Mettre la solidarité sociale à l’heure de la société de la longévité edit

2 novembre 2018

Une « grande consultation » est menée par le gouvernement afin de financer la perte d’autonomie. La troisième en dix ans...  À force de tergiverser, la situation devient urgente.

La question n’est pas celle du vieillissement, qui concerne majoritairement les jeunes seniors, c’est-à-dire les 12 millions de plus de 65 ans. En termes de protection sociale, l’enjeu ce sont les plus de 75 ans. Le risque de perte d’autonomie commence à partir de cet âge, et s'accroît significativement après 85 ans. Le nombre de plus de 75 ans augmentera très sensiblement dès 2021. Entre 2013 et 2070, le nombre des plus de 75 ans se sera accru de 8 millions. Dans le même temps le nombre des plus de 85 ans va quadrupler[1].

Devant la nouvelle donne démographique marquée par le vieillissement et la longévité, la hausse des maladies chroniques et, plus largement, la croissance du nombre de personnes en situation de fragilité physique, psychique ou morale, il faudra bien choisir entre le déni et le défi. Le premier, idéologiquement dominant, repose sur une culture d’injonctions hygiénistes et sur des représentations sociales très négatives de l’avancée en âge comme de la fragilité. Le second implique de poser les bases d’une politique du care, passant par la valorisation des métiers du soin, le soutien concret aux aidants bénévoles d’un proche, la priorité donnée à la prévention et le changement de regard sur la fragilité. Il s’agirait aussi de dépasser la croyance en la toute-puissance des solutions technologiques.

La nouvelle donne démographique implique de repenser le champ de la perte d’autonomie autrement qu’en termes de politique de santé et de recours à la distribution de ressources financières. Le contexte des finances publiques oblige à encadrer les dépenses alors même que la demande est et sera en forte hausse[2], mais il est aussi nécessaire de prendre en compte l’évolution des modes de vie et d’action des personnes, marquées en particulier par la culture du service, les attentes nouvelles pour être partie prenante de son avenir, y compris pour les choix de traitement de sa propre santé.

De l’Ehpad à la Maison d’accueil des aînés et de l’autonomie

Réussir une politique de la longévité impliquerait  de renforcer les politiques de mobilité, pour aider à lutter contre l’isolement des plus âgés (27% des plus de 80 ans affirment ne voir aucune personne au moins un jour sur deux[3]) et d’adaptation de l’habitat pour faciliter la vie à domicile et réduire les risques d’accidents, et d’abord de chutes. Cette politique contribuerait aussi à améliorer l’activité des artisans de proximité et renforcerai le dynamisme économique des territoires. L’enjeu est aussi d’assurer le continuum entre le chez soi et, si besoin, la maison de retraite médicalisée. Entre les deux, une variété de solutions existe déjà. Surtout les acteurs (secteur Hlm, promoteurs, milieux associatifs, individus, collectivités territoriales...) inventent régulièrement de nouvelles approches plus douces, moins onéreuses, plus en continuité avec les désirs et besoins des personnes.

Plus largement, en termes de prévention et d’accompagnement du parcours de vie des aînés, le développement de l’accueil de jour et du passage à une logique de plate-forme gériatrique et de soin participerait d’une politique de la longévité bien mieux adaptée. C’est la notion d’« Ehpad hors les murs ». Peut-être faudrait-il les renommer en Maisons d’accueil des aînés et de l’autonomie... Signalons que ce type d’approche répond aux attentes des personnes : selon un sondage Odoxa de juillet 2017, face à la perte de capacité physique, pouvoir alterner vie à domicile et accueil en établissement spécialisé, serait privilégié par 37% des plus de 50 ans.

Assurance maladie et prise en charge du risque de perte d’autonomie

Dans la logique d’une politique de care et en prolongeant la pensée des solidaristes de la fin du XIXe siècle, c’est sur le terrain de la mutualisation et de l’innovation sociale et technologique que les pistes peuvent être développées. L’émergence de la silver economy s’inscrit dans cette dynamique en favorisant des solutions adaptées aux besoins et aux attentes des personnes. Reste que de nombreuses propositions s’affranchissent encore trop de l’analyse des usages et des capacités économiques des aînés.

La société de la longévité implique une nouvelle protection sociale qui mette l’accent sur les actions en amont du risque (prévention), et en prenant impérativement en compte la situation de la personne dans sa globalité (famille, situation professionnelle, entreprise…). Or, depuis le Rapport de Pierre Laroque de 1962, la question de la prise en compte collective de la perte d’autonomie liée au grand âge est sur la table. Mais rien n’a fondamentalement bougé. Certes, il y a eu de nombreuses améliorations comme l’instauration de l’Allocation personnalisée autonomie (APA) en 2002 et la création de la CNSA à la suite de la canicule de 2003 et son cortège de 15000 personnes âgées décédées. Pour autant, la question de fond n’a pas été réglée et le reste à charge pour les familles s’accroît alors même que le pouvoir d’achat des retraités a toute chance de continuer de baisser.

Régulièrement la question de la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale dédiée au financement collectif du risque perte d’autonomie ressurgit sans qu’aucun gouvernement ne s’y soit réellement impliqué. Le manque d’envie, la peur des coûts et l’absence de vision sur le sujet se sont conjugués pour une politique du sur-place. Une nouvelle piste apparaît maintenant qui serait de maintenir tout ou partie de la cotisation de la CRDS mise en place pour rembourser la dette de la sécurité sociale et appelée à s’éteindre à l’horizon 2020, pour l’affecter à la perte d’autonomie... Peut-être faudrait-il faire plus simple et élargir l’assurance maladie à la prise en charge du risque de perte d’autonomie ? Ce serait sans doute assez facile à mettre en œuvre et cela éviterait de pointer du doigt les plus âgés. L’autre avantage c’est qu’ainsi il s’agirait d’accompagner et financer le risque de déficit d’autonomie sans que l’âge ne soit un critère. Cesserait enfin la barrière d’âge artificielle censée distinguer dépendance et handicap.

Nos sociétés se veulent toujours plus performantes, mais génèrent toujours plus de vulnérabilité. À quand la performance dans la prise en compte collective de la perte d’autonomie ?

 

[1] Insee Première, n°1619, novembre 2016

[2] Quelle politique publique pour la dépendance ?, Note n°35, du CAE, octobre 2016

[3] Baromètre Ipsos pour la Fondation Korian pour le bien vieillir, septembre 2018