La gravité de la crise économique en Algérie edit

23 octobre 2019

C’est en réalité depuis la chute des cours du pétrole, à partir de juin 2014, puis la stabilisation du prix du baril autour de 60 dollars depuis cinq ans, que le pays fait face à de sérieuses difficultés économiques et financières. Pour garantir les équilibres macro économiques et macro-prudentiels, l’Algérie a besoin de vendre son pétrole aux alentours de 110/120 dollars le baril. Pour autant, il est difficile et même risqué socialement pour les autorités algériennes, de comprimer les importations, que ce soit au titre de l’Accord d’association avec l’Union européenne signé en 2002 (mais entré en vigueur pour la partie algérienne en septembre 2005) qui prévoit l’instauration d’une zone de libre-échange à l’horizon 2022 ou encore au titre de la médiocrité de l’offre locale de biens et de services qui conduit la consommateur algérien, de plus en plus exigeant, à choisir les produits d’importation, même s’ils sont plus chers.

Pourtant, l’Algérie a été un pays béni des Dieux. Entre 2002 et 2014, grâce à l’augmentation sans précédent du prix du pétrole, elle a pu engranger quelque 900 milliards de dollars. Il y a eu certes un Plan complémentaire de soutien à la croissance (2005-2009), un plan quinquennal (2010-2014) et un second (2015-2019). Mais aucun d’eux n’a fait l’objet d’une évaluation ex ante, a fortiori, ex post. Parmi les réalisations, on compte :

. des dizaines de milliers de logements (tous subventionnés, quelle que soit la formule d’achat, par l’Etat) ;

. une autoroute Est-Ouest avec de nombreuses pénétrantes dont on attend toujours les retombées sur le plan économique ;

. le métro d’Alger qui ne dessert que quelques zones suburbaines et l’agglomération centrale ;

. la construction d’un tramway à Alger et dans certaines villes du pays ;

. des centrales électriques ;

. des usines de désalinisation de l’eau de mer

Il faut savoir que l’ensemble de ces infrastructures et équipements collectifs, et bien d’autres de moindre importance, ont été financés sur concours définitifs et concours temporaires du Budget de l’Etat et que rares sont ceux qui ont été réalisés dans les règles de l’art et dans les délais. Ils ont donné lieu à d’innombrables gaspillages et au versement de commissions colossales (parmi les plus élevées au monde) à des intermédiaires qui en ont rétrocédé l’essentiel à des personnalités politiques, aujourd’hui poursuivies par la justice algérienne. Last but not least, les entreprises algériennes n’ont acquis aucun savoir-faire à l’occasion de ces projets dont la conception et la mise en œuvre (de l’amont à l’aval) ont été l’apanage d’entreprises étrangères, notamment chinoises, sud-coréennes et turques. Quant à la reconquête du marché intérieur par les entreprises algériennes, elle n’a pu s’effectuer à cause de l’absence d’une plate-forme industrielle et l’échec patent de la mise à niveau des entreprises publiques aussi bien que privées (menée pourtant tambour battant depuis 2004).

La prise de conscience tardive de l’inanité du modèle rentier

Désormais, les responsables algériens doivent, d’une part, se résigner à admettre que le prix du pétrole ne connaitra pas, à vue humaine, une nouvelle envolée, et d’autre part, ils devront se préoccuper de l’incapacité de la société nationale de pétrole et de gaz (la SONATRACH) à faire des découvertes significatives de pétrole brut et cela depuis 2008. En ce qui concerne le gaz naturel, 42 % de la production (la production totale a été de 78,5 Mtep en 2018) sont  transformés en énergie électrique pour satisfaire la demande locale (le réseau électrique couvre 98% d’un territoire presque cinq fois plus vaste que la France et le plus grand d’Afrique depuis 2011). A distance mesurable, on peut s’étonner que le contre-choc pétrolier de 1986 qui a conduit les responsables algériens, –qui s’y étaient refusés huit années durant-, à conclure un accord d’ajustement structurel avec le FMI, lesté de conditionnalités draconiennes (du point de vue de son coût social) ne leur ait pas servi de leçon, mais tout à l’opposé, qu’ils n’aient eu de cesse, depuis 1999, que d’entretenir la population algérienne dans l’illusion que la rente pétrolière et gazière était inépuisable.

