La torpille Rocard edit

18 avril 2007

Michel Rocard évoquait la semaine dernière une possible alliance entre le PS et l'UDF. En se recentrant, le PS asphyxierait Nicolas Sarkozy et renforcerait ainsi la position de Ségolène Royal, dont tout le monde admet qu'elle a une vision du monde beaucoup moins idéologique que le parti dont elle est issue. Mais la politique ne se résume pas aux bonnes intentions et encore moins aux bons sentiments. Sans modernisation préalable du PS, l'alliance avec l’UDF serait au mieux impraticable, au pire dévastatrice pour la gauche.

L’alliance PS-UDF est tout d’abord impraticable sans réforme préalable du mode de scrutin. Demander aux électeurs UDF de se désister pour des candidats socialistes – ou l’inverse – serait mal compris et probablement peu suivi. Sur le terrain, le « tout sauf Sarkozy » n’aurait pas, au moment des législatives, beaucoup d’impact sur les électeurs UDF.

Mais il y a plus grave : allier l’UDF et le PS sans clarification politique préalable serait un geste dévastateur tant pour les électeurs de gauche que du centre. Cela apparaîtrait comme un accord d’appareil qui précipitera une partie du centre vers la droite et une partie de la gauche vers une extrême-gauche pour qui l’alliance au centre est la divine surprise qu’elle attend depuis longtemps. Il est par ailleurs probable qu’une alliance PS-UDF aurait pour conséquence de faire voler en éclats un PS hétérogène où réformistes et conservateurs font encore jeu égal.

En réalité, la seule option stratégique qui s’ouvre au PS est celle de sa modernisation interne. Ce n’est qu’une fois que ses objectifs politiques auront été clarifiés, que son réformisme sera mieux assumé, qu’il pourra envisager de reconquérir le terrain perdu au centre et de devenir un grand parti de centre-gauche, à l’instar du PSOE espagnol ou du Labour anglais.

Cette évolution est d’ailleurs inéluctable. La question n’est pas de savoir si elle aura lieu mais quand elle aura lieu. Et cela, paradoxalement, quel que soit le résultat de la présidentielle. Si Ségolène Royal est élue, elle le devra beaucoup plus à sa personnalité et à son projet qu’à celui d’un parti socialiste qui n’a jamais été aussi faible dans sa capacité à innover mais jamais aussi fort pour réaffirmer son attachement aux formes classiques de redistribution par la multiplication des aides en tout genre, sans jamais se préoccuper sérieusement du rôle des incitations.

Si elle est battue, la situation sera naturellement différente mais ne jouera pas forcément contre la modernisation de la gauche. Certes, comme en 2002, on verra une frange du PS expliquer son échec par le fait de n’avoir pas été assez à gauche. Mais la « machine à duper » commence à montrer de très nombreux signes de fatigue. Comme dans le Labour anglais, il arrivera un moment où les militants se demanderont pourquoi dans le reste de l’Europe seuls les réformistes parviennent à accéder au pouvoir. C’est alors qu’il faudra commencer par rappeler des principes de bon sens : à supposer que la mondialisation néo-libérale soit responsable de tant de dégâts et soit extérieure à la société à laquelle elle s’imposerait comme une prothèse sur un corps rétif, il faudra expliquer pourquoi, depuis vingt ans, aucune coalition politique anti-libérale n’a réussi à voir le jour en Europe. Le jour où la gauche française commencera à répondre à cette question, elle aura accompli une partie du chemin. De fil en aiguille elle sera alors amenée à poser un certain nombre d’axiomes politiques simples.

Le premier est de dire que le modèle politique de la gauche ne peut plus être celui des Trente Glorieuses et que dans ces conditions, toute volonté de revenir à cet ordre ancien ne pourra que continuer à alimenter le pessimisme social, marqueur identitaire de la gauche. Car, quoi qu’on en dise, c’est bel et bien la référence à ce modèle qui structure idéologiquement le PS.

Le second est de considérer que le plupart des maux dont nous souffrons ne sont pas le produit mécanique d’une politique néo-libérale mais de l’épuisement d’un modèle sociopolitique qui ne peut plus fonctionner sur la base du seul volontarisme étatique. Partout l'espace du réformisme en Europe se situe entre libéralisme et social-libéralisme. Certes, la gauche peut légitimement récuser l’étiquette sociale-libérale. Mais elle peut difficilement en combattre le contenu. Et de ce point de vue, il n’y a guère de raison de se laisser impressionner par la valeur des mots. Car jusqu’en 1989, la gauche refusait de se dire sociale-démocrate, ce qu’elle n’a d’ailleurs historiquement jamais été. Combien de temps lui faudra-t-il pour se dire sociale-libérale ? La question mérite d’être posée car, en cas d’échec aux présidentielles, le prétendu « réformisme de gauche » aura fait les preuves de son échec retentissant.

Enfin, et c’est le dernier point, la modernisation de la gauche passe par la valorisation des opportunités ouvertes par le monde d’aujourd’hui. La gauche ne pourra sortir du pessimisme social que si elle donne à ses adhérents un certain nombre de clés pour comprendre le monde de demain. Concrètement cela signifie mettre en évidence les potentialité et les priorités du XXIe siècle et pas seulement ses dysfonctionnements et ses menaces… Mais sans ce préalable, une alliance PS-UDF soit ferait éclater le PS, soit rendrait sa modernisation clandestine car non assumée. La SFIO, ancêtre du PS, en a fait l’amère expérience. On peut légitimement se demander si en lançant sa torpille, Michel Rocard ne cherche pas à provoquer l’échec de Ségolène Royal dès le premier tour.