Police de proximité : les contresens de M.Sarkozy edit

16 janvier 2006

Dans sa conférence de presse accordée à l'occasion de la publication des chiffres de la délinquance pour l'année 2005, le ministre de l'Intérieur met en avant une baisse de 1,3% du total des délits alors qu'elle concerne essentiellement les vols, les délits les moins graves. Sa communication bien maîtrisée nous invite à penser que la situation est sous contrôle et promise à une amélioration. Malheureusement, ce bilan fait l'impasse sur la question des banlieues et des émeutes, le phénomène le plus marquant et le plus inquiétant depuis plusieurs décennies. Or celles-ci nous invitent à faire un retour sur la situation à nous reposer certaines questions. Pourquoi s'être détourné de la question des relations entre police et population défavorisées, entre police et minorités, au profit d'une rhétorique guerrière ?

La police de proximité, annoncée par Charles Pasqua en 1995 et implantée par la gauche à partir de 1998 était une tentative intéressante (mais avortée) de réponse. Elle a été prise comme anti-modèle par l'actuel ministre de l'Intérieur. Contre la dérive d'une police trop douce, il a annoncé un " rééquilibrage " avec sa doctrine, celle du policier comme guerrier de la délinquance, mieux comme son seul adversaire efficace, n'a pas tenu ses promesses. Plus curieux encore, aucune interrogation de ce modèle de police n'a eu lieu après les émeutes.

La vérité est bien qu'il faut un rééquilibrage, mais dans le sens inverse à celui qui a été choisi. On déploie des trésors de savoir et de technologie pour élucider des crimes graves, mais on ne sait pas comment faire pour augmenter la confiance vis-à-vis de la police dans les quartiers sensibles.

Par ailleurs, l'analyse qui identifie police de proximité et " mollesse pénale " est erronée. Parmi les pays de police communautaire (terme qui correspond à police de proximité dans le reste du monde), on en trouve de très punitifs. Notre voisin d'outre Manche a certes une police qui a une tonalité très sociale à travers l'image du " bobby " ses policiers sont organisées par régions (il n'y a pas de police nationale au sens français). Dans le même temps, le taux d'incarcération en Grande-Bretagne est de moitié plus élevé qu'en France.

Regardons les Etats-Unis. D'une part sous l'influence de la crise du modèle professionnel, et de l'autre du fait des émeutes des années soixante et du risque pointé par la commission Kerner en 1968 d'une division de la nation en deux (les blancs et les noirs), la police communautaire a pris son essor. Et cela au point que des universitaires parlent de nouvelle orthodoxie de la police. Dans ce pays, de 1997 à 1999, la part des services de police qui emploient des personnels désignés comme agents de police communautaire a doublé, le nombre d'agents représentant maintenant 21% des personnels. Parallèlement, les taux d'incarcérations y ont atteint un sommet : on y met en prison 9 fois plus de personnes (pour 100 habitants) qu'en France.

Enfin, le Canada connaît une baisse continue de la délinquance depuis 10 ans en ayant dans le même temps diminué sa population carcérale et implanté la police de proximité dans une grande ville du Québec, Montréal. Ni le fait de mettre moins de personnes à l'ombre, ni le recours à la proximité n'ont entravé cette réduction du nombre de délits.

Bref, la police de proximité n'a rien à voir avec la sévérité pénale ou son contraire (parfois présenté désavantageusement sous le terme de " laxisme "). Elle traduit un souci de recherche de légitimité auprès des " usagers " les moins nantis ; n'est-ce pas d'importance pour un service public ?

Le télescopage de la question de l'efficacité de la police et celle de la police comme déterminant de la délinquance est dommageable. S'il ne fait guère de doute que la police contribue à la sécurité, ce n'est jamais son travail qui détermine le niveau de la délinquance dans un pays, pas plus qu'on ne peut montrer que c'est d'elle seule que dépendent les baisses ou les augmentations de la délinquance. La raison en est simple : il y a beaucoup de facteurs qui contribuent à la délinquance (la déstructuration familiale, la pauvreté, l'influence des images violentes sur les enfants, la facilité à voler des objets ou des voitures etc.). La police n'a pas de prise sur eux, ou guère, si elle travaille isolément. Elle ne peut être tenue comptable de ce qui ne dépend pas d'elle.

Lorsque Nicolas Sarkozy, devant les préfets de toute la France en novembre dernier, après les émeutes, repousse la police de proximité au motif qu'il " ne veut pas qu'une partie de la police soit vouée à la répression et l'autre au simple contact " on se demande si ses conseillers ont oublié de lui expliquer que la police de proximité avait aussi augmenté les pouvoirs judiciaires des fonctionnaires afin que, précisément, ils puissent mieux enquêter sur et réprimer la petite délinquance des quartiers.

Enfin, l'idée qu'il faudrait d'abord " nettoyer les quartiers " avant d'y réinstaller la police de proximité, souvent opposée à la réforme, n'est pas fondée. L'analyse des programmes de type " weed and seed " (désherber et semer) a pu le montrer. Il faut de manière coordonnée et simultanée mener les deux types de police dans le même quartier.

Comment expliquer les positions de l'équipe resserrée de la place Beauvau ? Et l'absence de remise en question ? Point de discours de la rupture en matière de police : on revient à l'orthodoxie du " modèle professionnel " des années 1960, au guerrier de la délinquance comme variation de l'opposition du bien et du mal. Ce discours rassure et plaît au policier tout comme à l'opinion. Ensuite, plutôt que de s'engager dans des réformes nécessaires mais douloureuses vers un objectif défini, la politique semble dériver d'annonce en annonce, tirée par l'actualité. Un problème dans les écoles ? On entend parler d'une police présente à l'école. Un problème dans les trains ? On nous annonce une nouvelle police ferroviaire.

Dommage. Dommage pour la sécurité des Français et la cohésion sociale. Si Nicolas Sarkozy avait repris, transformé et amplifié le défi de la police de proximité, s'il y avait mis l'énergie qu'on lui connaît et qu'il a dépensée pour convaincre les médias de ses résultats, nul doute que la France aurait engagé pour de bon une des réformes les plus ambitieuses et les plus nécessaires.