump par rapport à 2016, notamment ses bons résultats chez les femmes et les latinos. Trump a parfaitement incarné au cours de sa campagne ce type de pouvoir. S’agissant de ses progrès chez les électeurs des « minorités », il faut noter également le poids possible de la religion qui peut mener une partie d’entre eux vers le conservatisme religieux. Précisons par ailleurs que près de 80% des évangélistes ont voté pour le président sortant. Peut-être faudra-t-il veiller dans l’avenir à ne pas trop substantialiser la dichotomie majorité blanche/minorités ethniques en cessant de la tenir pour définitivement acquise et totalement explicative.