LME : quel impact sur l'inflation ? edit

17 septembre 2008

Le gouvernement annonce une poursuite des réformes à grand pas avec la Loi de modernisation de l'économie (LME), loi aux grandes ambitions puisqu'elle vise à accroître le potentiel de croissance de l'économie. Mais à quel rythme ?

La LME présente quatre grands volets : accroître la concurrence dans le commerce, soutenir le développement des PME, accélérer la diffusion des TIC, et développer l'attractivité de la place financière de Paris. Pour la plupart, ces mesures sont dérivées des recommandations des organisations internationales et elles sont les bienvenues. Et pour la plupart toujours, les effets sont attendus dans le moyen à long terme (au-delà d'une législature donc), sauf pour le volet " concurrence commerciale " qui pourrait avoir des effets plus rapides et plus visibles.

Que dit la LME sur la concurrence commerciale ? En reprenant les mots du gouvernement, " la loi favorise l'implantation des grandes surfaces en relevant le seuil des procédures d'autorisation de 300 à 1000m2 ". Le raisonnement à l'origine de cette mesure est le suivant. La double réglementation des lois Raffarin et Galland au milieu des années 90 a mis en place un système encadrant fortement les négociations de prix entre fournisseurs et distributeurs, ainsi que l'implantation de surfaces commerciales. Ce système a limité la concurrence et permis aux distributeurs de construire et préserver des rentes substantielles (l'Institut de liaison et d'étude des industries de consommation estime ainsi qu'entre 1998 et 2003 ces rentes auraient entraîné une perte de pouvoir d'achat pour les consommateurs de 9,6 milliards d'euros, ou 0,75 % d'une année de revenu disponible). Pour regagner du pouvoir d'achat, il faut donc revenir sur ces réglementations, libérer les prix et accroître la concurrence en libéralisant les possibilités d'implantation des grandes surfaces.

Dans cet esprit, plusieurs réformes de la loi Galland se sont succédées jusqu'à la récente loi Châtel : ces mesures ont partiellement libéralisé les relations fournisseurs/distributeurs de façon à favoriser des négociations de prix à la baisse et qui bénéficieraient aux consommateurs. Ces mesures ont en effet réussi à entraîner la convergence de l'indice des prix de la grande distribution vers celui des autres formes de vente ; la progression de l'indice des prix de la grande distribution est même maintenant inférieure à celui des autres surfaces de vente.

La LME complète ces efforts avec un paquet de mesures visant à accroître la concurrence entre distributeurs. En effet, sans concurrence, les distributeurs ont peu d'intérêt à répercuter des baisses de prix sur les consommateurs, et rationnellement devraient plutôt empocher les marges ainsi accrues. Et il est vrai que le marché de la grande distribution en France est fermé notamment aux magasins de hard discount : alors qu'en Allemagne ou en Norvège, la part de marché des hard discounters frise les 30%, en France, comme en Italie, elle est de moins de 8%. Pourquoi est-ce si important ? Non seulement parce que les hard discounters affichent des prix bien moins élevés (en Allemagne, par exemple, les magasins de hard discount affichent des prix de 30 à 50% moins élevés que les supermarchés), mais aussi parce ce que du coup, leur présence incite les surfaces standards à baisser leurs prix. Ouvrir le marché de la distribution à la concurrence devrait donc inciter l'implantation de magasins hard discount qui, ensuite, permettraient d'accroître la concurrence sur les prix.

Quelle est l'importance, en termes de baisse des prix (ou gains de pouvoir d'achat) que l'on peut attendre de la LME ? On peut l'estimer en comparant l'évolution des prix de la distribution en France avec ceux de ses voisins européens les plus proches. Alors que les prix de la grande distribution ont convergé vers les prix des autres formes de vente en France, il reste un écart sur le différentiel d'inflation cumulé depuis la mise en place des lois Galland et Raffarin, avec la zone euro et l'Allemagne, suggérant un potentiel de baisse d'environ 0,75 point d'inflation (ce qui se traduirait directement en 0,75 point de gain de pouvoir d'achat, sur plusieurs années bien sûr). L'INSEE sur la base d'un modèle plus sophistiqué suggère un gain maximal d'un point d'inflation. Dans tous les cas, une telle baisse de prix ne serait pas immédiate puisqu'elle nécessite la construction de nouvelles surfaces de vente, et on peut donc estimer la période nécessaire pour une extension de la concurrence suite à la LME, à au moins trois ans.

En réalité, de telles estimations reposent sur des hypothèses fortes : que la totalité de la rente accumulée par les grands distributeurs disparaisse sous l'effet de la concurrence, que la loi soit totalement appliquée et permette complètement à la concurrence de jouer. Or les termes de la LME permettent de limiter facilement et sur des critères peu précis l'implantation de nouveaux magasins. C'est la Commission départementale ou nationale d'aménagement commercial constituée de cinq élus et personnes qualifiées nommées par le préfet qui autorise l'implantation des surfaces commerciales de plus de 1000m2, mais qui peut également être saisie par le conseil municipal dans les communes de moins de 15 000 habitants pour préempter l'implantation de surfaces comprises entre 300 et 1000m2.

Ainsi, si le seuil de déclenchement des procédures d'autorisation des magasins est relevé de 300 à 1000m2 (et la plupart des magasins hard discount ont bien une surface inférieure aux 1000m2 fatidiques), la loi spécifie que pour les surfaces comprises entre 300 et 1000m2 la commune jouit d'un droit de préemption et peut saisir la commission départementale pour avis. De même, cela veut dire que la décision des élus locaux sera centrale dans la prise de décision, ce qui n'assure pas toujours une objectivité absolue de la prise de décision. Au total, les intentions sont certes bonnes, mais comme d'habitude, le diable est dans les détails : non seulement l'impact sur l'inflation sera limité (0,75 à 1 point d'inflation au maximum) et temporaire (le temps de la montée en puissance de la concurrence), mais de surcroît la montée en puissance de la concurrence pourrait être considérablement ralentie par des débats locaux.