Les socialistes veulent-ils changer de République ? edit

9 février 2011

Après le Forum sur les institutions organisé par le Parti socialiste à partir des propositions de Manuel Valls le 2 février, nous ne savons toujours pas si les socialistes entendent amender la constitution ou changer de République, puisque le bureau national a rejeté l'idée, pourtant raisonnable, d’envisager de futures propositions de révision dans le cadre du régime actuel. Alors ?

Le débat interne du Parti socialiste, puis le discours de Martine Aubry, ont montré que le PS n’a toujours pas de véritable position de fond sur le régime actuel, ni plus généralement de doctrine institutionnelle. Arnaud Montebourg, toujours attaché à son projet de VIe République, s’est violemment élevé contre la position de Manuel Valls. Mais ce que la presse a rapporté de ses propos montre à la fois un vide inquiétant en matière de propositions concrètes en faveur de l’enterrement de la Ve République et une inconséquence profonde de l’ensemble de sa vision institutionnelle. « Nous ne pouvons plus vouloir le maintien de la Ve République » déclare-t-il à 20 minutes.fr. Il ajoute : « Parler des institutions, ça ne veut rien dire, en revanche, la démocratie ça concerne tout le monde. » On a beau connaître le relatif désintérêt que le PS a témoigné la plupart du temps pour les questions institutionnelles, une telle déclaration laisse pantois. Si parler des institutions ne veut rien dire, alors pourquoi en parle-t-il avec tant d’insistance, à moins que sa vision de la VIe République ne passe pas par des propositions de réécriture de la Constitution ?

Pressé d’être un peu plus concret sur sa VIe République, il répond que celle-ci « ne serait rien d’autre que la République des gens et non plus celles d’oligarchies minoritaires ». Certes, mais encore ? La VIe République, ajoute-t-il, « permettrait de réconcilier la population et les politiques ». « Le Parlement aurait plus de poids, il y aurait plus de démocratie directe ». Ce discours, qui n’est en fait rien de plus que l’éternelle antienne de la gauche depuis 1958, ne propose donc rien de concret. Dans un livre récent, Arnaud Montebourg est un peu plus explicite. Il souhaite l’établissement d’un régime primo-ministériel, le Premier ministre étant le véritable chef de l’exécutif. Mais il ne va pas jusqu’à proposer la suppression de l’élection du président au suffrage universel. Or, sans cette réforme fondamentale, aucune modification ne supprimera la primauté du président de la République lorsqu’il a une majorité parlementaire.

Le Parti socialiste n’a cessé lui-même de s’adapter à la présidentialisation du régime. C’est lui, avec le quinquennat, l’inversion du calendrier électoral en 2001, et l’instauration des primaires ouvertes – dont Arnaud Montebourg a été un partisan et un organisateur – qui a, dans la dernière période, plus que la droite, œuvré dans le sens de la présidentialisation du régime. Arnaud Montebourg, candidat à la primaire, axera-t-il sa campagne interne sur le thème de la réduction drastique des pouvoirs du président et sur l’attribution au Premier ministre de l’essentiel du pouvoir exécutif ?

Toujours est-il qu’en l’absence des principaux leaders du parti, qui avaient sans doute d’autres occupations, le bureau national a rejeté les propositions présentées par Manuel Valls, ce qui n’a pas empêché la Première secrétaire de permettre à celui-ci de présenter son texte au Forum, le lendemain, sans que l’on sache du coup quel en était le véritable statut.

Le discours que celle-ci a prononcé à l’occasion de ce forum n’a pas permis d’y voir plus clair. Elle a déclaré : « ma conviction est que la gauche ne doit pas renoncer à transformer les institutions de la Ve République ». Mais que signifie transformer dans sa bouche : réviser ou changer de République ? Nous ne le saurons pas. « Depuis 2007, l’urgence d’une réforme constitutionnelle s’est encore accrue », affirme-t-elle. Voulant « reprendre la question institutionnelle », elle entend « rééquilibrer les pouvoirs au profit du Parlement, garantir l’indépendance des contre-pouvoirs mais aussi s’ouvrir à la participation des citoyens ». Certes, mais ce discours fort général et convenu ne s’accompagne pas de propositions nous permettant de savoir si oui ou non, elle propose un changement de République.

Elle appelle, elle aussi, au renforcement des pouvoirs du Premier ministre aux dépens de ceux du président, mais s’agit-il de changer la pratique politique ou les textes ? Elle réclame la suppression de l’article seize qui est une revendication permanente de la gauche alors que cet article n’a été appliqué qu’une seule fois au moment du putsch des généraux en Algérie. Elle entend également supprimer l’innovation de 2008 selon laquelle le président peut s’adresser directement au Parlement. Par ailleurs, lorsqu’elle estime que le droit de dissolution du président ne doit pas être utilisé à des fins de convenances personnelles, il faut rappeler que ce droit n’a été utilisé depuis 1958 que cinq fois, deux fois par le général de Gaulle, en 1962 quand l’Assemblée a censuré le gouvernement Pompidou et en 1968 pour trouver une solution politique à la crise, deux fois par François Mitterrand pour tenter d’obtenir une majorité parlementaire après ses victoires présidentielles et enfin en 1997 par Jacques Chirac, dissolution qui a permis le retour de la gauche au pouvoir et que la droite hésitera à réitérer dans l’avenir. Comment dès lors faut-il comprendre, en termes de proposition de révision, ce vœu de mettre un terme à la dissolution pour « convenances personnelles », qualification qui peut s’appliquer à l’extrême rigueur à celle de 1997 mais certainement pas aux quatre autres ! D’autres propositions sont avancées par elles, que l’on peut soutenir ou non, mais qui ne paraissent pas nécessiter l’abandon de la Ve république.

Il est ainsi pour le moins dommageable que nous ne sachions pas, un an avant la prochaine élection présidentielle, si le grand parti de gauche, ayant vocation à exercer le pouvoir en cas de victoire, gouvernera dans le cadre des institutions de la Ve république, comme il l’a fait pendant trois législatures depuis l’alternance de 1981, où si il veut vraiment changer de République. Pour les quelques citoyens qui s’intéressent aux questions institutionnelles, la réponse à cette question n’est pas secondaire car, comme le rappelait Guy Carcassonne « si une bonne constitution ne peut suffire à faire le bonheur d’une nation, une mauvaise peut suffire à faire son malheur ».