La révolution fiscale est en marche edit
Cet article est le premier d'une série de six que Telos consacre à la révolution fiscale en Europe.
Madame Merkel n'y va pas par quatre chemins. Son ministre des Finances, Peter Steinbrück, vient en effet d'annoncer qu'il entrait dans la concurrence fiscale, avec la décision de baisser l'impôt sur les sociétés d'un quart dès 2008. A ceux qui critiqueront cette approche non-coopérative de la politique économique, s'ajoutant à celle de la déflation compétitive déjà engagée, il sera toujours facile de répondre que ce n'est pas la coalition en place qui a lancé le mouvement : l'Allemagne s'ajuste à l'évolution de son environnement.
Quelle est donc cette évolution ? Les taux marginaux les plus élevés de l’impôt sur les revenus des personnes baissent afin de ne pas décourager les plus qualifiés, qui sont aussi les plus mobiles. On peut difficilement s’extasier à longueur de Sommet européen sur la société de la connaissance et maintenir des tranches à 50% sur le travail très qualifié. Il s’agit bien au contraire d’attirer les cerveaux et les entrepreneurs, et la plupart des pays ont logiquement décidé d’introduire des régimes favorables aux impatriés. Autre assiette d’imposition très mobile, les profits des firmes, notamment des plus grandes d’entre elles, tirant parti d’importants échanges intra-groupes permettant de « remonter la valeur » de façon assez discrétionnaire dans telle ou telle localisation, de dispositifs fiscaux nationaux si complexes que « plus personne n’y comprend rien » – selon l’un des meilleurs spécialistes européens du sujet, Michael Devereux – et de flux financiers internes (par exemple prêts entre maisons-mères et filiales) à des conditions hors marché.
Résultat, le taux de l’impôt sur les sociétés baisse à peu près partout, même si les recettes n’ont pas été aussi mauvaises que cela au cours des dernières années en raison de profits substantiels. Agnes Bénassy-Quéré explique que le club très select des Etats membres de l’Union européenne s’offrant encore le luxe d’un taux de l’impôt sur les sociétés supérieur à 33% ne comporte plus aujourd’hui que six membres, dont la France et l’Allemagne. En 2008, la France se retrouvera donc en petit comité avec la Belgique, l’Espagne, l’Italie et Malte, « alors qu’il y a dix ans, ce club comptait dix-sept des vingt-cinq membres actuels de l’UE ». Et les taux imaginés il y a un quart de siècle ne sont plus adaptés à l’économie contemporaine, nous rappelle Steve Bond. L’assiette des cotisations sociales est également reconsidérée ; Michel Martinez évoque à ce sujet le débat actuel sur « une vieille lanterne du débat français », la contribution sur la valeur ajoutée.
Le seul souci est que les dépenses, elles, doivent être financées : éducation, soutien à la recherche (la société de la connaissance, à nouveau), filets sociaux (il faut accompagner la mondialisation), infrastructures de qualité (pour renforcer l’attractivité du territoire), vieillissement de la population. Il faut donc chercher d’autres sources de financement en s’appuyant sur les assiettes immobiles.
En bout de ligne, le consommateur : Telos a déjà expliqué pourquoi il ne fallait pas baisser la TVA sur la restauration. Pourquoi se priver des recettes fiscales correspondantes, qui sont captives, si les créations d’emplois qu’entraînerait une telle baisse sont vraisemblablement très faibles ? L’Allemagne remonte ses taux de TVA de trois points de pourcentage, l’Italie y réfléchit, de bons esprits recommencent à évoquer une TVA sociale en France. La TVA est bien sûr encadrée au niveau communautaire, mais gageons que les ultimes marges de manœuvre seront exploitées partout. Dans le même esprit, la fiscalité sur le carburant est une très bonne chose, nous rappelle Michel Martinez : les automobilistes ne vont pas se mettre tout de suite à la bicyclette.
