Les chimères d’Alitalia edit
Ceux qui, en Italie, ont accueilli avec soulagement la décision d’Air France-KLM de se retirer des négociations devraient comprendre que la procédure de dépôt de bilan mène droit à la faillite car Alitalia n'est pas en mesure de dégager des ressources suffisantes pour satisfaire ses créanciers. Les organisations syndicales d’Alitalia et les politiques qui les ont soutenues ont fait preuve d’une grave irresponsabilité, perdant le peu de crédibilité qui leur restait.
La décision du président d’Air France-KLM de rompre les négociations avec les syndicats d’Alitalia fait faire à la compagnie un nouveau pas vers le dépôt de bilan. L'augmentation de capital d’un milliard d'euros qu’Air France-KLM s'était engagé à faire, et qui pouvait être lancée dans un délai assez bref, est désormais devenue une chimère. Lourdement endettée et perdant un million d’euros par jour, la compagnie n'est pas en mesure de dégager des ressources suffisantes pour satisfaire ses créanciers.
Imaginons pourtant, même si c’est peu probable, que quelqu'un trouve les capitaux nécessaires pour faire renaître une nouvelle compagnie des cendres d'Alitalia, comme c’est arrivé en Belgique après la faillite de Sabena et en Suisse après celle de SwissAir. Tout d’abord il doit être clair que l’investisseur ne pourra pas être l'État italien. Ensuite une hypothétique Aeritalia serait inévitablement redimensionnée, de la même façon que Swiss et Brussels Airlines sont bien plus petites que Swissair et Sabena. Le dépôt de bilan implique aussi des contraintes de gestion bien supérieures à celles qui figuraient dans le plan Spinetta, et on ne sait même pas, par exemple, si tous les pilotes pourront bénéficier de la « caisse d’intégration » (la Cassa Integrazione Guadagni, un fonds public créé en 1954 pour protéger les revenus des travailleurs en cas de difficultés de l'entreprise). Le dépôt de bilan n’est donc pas une formule particulièrement souhaitable pour les salariés (sans même parler du pays dans son ensemble) et il ne constituait donc pas une alternative crédible dans la négociation.
Mais les syndicats d’Alitalia ne sont pas seuls à mal comprendre les enjeux. Le responsable des infrastructures de la Région de Lombardie, Raffaele Cattaneo, en est venu à déclarer : « Il ne me déplaît pas qu'on ait évité le choix malheureux [entre Rome et Milan] impliqué par la cession d'Alitalia à Air France-KLM. Je souhaite que le non des Français soit définitif (...). À présent commence la partie plus difficile, qui doit être laissée entre les mains du nouveau gouvernement, et en évitant des scénarios apocalyptiques » (Il Sole 24 Ore, le 3 avril). On en déduira que, pour ce Candide, Alitalia peut continuer tranquillement à aller dans le mur, puisque le nouveau gouvernement réussira à faire surgir du monde des chimères la mythique « cordata del Nord », cette chaîne de solidarité entrepreneuriale qui irait de l’Inter de Milan au Casino de Venise.
Au fond, derrière tout ce que dit Cattaneo et tout ce qu’il ignore (ou feint d'ignorer), on devine la même conviction qui expliquait l'attitude des syndicats à la table des négociations : la conviction qu'il y a toujours la possibilité pour le gouvernement, que ce soit l’ancien ou le prochain, d'intervenir, de servir de médiateur, d’arranger et... de financer. La conviction que la partie politique n’est jamais finie. Mais toutes les négociations ont une fin, et il semble bien que même les compagnies aériennes peuvent avoir une fin.
Entre les diverses propositions avancées par les syndicats, il en est une qui est particulièrement révélatrice d'une culture méridionale et qui, plus que les autres, a poussé Air France-KLM à la rupture des négociations. Il s’agit de l'idée d’intégrer à la « Nouvelle Alitalia » la part d’AZ Servizi détenue par Fintecna (51%). En somme, on reviendrait sur une séparation décidée il y a deux ans par l’ancien président d’Alitalia, Giancarlo Cimoli, et dont la nécessité semblait désormais être admise. Le désir des syndicats était que l'État, via Fintecna, participe à l'augmentation de capital d'Alitalia. Évidemment, parce qu'ils comptaient, grâce à l’arrivée de l'État dans le jeu, faire absorber par le nouvel actionnaire à majorité étrangère le retour dans l’entreprise d'une série d'activités structurellement déficitaires, en plus du maintien d'autres activités (fret aérien, hub de Malpensa etc.) qui, selon le plan Spinetta, devaient être cédées ou abandonnées pour retrouver l’équilibre.
Cette extravagante proposition a révélé à l’équipe Spinetta que ses interlocuteurs n'avaient pas compris ou ne partageaient pas réellement l'intention d'assainir Alitalia. Leur intention était plutôt de réaliser une opération à la façon du Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : tout changer pour que rien ne change. En particulier une tradition consistant à ronger Alitalia jusqu'à l'os, aux frais des contribuables et avec l’aval des politiques.
On ne sait si c’est un objectif de communication qui a conduit les organisations syndicales à déclarer, moins de 24 heures après l’annonce d’un abandon des négociations, qu’elles étaient prêts à reprendre les discussions avec Air France-KLM, ou bien si elles ont réalisé l’erreur monumentale qu’elles avaient commise en imposant des exigences extravagantes à l'unique interlocuteur resté autour de la table, ou enfin si elles ont constaté que leur popularité auprès des salariés de la compagnie était en chute libre. La rupture explicite du front syndical par les salariés romains d'Alitalia, ainsi que de ceux qui travaillent en France, leur déclaration en faveur du plan d'Air France-KLM, attestent que la situation a désormais échappé au contrôle des organisations syndicales de la compagnie.
Nous allons voir à présent si, comment et quand les négociations reprendront. Mais ce qui est sûr c’est que les syndicats du secteur ont réussi à perdre le peu de crédibilité qui leur restait, en faisant preuve avec quelques politiciens d’une insoutenable irresponsabilité. Quant à la cordata del Nord elle a montré une fois ce que tout le monde sait : les fantômes n'existent pas.
Une version italienne de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire LaVoce
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