Il court, il court, le Brexit edit

5 avril 2019

Que l’on considère cela comme une vertu ou un vice, l’un des traits majeurs de Theresa May est la poursuite constante d’un but particulier, qu’il soit réalisable ou non. En tant que ministre de l’Intérieur, elle s’est constamment efforcée de réduire le nombre d’immigrants à l’objectif de « dizaines de milliers » fixé par David Cameron et le Parti conservateur dans le manifeste électoral de 2010. Ce faisant, elle a créé pour les migrants un environnement hostile qui a conduit au scandale Windrush de 2018 dans lequel il a été révélé que des citoyens britanniques se sont trouvés menacés d’expulsion et ont perdu le droit au travail, aux prestations sociales et aux soins de santé, simplement parce qu’ils n’avaient pas les documents nécessaires pour prouver leur citoyenneté.[1]

De la même manière, Mme May a poursuivi avec acharnement l’objectif d’une sortie de la Grande-Bretagne de l’UE et a invité le Parlement à accepter l’accord qu’elle a négocié avec l’UE. Cette invitation a été adressée au Parlement à trois reprises. La première fois, il a été rejeté par la plus grande majorité de l’histoire. La semaine dernière, à la deuxième occasion, il a de nouveau été rejeté par une majorité de plus d’une centaine de voix. Le lendemain, le Parlement a voté contre le projet de loi, plusieurs ministres ayant voté contre le gouvernement, et le lendemain, les députés ont voté à une écrasante majorité en faveur d’une prolongation de l’article 50. Dans ce cas, on a été confronté au spectacle extraordinaire d’un ministre de la Sortie de l’UE (Minister for Leaving the EU) s’exprimant au nom du gouvernement en faveur de cette motion... mais votant contre lors du vote qui a suivi ! En outre, le speaker Bercow, qui préside les sessions du Parlement, a déclaré que Mme May ne pouvait pas présenter à nouveau sa proposition à moins qu’elle ne soit substantiellement différente : une semaine de « négociations » avec l’UE n’a entraîné aucun changement à l’accord de retrait et à la déclaration politique, et l’UE a alors dit au Royaume-Uni que si l’accord n’était pas adopté par le Parlement le Royaume-Uni quitterait l’Union le 12 avril. Si l’accord intervenait plus tard le départ serait reporté au mois de mai, ce qui donnerait au Parlement britannique le temps de voter la loi.

Nous avons ensuite vu le Parlement reprendre le contrôle de son programme d’activités, ce qui est inhabituel. Normalement, le gouvernement propose les travaux de la semaine, dont le Parlement débat. Cette modification a permis aux députés de s’exprimer sur une série d’options concernant le Brexit, allant du « No Deal » au retrait de l’article 50 et comprenant des propositions pour une certaine forme d’union douanière (Norvège ou Union douanière 2) ou pour un second référendum. Aucune de ces propositions n’a obtenu la majorité, bien qu’une proposition d’union douanière s’en soit rapprochée. Il s’est ensuivi une réunion du Parti conservateur au cours de laquelle le Premier ministre a indiqué que si son accord obtenait une majorité elle se retirerait et permettrait à quelqu’un d’autre de mener le deuxième volet des négociations avec l’UE sur les relations futures du Royaume-Uni. Elle n’a ensuite soumis au Parlement que l’accord de retrait, qui fut rejeté une troisième fois ! Comme l’a dit un conservateur, Mme May a proposé de sauter sur son épée et l’a ratée !

Le 1er avril (connu sous le nom d’April Fool Day en Grande-Bretagne), les députés ont continué à jouer les idiots en rejetant à nouveau une liste plus limitée d’options concernant les relations futures de la Grande-Bretagne avec l’UE. Cette fois-ci, une proposition d’union douanière avec l’UE n’a été rejetée que par trois voix, un échec dû, comme l’ont noté certains observateurs, au fait que les deputés favorables à un second référendum n’ont pas soutenu celui sur l’union douanière !

Après un conseil des ministres qui a duré sept heures le lendemain, May a annoncé qu’elle cherchait une solution de compromis avec le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, et qu’à défaut d’un accord avec Corbyn, le Parlement serait invité à voter sur les propositions qui seraient susceptibles de recueillir une majorité. Et l’horloge continue de tourner vers le 12 avril et un départ sans accord, un résultat que les dirigeants de l’UE tels que Michel Barnier considèrent de plus en plus probable.

