Le grand retour du conflit gauche-droite edit

29 mai 2006

La mondialisation et ses effets sur l'économie et la société française sont en train de redessiner les clivages au sein de la classe politique. C'est ce que révèle cette enquête passionnante et très instructive sur les perceptions des députés français. Depuis plusieurs années, le clivage gauche/droite semblait perdre de sa signification, de sa réalité politique et idéologique et de sa capacité à organiser les oppositions politiques en France. Cette période est en train de s'achever. La question de la mondialisation pourrait devenir l'élément central qui redonne sa pertinence et son sens à ce clivage, montrant ainsi que, désormais, l'opposition entre gauche et droite de gouvernement se redéfinit sur des enjeux qui dépassent les seules questions domestiques.

Trois grandes observations peuvent être tirées des résultats de cette enquête, concernant respectivement la perception de la mondialisation elle-même, les attitudes à l'égard de l'organisation des relations commerciales internationales et, enfin, les différentes manières de percevoir et de réagir aux effets de cette mondialisation sur l'économie et la société française. C'est à partir de la comparaison entre les réponses des députés de l'UMP et des députés socialistes que ces observations seront faites.

Les députés membres des deux partis dominants ont une vision partiellement commune de la mondialisation – la majorité d'entre eux, à gauche comme à droite, y voient un processus équilibré représentant à la fois de réelles avantages et des inconvénients sérieux – mais une forte minorité, à gauche, n'y voit qu'un processus globalement négatif tandis qu'une forte minorité, à droite, est d'un avis contraire. Si gauche et droite estiment que ce sont les grands pays émergents qui sont les gagnants de ce processus et les pays les moins avancés les perdants, que les catégories sociales bénéficiaires sont les chefs d'entreprise, les cadres supérieurs, les professions libérales et indépendantes, en revanche, l'unanimité se fait à gauche pour estimer que la mondialisation profite avant tout aux entreprises multinationales et aux marchés financiers tandis qu'à droite, l'équilibre se fait entre ceux qui pensent de cette manière et ceux qui estiment au contraire qu'elle profite d'abord à tout le monde ou aux consommateurs. Et tandis qu'à droite, la catégorie sociale considérée comme ayant le plus à perdre de ce processus est celle des agriculteurs, pour la gauche ce sont les ouvriers.

Ces visions pour partie différentes de la mondialisation se traduisent par des attitudes différentes à propos de l'action de l'Organisation mondiale du commerce. Chez les députés de l'UMP, les réponses sont très également réparties sur la question de savoir qui profite le plus de cette action, des pays développés, des pays émergents, des pays en développement ou des " riches ", qu'il s'agisse de ceux des pays développés ou de ceux des pays émergents. Pour les députés socialistes, ce sont d'abord les " riches " qui profitent de l'OMC. Les députés de l'UMP estiment que l'OMC fait de son mieux pour encadrer la libéralisation des échanges. Ceux du Parti socialiste pensent au contraire que l'OMC va trop loin dans l'ouverture des marchés. Tandis que les premiers estiment que, les intérêts de la France doivent la conduire à défendre en priorité les agriculteurs et l'ouverture des marchés des pays émergents à nos entreprises, les seconds exigent avant tout la reconnaissance d'une " clause sociale fondamentale ".

La polarisation gauche/droite est encore plus nette lorsqu'il s'agit d'analyser les causes des difficultés économiques et sociales de la France. Ici, deux visions s'opposent clairement. La droite UMP estime que ces difficultés sont étroitement liées aux blocages spécifiques de la France et a son incapacité à s'adapter aux changements provoqués par la mondialisation. La gauche socialiste au contraire estime que les difficultés sont directement le produit de la mondialisation et que la France doit tenter d'en limiter les effets négatifs en défendant son propre modèle économique et social.

Le clivage gauche/droite se focalise ici surtout sur le traitement de la question de l'emploi. Pour les socialistes, la précarité de l'emploi en France est la conséquence d'une politique " ultra-libérale " (93% des réponses) tandis que pour les députés de l'UMP, " elle est la conséquence d'un système rigide qui protège ceux qui ont déjà un emploi et font obstacle à ceux qui en cherchent " (98%). Si 92% des députés de l'UMP pensent que les problèmes de la France sont davantage les conséquences de ses blocages internes que de la mondialisation à proprement parler, 29% seulement des députés socialistes partagent cet avis. S'agissant de leur propre circonscription, 71% des députés socialistes estiment que les problèmes d'emploi qui s'y posent sont la conséquence de la compétition internationale tandis que 70% des députés UMP estiment que ces problèmes sont liés davantage à la structure du marché du travail en France qu'à la mondialisation. Surtout, 98% des députés socialistes sont d'accord avec l'idée selon laquelle la flexibilité de l'emploi est déjà suffisamment grande pour ne pas l'accroître, ce qui n'est le cas que de 20% des députés de l'UMP. Pour les socialistes, finalement, la France n'affronte pas la mondialisation avec plus de difficultés que les autres pays européens (76%), tandis que 61% des députés UMP pensent le contraire. Et si 87% de ceux-ci pensent que d'autres pays européens ont un taux de chômage plus faible que celui de la France parce qu'ils ont su mieux gérer les défis de la mondialisation, la majorité des députés socialistes mettent en cause le caractère non pertinent des statistiques de l'emploi.

Pourtant, tandis que les socialistes trouvent intéressante mais sans contenu pratique l'idée du patriotisme économique, les UMP sont plus partagés, une importante minorité souhaitant qu'elle soit mise en œuvre. Peut-être faut-il, pour comprendre cette apparente contradiction, se rappeler que c'est le Premier ministre, Dominique de Villepin qui a réactualisé cette idée récemment.

Ces observations conduisent à penser que l'articulation de la question de l'emploi et de celle de la mondialisation va devenir un enjeu majeur du clivage gauche/droite dans la période à venir. Face à une droite de gouvernement, plus libérale demain qu'hier sur le plan économique, qui défendra l'idée que nos difficultés à affronter la concurrence internationale ont des origines spécifiquement françaises qui nous obligent à modifier notre modèle social pour diminuer le chômage, la gauche, estimant que la France n'a pas de difficultés spécifiques d'adaptation, voudra au contraire protéger le pays des dangers de la mondialisation, en défendant les services publics, en s'opposant aux délocalisations, en taxant davantage le capital et revendiquant le " modèle social français ", quitte à réduire les échanges internationaux et à protéger nos frontières face aux économies émergentes. Les conditions d'un nouvel affrontement droite/gauche paraissent donc réunies. La question de la mondialisation est désormais au centre de cet affrontement. La classe politique française ne peut plus y échapper, quelles que soient les réponses données par les uns et par les autres.