La contre-présidente edit

22 avril 2009

Le président Sarkozy a-t-il réellement tenu les propos que l'on lui prête sur M. Zapatero ? Ségolène Royal a-t-elle eu raison de demander pardon à ce même M. Zapatero que le président de la République aurait offensé ? Ces deux questions que tout le monde se pose n'ont en réalité aucune d'importance. Les propos supposés du chef de l'État n'ont pas de valeur officielle. Ils n'auront de ce fait aucune conséquence sur les relations franco-espagnoles. À la différence du discours de Dakar qui avait lui un contenu officiel, les propos tenus à l'Élysée n'ont qu'une teneur privée. Quitte à rompre avec le conformisme ambiant, les propos du chef de l'État ne peuvent nullement être assimilés à un dérapage. Si dérapage il y a eu, il émane de ceux qui se sont crus obligés de contrevenir à des usages républicains élémentaires en rendant publics des propos privés. Mais si tout ceci n'a aucune importance, pourquoi donc continuer à en parler ? Pour une raison simple. Parce que derrière la récidive calculée de Mme Royal, se dégage en réalité une manière pour elle de s'opposer à M. Sarkozy.

En effet, tout le monde a pu noter que face à un président de la République souvent imprévisible, capable de surprendre et toujours en mouvement, ses opposants avaient bien du mal à dégager une véritable ligne de conduite. On peut difficilement atteindre une cible qui fuit en permanence sans songer un instant à ajuster son tir.

Cet anti-sarkozysisme primaire peut d'une certaine manière être renvoyé à la vieille thèse mitterrandienne selon laquelle le rôle d'une opposition est de s'opposer.

Mais cette explication ne suffit pas. Depuis fort longtemps, la gauche a toujours eu des difficultés à se positionner face à la droite. Le plus souvent d'ailleurs elle n'est parvenue à se définir que comme une sorte d’anti-droite dont le rôle historique serait au fond de reconstruire ce que la droite aurait détruit. Mais ce positionnement a lui aussi une histoire. De tout temps la gauche n'a en réalité réussi à jouer que sur deux registres : celui de la République en danger et celui des luttes sociales. La thématique de la République en danger a longtemps été celle de la gauche sous la Ve république. L'identification obsessionnelle du pouvoir gaulliste au pouvoir personnel l’a tellement aveuglée qu'elle a oublié de voir que le gaullisme était autre chose que cela. C'est François Mitterrand et lui seul qui a compris les impasses de cette stratégie en acceptant de jouer le jeu des institutions de la Ve et de voir que celle-ci constituait pour la gauche une source inespérée d'accession au pouvoir. Mais tout cela lui a pris beaucoup de temps puisqu'il lui a fallu plus de 25 ans pour prendre le pouvoir avec d'ailleurs le soutien décisif d'une droite divisée.

Ces derniers temps et en pleine crise économique, le Parti socialiste a cherché à ranimer le fameux combat pour la liberté en tentant de présenter le chef de l'État comme un adversaire des libertés publiques, comme un danger pour la République tout en votant contre une réforme constitutionnelle qui pourtant accroît les pouvoirs du Parlement face au président de la République. Certes il y a beaucoup à dire sur la manière dont M. Sarkozy use du pouvoir présidentiel. Mais de là à y voir un homme menaçant pour les libertés publiques il y a un pas qu'il est difficile de franchir. Au demeurant, cette démarche ne semble pour le moment connaître qu'un très faible écho dans l'opinion pour qui globalement les menaces sur l'emploi apparaissent bien plus réelles que celles qui pèseraient sur les libertés publiques.

L'autre axe traditionnel de l’anti-droite a été celui des luttes sociales. Derrière chaque manifestation, derrière chaque fermeture d'usine la gauche croit y voir le signe avant-coureur d'une convergence de lutte plus large devant elle-même déboucher sur un combat politique encore beaucoup plus large lui-même annonciateur incontestable qu'une alternative politique irrésistible. Mais là encore ce pavlovisme politique semble pris en défaut par une réalité sociale beaucoup plus complexe et fragmentée. De surcroît, M. Besancenot occupe déjà le terrain, au sens propre du mot. De fait, la très faible confiance que semblent avoir les Français dans la politique du gouvernement dans sa lutte contre la crise ne se traduit nullement par une confiance accrue dans la capacité de la gauche a proposé une alternative crédible.

Pour se rassurer, celle-ci met en avant la longue période de crise qu'elle a connue et argue du fait qu'elle est entrée dans une phase de convalescence active qui la conduira dans les prochains mois à véritablement proposer une alternative crédible à un gouvernement usé. Peut-être. Sauf qu'en attendant, cette démarche ne semble pas avoir abouti. Et la première en être convaincue est Ségolène Royal.

Celle-ci a désormais compris. Elle sait que si elle veut avoir des chances de se retrouver au second tour face à M. Sarkozy dans trois ans elle aura besoin d'avoir derrière elle un parti politique dont l'absence de soutien s'est cruellement fait ressentir pendant la campagne de 2007. N'étant pas parvenue à le conquérir véritablement, elle s'efforce de le neutraliser au sens propre du terme. Elle veut éviter qu'il se transforme en machine de guerre contre elle le jour venu. Mais elle veut en même temps éviter que n'émerge de ce même parti un ou une candidate qui pourrait le jour venu s'opposer à elle dans la course au leadership de la gauche.

Cette neutralisation du PS s'accompagne d'une stratégie d'hyper présidentialisation qui est en réalité calquée sur la stratégie du président de la République. Ségolène Royal a compris que sa seule chance de s'opposer à Sarkozy n'était pas de faire de l’anti-sarkozysme primaire comme le fait le Parti socialiste mais d’ apparaître comme le seul challenger crédible de ce même président, un rôle que seul pour le moment M. Bayrou est en mesure de tenir même s'il ne dispose d'aucune troupe sous la main. Tout ce qu'entreprend Ségolène Royal aujourd'hui répond à ce besoin fondamental d'apparaître comme une contre-présidente c'est-à-dire comme la seule alternative personnelle au président de la République. C'est d'ailleurs parce que Ségolène Royal mesure les avantages de cette logique de contre-présidente qu'elle peut se permettre de faire quelques gracieusetés à un Parti socialiste dans lequel elle n'a fondamentalement plus aucune confiance et dont elle sait qu’elle ne peut rien attendre, sinon qu'il se livre à elle pieds et points liés le jour venu, en étant suffisamment exsangue pour qu’elle en ait rien à craindre mais suffisamment en vie pour pouvoir relayer son combat personnel.

Conscient de ce nouveau danger, le Parti socialiste se ravise subtilement. Après avoir vu les bénéfices qu'il pouvait tirer du contre discours de Dakar, un discours parfaitement consignable dans le livre d'or de l’anti- sarkozysme, il sent bien qu'en dépit des apparences la lettre à Zapatero rapporte beaucoup plus à Mme Royal qu’il n’apporte au Parti socialiste. Au Parti socialiste il y a plus que jamais deux lignes. D'un côté la ligne officielle du parti qui gère l’anti-sarkozysme comme on gère un patrimoine à fructifier sur un mode classique, et de l'autre une stratégie royaliste très personnalisée dont l'objectif est d'apparaître comme la seule alternative crédible à un président supposé en grande difficulté. Mais dans de telles conditions l’est-il encore vraiment ?