Vœux inquiets au Président edit

15 janvier 2019

Le président était debout, signe de sa fermeté et de sa volonté de persévérer, lors de son adresse aux Français le 31 décembre. Il a visé haut, son discours de qualité présentant une vision ambitieuse de la France et de son avenir, au risque de passer très au- dessus de la capacité d’écoute d’un public qui s’apprêtait à réveillonner. Se positionner dans les hauteurs rend moins visibles les obstacles au ras du sol, nombreux et inquiétants, qui risquent de le faire trébucher en 2019. Ces obstacles considérables sont de différente nature.

Obstacle social. La règle du macronisme au pouvoir était de ne pas céder devant les manifestations et les grèves. Elle fut approximativement respectée, et même de façon spectaculaire dans le cas de la SNCF, jusqu’aux Gilets jaunes. Après un recul particulièrement coûteux, une douzaine de milliards, il sera difficile de résister aux nouvelles et inévitables offensives sectorielles. Déjà, la police a obtenu satisfaction. D’autres professions, qui ont des revendications légitimes, comme les professions de santé, vont suivre. Le plus inquiétant dans la crise des Gilets jaunes est que l’illégalité et la violence ont payé, avec l’appui massif et constant de l’opinion. Finis, les défilés autorisés de la CGT et autres syndicats. Place aux coups de mains et aux actions illégales de toute nature, qui seules paieraient, d’autant que des groupes de Gilets jaunes continueront à mettre du sel sur les plaies. Une agitation sociale, larvée mais violente, est probable dans les prochains mois, se concluant par des compromis nécessairement coûteux.

Obstacle économique et financier. L’économie française, qui avait bénéficié d’une conjoncture favorable entre 2016 et 2018, évoluera en 2019 dans un contexte plus incertain. Si une récession mondiale est improbable, la croissance globale est moins bien orientée et en France elle sera inférieure à 2%, un seuil en-dessous duquel le chômage baisse peu et les comptes sociaux sont difficiles à équilibrer. Certes, les prévisionnistes annoncent une augmentation du pouvoir d’achat des ménages, notamment pour les salariés les plus modestes. Elle sera étalée dans le temps, il s’agira d’une moyenne et il est peu probable que la majorité des Français ressente cette hausse. Le pouvoir d’achat continuera d’être un problème central en 2019, alors que la dette publique dépassera plus de 100% du PIB. La fragilité de l’économie française va s’accroître et notre compétitivité-prix diminuera. Les coups de pouces au pouvoir d’achat consécutifs au mouvement des Gilets jaunes devraient conduire à une augmentation des importations et nos comptes extérieurs continueront de se dégrader.

Faute de pouvoir augmenter les impôts et de baisser les dépenses publiques au point de compenser les « cadeaux » déjà consentis ou futurs, le quinquennat Macron semble un quinquennat perdu en ce qui concerne la limitation des déficits et de l’endettement publics. Quant aux réformes de structure qui vont dans le bon sens, comme la formation professionnelle et permanente, elles ne feront pas encore sentir leurs résultats de façon significative. Quant à la réduction des inégalités par la voie fiscale, elle semble exclue. Pour les étrangers, la France restera « l’homme malade » de l’Europe occidentale.

Obstacle politique. Il est difficile à cerner mais est peut-être le plus considérable. Après une période de confiance, nous sommes entrés dans une période de défiance profonde et irrationnelle. Le président est suffisamment intelligent pour ne pas renouveler les petites phrases qui lui ont fait tant de mal et pour améliorer sa politique de communication. Il sait que cela ne suffira pas et il semble miser sur le « grand débat », aventure risquée aux contraintes multiples, pour retrouver un minimum de confiance.

L’objectif d’un tel débat est de parvenir à un diagnostic partagé, des solutions unanimes étant exclues en démocratie. Pour parvenir à un tel objectif, il faut que les positions de départ évoluent, ce qui demande du temps, probablement une année, pour un débat d’une telle ampleur. Une autre condition est de centrer le débat à quelques sujets pour éviter la dispersion et les catalogues verbeux. Enfin, il faut des animateurs de qualité et probablement plusieurs échelons de débat pour cadrer les échanges et préparer les synthèses. Aucune de ces conditions n’est actuellement réunie. Il faudra beaucoup d’habileté et de savoir-faire au président dans la lettre qu’il doit adresser prochainement aux Français et dans l’animation d’une opération nécessairement décentralisée

Un ensemble contradictoire, voire incohérent, de réponses qui seraient inexploitables aggraverait la crise de défiance. Les consultés crieraient à la tromperie et à la manipulation et le seul slogan susceptible de faire l’unanimité serait « Macron démission ». Des « cahiers de doléance » non suivis d’effet, cela a été le début de la fin pour l’Ancien Régime.

Compte tenu du calendrier, le débat pourrait alors changer de registre et passer sur le plan électoral avec les élections européennes, qui deviendraient un vote pour ou contre le président de la République.

Obstacle européen. Comme en économie, la chance a tourné pour le président. Il est passé d’une position offensive, misant sur la complicité attendue de la chancelière, à une position défensive. Faute d’une Europe plus sûre tendant à la souveraineté, il devra la défendre contre les nationalistes de tout crin qui vocifèrent en France et à l’étranger. Le champ européen ne sera pas la dimension stratégique espérée du projet macronien et les querelles intérieures ont toute chance de l’emporter sur le débat européen.

L’échéance électorale pourrait être la bouée de sauvetage du macronisme présidentiel, tellement ses adversaires sont divisés, manquent de crédibilité et de leader susceptible de rassembler les Français. La présentation éventuelle d’une liste Gilets jaunes est de nature à accroître la confusion.

Après des élections, qui ne seraient pas perdues, le président pourrait gouverner avec des ambitions réduites. Un nouveau gouvernement conduirait une politique à la Chirac. Parmi les réformes attendues, certaines seraient, sinon abandonnées, vidées d’une part de leur contenu. Ce ne serait pas la première fois. Les institutions de la Ve République sont suffisamment fortes et souples pour permettre de telles inflexions et continueraient heureusement de protéger un président, même affaibli.

C’est peu dire que l’année 2019 n’est pas écrite. Plusieurs scénarios, très différents sont possibles.

Le président a eu raison dans ses vœux de garder de la hauteur. En descendant plus bas, il n’aurait fait que multiplier les inquiétudes.