À la fin de l’année 2018, la situation financière de l’Algérie se tend, puisque déjà, en Octobre 2017, le gouvernement avait décidé de recourir au financement non conventionnel(autrement dit à la planche à billets) pour couvrir les déficits abyssaux accumulés par les entreprises publiques (dont des entreprises dites stratégiques) que le Trésor, depuis les années 1970, avait invariablement pris en charge, en rachetant les dettes de ces entités économiques (intérêts et principal) aux banques prêteuses qui ont toujours été et sont encore des banques publiques(avec comme actionnaire unique l’Etat). Les réserves de change sont   tombées à 79,8 milliards de dollars (au 31 décembre 2018) et représentent deux ans et demi d’importations, au rythme de 30 milliards de dollars d’achats de biens et services de toutes catégories par an.

La crise économique aggravée par la crise politique 

Survient alors la crise politique de février 2019. Un Président de la République, impotent depuis son AVC d’avril 2013, persiste à se représenter pour un cinquième mandat (il a été réélu quatre fois depuis 1999), alors que le pouvoir réel est exercé par des centres de décision  informels actionnés par son frère cadet. Le Gouvernement, le Parlement, le Conseil Constitutionnel et les autres institutions nationales de souveraineté sont progressivement dépossédées de leurs prérogatives. Dans le même temps, une oligarchie qui s’est constituée à la faveur d’une économie de marché en trompe-l’œil, acquiert des milliers d’hectares de terres agricoles, d’assiettes foncières, truste le commerce extérieur en s’adjugeant tous les créneaux d’importation, aidée en cela par des banques, toutes publiques, qui leur accordent des méga-crédits, sans exiger en contrepartie la fourniture de sûretés réelles ou personnelles, transfère en violation de la réglementation des changes quelque 40 milliards de dollars à l’étranger(entre 2005 et 2019) et ce, à l’insu d’une Banque centrale (la Banque d’Algérie) très peu indépendante et ne disposant que de faibles capacités de supervision et de contrôle sur les banques commerciales de la place. Dès le 22 février, des algériens par millions manifestent chaque vendredi (30 fois, au 13 septembre 2019) de façon pacifique pour exiger le départ du régime et l’avènement d’un pouvoir exclusivement civil, considérant que l’élite dirigeante actuelle est partie prenante à toute la gestion des deux dernières décennies. Le mouvement populaire (le Hirak) exige une période de transition pilotée par des personnalités consensuelles. Ce à quoi le Chef d’État-major oppose une cinglante fin de non-recevoir, arguant de la gravité de la situation économique qui exige l’adoption sur-le–champ de réformes de structure, lesquelles ne peuvent être menées à bien que par un homme ou une femme élu(e)au suffrage universel direct, dans les délais les plus bref (le 1er tour de l’élection a été fixé au 12 décembre 2019) et dans des conditions de transparence incontestables. En réalité depuis huit mois, c’est toute l’activité économique du pays qui est en panne. 3.200 entreprises, notamment dans le secteur du BTPH, ont dû fermer et licencier quelque 265.000 salariés. Le montant des impayés a dépassé la somme de 15 milliards de dollars, cependant que le gouvernement doit aussi faire un sort aux 100.000 salariés des entreprises dont les patrons ont été incarcérés pour des délits financiers graves. La désignation d’administrateurs provisoires n’est qu’un palliatif, d’autant que ces entreprises, du fait de l’arrêt de leur activité, ne sont pas en mesure de réponde ni à la demande des clients ni à celle des fournisseurs ni surtout à celle des banques qui ont commis la légèreté de leur accorder des prêts sans garantie.

Le projet de loi de Finances pour 2020 ne peut être qu’un texte de circonstance. Parmi les pistes de sortie de crise qu’il promeut, on retiendra les suivantes : plus grande ouverture de l’économie algérienne à travers la suppression de la règle obligeant le résident algérien à être majoritaire dans tout projet de partenariat avec un étranger, amélioration du rendement de la fiscalité ordinaire appelée à supplanter la fiscalité pétrolière qui se rabougrit d’année en année, développement de start-up et leur participation à la commande publique, relance de la politique de grands travaux après une  évaluation rigoureuse de leur impact sur la croissance et la création d’emplois.

Les années 2020-2025 seront très difficiles pour l’Algérie. Seul un règlement rapide de la crise politique permettrait de cultiver quelques espoirs en matière de reprise de l’activité économique, ce qui passe par la diversification de l’appareil de production, donc la rupture d’avec le modèle rentier, responsable de la stagnation du pays dans tous les domaines.