Menace sur le SPD edit

17 avril 2008

Les déchirements publics du Parti social-démocrate allemand sur une alliance avec l’extrême-gauche peuvent ressembler à une tempête dans un verre d’eau. Mais ils sont révélateurs de la crise d’orientation profonde dans laquelle se trouvent les sociaux-démocrates, ainsi que d’un nouveau dilemme stratégique.

C’est un chancelier social-démocrate, Gerhard Schröder, qui a débloqué la société allemande en lançant des réformes structurelles portant à la fois sur la sécurité sociale, le marché du travail, le fédéralisme et l’éducation. Mais l’« agenda 2010 », né en mars 2003 dans l’improvisation, mal préparé et mal expliqué, n’a jamais gagné l’adhésion du SPD. Elle a au contraire provoqué des rejets dans la base populaire et syndicale du parti, dont un certain nombre a quitté le SPD pour lancer un mouvement protestataire de gauche, qui s’est opposé catégoriquement aux réformes engagées. Le SPD a encaissé une série de défaites électorales, même si Gerhard Schröder a réussi l’exploit de transformer la déroute annoncée des législatives de 2005 en demi-victoire, empêchant ainsi une alternance de droite.

Pour toutes ces raisons, le parti a eu du mal à s’identifier à la politique de l’agenda 2010, ce qui l’empêche aujourd’hui d’en tirer profit alors que l’économie allemande s’est redressée et que le chômage a baissé d’un million et demi. Dans la grande coalition, le SPD a pu imposer son approche réformiste respectueuse des équilibres sociaux à une CDU plus néolibérale au départ, mais il ne réussit pas à valoriser ce résultat. Dans les deux cas, c’est Angela Merkel, la chancelière de la CDU, qui engrange les dividendes des réformes.

Ayant perdu la confiance du « peuple de gauche » et des syndicats, concurrencé sur sa gauche par un parti qui excelle dans le populisme pur et dur, le SPD craint d’avoir perdu son identité sociale et cherche à se recentrer. Non sans succès : il a pu imposer l’instauration d’un salaire minimum dans les services postaux et retrouver l’offensive sur des thèmes comme le pouvoir d’achat ou la justice sociale. Toujours est-il que le SPD n’a toujours pas développé une approche réformiste pour apporter une réponse cohérente de gauche aux multiples défis que sont la mondialisation, le changement démocratique, la transformation du travail ou la construction de solidarités nouvelles.

A cette difficulté programmatique classique d’un grand parti de rassemblement de centre-gauche s’ajoute un dilemme beaucoup plus épineux, qui s’est révélé lors des dernières législatives de 2005 et tout récemment après les élections régionales du Land de Hesse : quelle alliance politique pour gagner et pour gouverner ? Avec l’apparition d’un parti de la gauche socialiste (qui s’appelle fort modestement Die Linke, « La Gauche »), un système à cinq partis semble s’installer durablement en Allemagne, ce qui change profondément la donne politique. Fini le temps idyllique d’un jeu à trois où il suffisait d’attirer le petit parti libéral pour gouverner, comme l’ont fait Willy Brandt puis Helmut Schmidt de 1969 à 1982. Fini aussi le temps où l’émergence d’un quatrième parti, Les Verts, offrait la possibilité de forger une majorité rouge-verte, comme l’a fait Gerhard Schröder entre 1998 et 2005.

Aujourd’hui affaibli par le parti de la gauche populiste, le SPD se trouve devant un choix difficile : se contenter d’être le second partenaire dans une grande coalition, voire accepter l’opposition, ou bien chercher de nouvelles majorités : en forgeant une alliance SPD-Verts-libéraux ou SPD-Verts-gauche populiste. Devant le refus catégorique des libéraux, c’est la dernière solution qui est entrée en débat.

La logique du pouvoir commanderait au SPD une alliance incluant « Die Linke ». Mais ce parti est en vérité un mariage entre deux cultures très différentes. A l’est du pays, l’ancien parti communiste a su se transformer en parti démocratique et garder la confiance de 20 à 25% des Allemands de l’est. Pragmatique et gestionnaire, il n’a pas hésité à assumer des responsabilités gouvernementales. Des alliances régionales avec le SPD fonctionnent ou ont fonctionné à plusieurs reprises, sans trop de problèmes. A l’ouest par contre, il s’agit d’un mouvement protestataire hétéroclite, en dissidence du SPD, qui se cantonne dans une logique d’opposition pure et dure et un refus de toute logique gouvernementale.

Difficile alors pour le SPD d’envisager une alliance solide. Reste à savoir si « Die Linke » peut évoluer et se responsabiliser, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives. Certains le pensent, au moins à moyen terme, tandis que d’autres restent très sceptiques. C’est le cœur du débat actuel, très controversé, au sein du SPD et dans les médias.

Pour comprendre le côté passionnel de ce débat, il faut partir de la culture politique allemande. La République fédérale, née en 1949 des cendres de la dictature nazie et face à une dictature communiste en Allemagne orientale, abhorre les extrêmes et est profondément centriste. Si l’opposition entre la gauche et la droite existe, il ne s’agit pas d’une polarisation à la française. Par ailleurs les deux grands partis de rassemblement se définissent comme centre-gauche (SPD) ou centre-droit (CDU) : ils cherchent à gagner et à gouverner au centre, et au besoin ils peuvent parfaitement gouverner ensemble car il n’y a pas de fossé programmatique entre eux. Cette quête du centre pousse à la modération et à la recherche de compromis, souvent imposée par le fédéralisme et le rôle important des Länder dans la législation nationale. Dans ce contexte, une stratégie « à gauche toute », acceptable au niveau régional dans les Länder de l’ex-RDA, comporte des risques considérables à l’ouest et a fortiori au niveau national : elle pourrait couper le SPD des voix du centre, qui restent décisives pour gagner une majorité. Quant à la droite, elle rêve d’enfermer le SPD dans un ghetto « rouge-rouge » pour le discréditer aux yeux de l’électorat modéré.

Pour toutes ces raisons, même si le SPD cherche à dédramatiser la question, il est clair que « Die Linke » ne pourra pas être un partenaire lors des législatives de 2009 ; après, on verra. De toute façon, le SPD a intérêt à sortir au plus vite du débat d’alliances avec son aspect de jeu tactique, voire politicien, qui risque de stériliser l’autre débat, bien plus important, sur les solutions à la fois réalistes et originales aux grands problèmes de notre société. En fin de compte, c’est sur ce terrain que se jouera son avenir. Quand il saura quoi faire, il pourra décider plus sereinement avec qui.