L’Europe est en fait entrée, sans que l’on s’en rende vraiment compte, dans une véritable révolution fiscale. Et madame Merkel, avec beaucoup de pragmatisme, n’a pas manqué d’en tirer les conséquences. Avec la mobilité des capitaux et des personnes, la concurrence pour l’attraction des assiettes mobiles joue à fond. Des écarts de fiscalité sur les sociétés peuvent subsister dès lors que certaines localisations sont plus attractives (de meilleures infrastructures, une localisation centrale au sein du marché européen, permettent de faire passer la potion amère d’un taux élevé d’imposition des bénéfices). Au rythme actuel, et s’il n’y a avait pas ce rempart de meilleures infrastructures, ou de localisations au plus près des consommateurs, il n’y aurait plus d’impôt sur les sociétés en Europe en 2030 : il est donc urgent de « consolider les assiettes avant qu’elles ne cassent », nous explique Agnes Bénassy Quéré. Pourquoi une telle évolution ?
Dopée par les pratiques de certains nouveaux membres de l’Union, et par la règle de décision à l’unanimité en matière fiscale au niveau européen, la concurrence fiscale pousse à un report de la fiscalité sur les assiettes les moins mobiles.
Face à cette situation, la Commission propose d’harmoniser les assiettes, de consolider les profits des entreprises au niveau européen, et de laisser jouer la concurrence sur les taux ; après tout, cela peut aussi inciter les Etats à être plus efficaces. Il y a ici une difficulté, qui est de répartir l’impôt collecté entre les différentes localisations de l’entreprise. Le Canada, nous dit Marcel Gérard, pourrait servir d’exemple avec sa formule reposant « à part égale sur les ventes et les dépenses salariales ». Et de toute façon, selon Michael Devereux « n’importe quel système plus transparent et plus simple que le système actuel serait une amélioration ».
De leur côté les Etats doivent s’organiser, en particulier les plus grands d’entre eux, victimes toutes désignées de la concurrence fiscale des petits pays, en raison de la forte réponse des assiettes aux taux dans ces derniers (une baisse des taux attire beaucoup d’assiette, relativement à la taille du pays).
Une première option est d’augmenter la TVA, on l’a dit. Il y a toutefois débat sur les aspects distributifs d’une telle mesure. En première analyse les bas revenus sont intégralement consommés et supportent donc la TVA complètement et à taux plein (la TVA n’est pas progressive). Les hauts revenus, eux ne sont consommés que pour une petite partie, le reste étant placé et produisant des revenus bénéficiant d’un prélèvement libératoire à taux fixe. Premier bémol, la combinaison des taux réduits et des taux majorés amortit cet effet en France. Deuxième bémol, l’effet (anti) redistributif de la TVA est modéré et ne suffit pas à renverser la progressivité de l’ensemble des prélèvements (voir sur ce point le rapport du CAE n° 11, « Fiscalité et redistribution », Annexe A) : la pression exercée par la fiscalité indirecte sur les différentes tranches de revenu est assez semblable, à l’exception anecdotique du fort contenu en biens culturels (moins taxés) de la consommation des revenus les plus élevés. Et surtout l’épargne n’est jamais que de la consommation différée: tout le contraire de l’Oncle Picsou contemplant son tas d’or. De ce point de vue, même l’épargne sera un jour soumise à la TVA. Au total, la TVA est simplement neutre en termes de redistribution.
La seconde solution, lorsque la TVA ne peut plus augmenter, est de redéployer les dépenses de l’Etat en direction des entreprises, aux dépens des ménages (moins de crèches, moins d’opéra…) : l’eurosepticisme et le manque d’ambition en matière d’endiguement de la concurrence fiscale vont coûter cher au ministère de la Culture.
Entre ces deux approches, communautaire ou nationale, il est difficile d’imaginer un moyen terme : la coopération renforcée. Dire que l’Allemagne et la France vont s’entendre, c’est oublier que ce sera encore une plus grande zone fiscale, encore plus vulnérable à la concurrence des voisins. Madame Merkel l’a bien compris.²
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