Économie post Covid-19: un capitalisme d’État avec date d’expiration edit

25 juin 2020

Alors que les économies commencent à s’orienter vers la reprise et la croissance post Covid-19, elles devront d’abord se dépêtrer de leur concubinage avec l’Etat, qu’elles ont dû courtiser pour survivre pendant la pandémie. Cette étroite relation est devenue de plus en plus courante tant l’intervention des gouvernements a été essentielle pour la stabilisation économique. Les gouvernements ont endossé leur nouveau rôle avec conviction. D’après le FMI, depuis avril 2020, les pays se sont engagés pour un montant d’environ 8 000 milliards de dollars pour combattre la pandémie et ses effets néfastes sur l’économie et la société. Les décisions quant à l’utilisation de ces fonds auront pour effet, sans aucun doute, restructurer le capitalisme dans les années à venir.  

Se désengager d’une dépendance profonde, qui semble n’avoir aucune fin visible, est très inquiétant. Nous croyons qu’une solution potentielle serait en premier lieu de limiter l’intrusion de l’État, en confiant à des véhicules financiers spécialisés la distribution des fonds publics. Ces véhicules peuvent être similaires aux fonds souverains (FS) avec une exception – le mandat qui est conventionnellement associé avec les FS aurait une date d’expiration. Avec un tel véhicule financier, l’assistance de l’État peut être convertie en participations rassemblées dans un portefeuille détenu par un FS.

Lors d’une pandémie, le secteur privé demande l’assistance du gouvernement sous forme de prêts garantis ou de prêts d’Etat. Après la grande crise financière de 2008, les gouvernements sont devenus de plus en plus hésitants à distribuer des fonds publics en utilisant ces mécanismes car ils ne sont pas protégés par des clauses de conditionnalité. L’utilisation des fonds publics pour sauver des banques qui avaient pris des risques a été sévèrement critiquée aux lendemains de la grande crise. Une industrie spécialement touchée par la crise en 2020 est celle des compagnies aériennes. Les mécanismes disponibles pour imposer une conditionnalité, comme la prise de participation, sont néanmoins intrusives et affaiblissent la capacité des entreprises à maximiser la valeur pour les actionnaires.

Un fonds souverain avec une date d’expiration permet l’utilisation de mécanismes de marché pour préserver les intérêts publics tout en contribuant à la convalescence de l’économie. Le fond acquiert des actions, devient un partenaire silencieux ou prend le contrôle d’autres composantes des capitaux des entreprises. A travers cette recapitalisation, les avoirs du fonds souverain augmentent dans les moments où l’injection de capitaux est nécessaire et diminuent dans les périodes de rétablissement économique. La date d’expiration du fonds souverain permet un transfert éventuel de ses actifs (structurés ou non) au secteur privé. Ce procédé de transfert d’actifs peut être utilisé pour atteindre des objectifs nationaux plus globaux, tels que le financement de la transition vers une économie décarbonée pour lutter contre le réchauffement climatique. La date d’expiration est également importante en ce que le choix de créer un fonds souverain, choix hautement politique, peut avoir des conséquences imprévues à long terme et en particulier un effet d’éviction du secteur privé. Ceci a été démontré récemment dans le livre Capital Choices

Un tel mécanisme permettra également aux États de participer à la reprise que la dépense publique se doit de faciliter, et de s’assurer que l’argent public n’est pas distribué sans conditions aux secteurs les plus touchés. Cela aidera à rétablir la confiance des électeurs par rapport aux fonds largement distribues par le passé, et permettra de rendre des comptes au contribuable. Ces avantages ont conduit l’Allemagne à créer en avril 2020 un Fond de stabilisation économique (Wirtschaftsstabilisierungsfonds), avec des actifs pour 600 milliards d’euros, dont 100 milliards seront dédiés à l’investissement, 400 milliards aux garanties de prêts et 100 milliards au refinancement à travers la banque d’Etat, le groupe KfW. De même le gouvernement autrichien a créé l’agence COVID-19 Finanzierungsagentur des Bundes (COFAG). La Norvège a mis en place quant à elle un fond temporaire, le   Government Bond Fund, avec 5 milliards de dollars de liquidités auxquelles les entreprises peuvent avoir recours pendant la crise du Coronavirus (voir tableau ci-dessous).

Même si cela apparaît comme un changement fondamental du capitalisme, c’est le genre de compromis entre les intérêts des contribuables et les préférences des actionnaires qui sont maintenant vitaux pour la période de pandémie globale que nous vivons. Les moyens conventionnels d’intervention de l’Etat favorisent certains et en pénalisent d’autres. Il existe également plusieurs trade-offs intrinsèques aux instruments conventionnels tels que les aides de sauvetage, l’achat d’actifs, les garanties de prêts et d’autres passifs. Des questions sur la propriété doivent aussi être résolues. Les débats récents sur le sauvetage de la compagnie aérienne nationale autrichienne dont est propriétaire l’allemand Lufthansa ont soulevé cette question. Alors que Lufthansa est en discussion avec le gouvernement allemand sur un package de sauvetage de 10 milliards de dollars, Austrian Airlines a demandé également 850 millions de dollars au gouvernement autrichien sous forme de prêt ou de garantie.

La dépense publique va s’intensifier au cours des prochains mois et même des prochaines années. Cette augmentation de dépenses ira sans aucun doute de pair avec une augmentation de la surveillance et l’exigence de discipline fiscale.

Un vieil allié – le fonds souverain – peut vraiment devenir le meilleur espoir des gouvernements pour équilibrer la responsabilité publique et les intérêts privés dans une économie post-pandémique.  

Sélection de pays et leurs fonds souverains avec leur date d’expiration

 

Traduction : Isabel Serrano