Comment interpréter cette situation extraordinaire ? Tout d’abord, tout comme le Brexit a divisé les Britanniques, il a divisé les députés au Parlement et brisé la loyauté envers les partis traditionnels, à tel point qu’une douzaine de députés conservateurs et travaillistes ont démissionné de leur parti et siègent maintenant dans un groupe indépendant avec l’intention de créer un nouveau parti centriste[2]. Deuxièmement, plutôt que de rechercher initialement une certaine forme de soutien transpartisan pour son approche de la négociation avec l’UE, Mme May a fait passer l’unité des partis avant l’intérêt national, tant dans la formation de son gouvernement que dans les discussions ultérieures. Dans ses tentatives de maintenir l’unité du parti, elle s’est constamment trouvée confrontée à un groupe de Brexiters bien organisés sous la forme du Groupe européen pour la réforme (GRE) dirigé par Jacob Rees-Mogg, presque un parti au sein du parti, ainsi qu’à un groupe moins bien organisé de députés favorables au Remain. Ces divisions ont également divisé de plus en plus le gouvernement, les ministres les plus favorables au Brexit comme Boris Johnson, David Davis et Dominic Raab démissionnant lorsque les choses ne vont pas comme prévu. Les divisions au sein du gouvernement sont maintenant si graves que l’Exécutif est effectivement paralysé et, à la suite de son offre de démission, l’autorité du Premier ministre est gravement affaiblie, sinon complètement perdue. Troisièmement, et c’est important, le gouvernement britannique, et en particulier ceux qui sont chargés de diriger les négociations avec l’UE, soit ne connaissaient pas vraiment le fonctionnement de l’UE, soit ignoraient les conseils de leurs fonctionnaires en la matière, soit sous-estimaient sérieusement la complexité du processus de négociation. Rien ne serait aussi facile que des gens comme Davis ou Johnson l’avaient suggéré au début du processus ! L’un des résultats a été que l’article 50 a été déclenché sans que le gouvernement britannique ait une idée claire de ce qu’il voulait obtenir des négociations, alors qu’il se trouvait face à une UE dont les 27 autres membres avaient au contraire une idée très claire de ce qu’ils voulaient. Quatrièmement, non seulement Mme May n’a pas réussi à faire de compromis sur ses propres lignes rouges – une partie de ses erreurs antérieures –, mais elle n’a pas non plus réussi à franchir les lignes rouges de son parti, malgré sa volonté d’écouter d’autres propositions. Mais comme le montre l’éventail des votes indicatifs mentionnés plus haut, les députés eux-mêmes n’ont pas réussi à faire de compromis. On voit peu de chances que May et Corbyn soient en mesure de produire une proposition de compromis acceptable pour le Parlement, étant donné les cris de trahison de l’ERG quand May a commencé à discuter avec Corbyn et l’opposition continue du Northern Irish Democratic Unionist Party à pratiquement toute proposition. Et même si, au dernier moment, le Parlement est d’accord, l’UE l’acceptera-t-elle et accordera-t-elle au Royaume-Uni une nouvelle extension de l’article 50 ?[3]

 

[1] Malgré les changements successifs de ministre de l’Intérieur, des problèmes subsistent, notamment le fait que ceux qui avaient été accusés à tort de ne pas être britanniques attendent toujours d’être indemnisés. L’environnement administratif auquel sont confrontés les immigrants reste peu accueillant, ce qui après le référendum sur le Brexit n’a pas facilité les choses aux citoyens européens pour venir au Royaume-Uni ou y rester s’ils y sont déjà.

[2] Longtemps le pilier de la politique britannique, le système bipartite n’a probablement pas réussi à refléter la division de la société britannique pendant la majeure partie des quarante ou cinquante dernières années. La montée des partis nationalistes en Écosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord n’en est qu’un exemple.

[3] L’auteur a commencé cet article alors qu’il se trouvait au Royaume-Uni. Il l’a terminé en Bretagne, mais quittera la France avant le 12 avril, au cas où cet exercice calamiteux aboutirait à un Brexit sans accord !