Parti socialiste : la fuite en arrière edit

2 mai 2013

Même pour des observateurs avertis l’évolution actuelle du parti socialiste ne peut que laisser stupéfait. Certes, il y a toujours eu dans ce parti une tendance à l’euroscepticisme contre l’Europe libérale – on disait dans les années soixante-dix l’Europe germano-américaine. Rappelons nous 2004-2005. Mais, depuis l’élection de François Hollande les choses se sont aggravées, aboutissant aujourd’hui à une situation où le Parti socialiste semble avoir abandonné toute ambition sérieuse de soutenir son propre gouvernement dans ses tentatives de réforme.

Malgré trois législatures au pouvoir depuis 1981, ce parti n’a jamais vraiment voulu voir en face les réalités du pays, l’ampleur et les conséquences de la mondialisation, les fragilités structurelles de notre économie. Enfin, historiquement, lorsque  les staliniens ne l’interdisaient pas, il a toujours œuvré en faveur de l’union avec le Parti communiste, craignant toujours de trahir ses propres valeurs en s’approchant seul du pouvoir. Et une fois au pouvoir, comme le disait Lionel Jospin lui-même quand il dirigeait le parti, il s’est davantage senti « aux côtés du pouvoir » que directement engagé par les actions de ses gouvernements. Cette attitude ne s’est pas effacée avec l’ambition du pouvoir que François Mitterrand lui a inoculé. Ambition et remords se sont entremêlés sans produire une véritable culture de gouvernement capable de fusionner de manière positive son identité socialiste et une attitude de responsabilité à l’égard des intérêts supérieurs du pays.

Mais, depuis l’élection de François Hollande les choses se sont aggravées. Le Parti socialiste semble avoir abandonné toute ambition sérieuse de soutenir son propre gouvernement dans ses tentatives de réforme. Il se réfugie dans un monde irréel au prix d’une fuite en arrière qui peut se révéler catastrophique pour la France et pour l’Europe. Le tournant qu’il vient d’effectuer sur les relations avec l’Allemagne, acté dans un texte dont les modifications de dernière minute n’enlèvent rien au fond, présente un risque réel, à terme, pour la survie de l’euro. En effet, en attaquant directement la chancelière allemande et en la présentant comme une véritable adversaire de la France, le Parti socialiste fragilise un axe franco-allemand qui, depuis l’origine, est la pierre de touche de notre édifice européen.

Deux attitudes différentes peuvent expliquer ce retournement : l’ignorance et le cynisme. Ignorance car n’importe quel esprit un peu averti en économie sait ce que signifierait pour la France le retour au franc. Cynisme car il s’agit de faire porter à l’Allemagne la responsabilité du refus assumé de faire les réformes qu’exige l’état de notre économie et de nos finances. Cynisme également quand le président de l’Assemblée nationale appelle à « surtout se réconcilier avec les entrepreneurs » tout en estimant que « nous ne pouvons pas continuer avec (…) un groupe communiste qui a l’impression de ne pas être entendu ». Quant il s’agit par exemple du refus du gouvernement d’accepter « l’amnistie sociale », on mesure l’ampleur de cette double tâche que Claude Bartolone enjoint au prochain gouvernement socialiste de prendre en charge !

Comment expliquer une telle dérive, un tel déni de réalité ? D’abord par la panique devant la perspective d’une déroute électorale. Le retour de la « gauche plurielle » apparaît alors comme la seule recette capable de conjurer la défaite. Comme si les électeurs ne pouvaient voir que le Front de gauche est aujourd’hui le parti le plus hostile à la politique du gouvernement. Ensuite, les limites de la conception et de la pratique du pouvoir du président de la République. À force de ne pas trancher, il a fini par perdre toute latitude d’action. Enfin, la désagrégation du Parti socialiste lui-même. Faute de courants d’idées, de véritables débats, d’un leadership assuré et d’une analyse sérieuse de la situation, ce parti est devenu un système qui rappelle l’ancienne féodalité où chacun ne se soucie plus que d’élargir son propre domaine et son propre pouvoir, sans que les loyautés individuelles ni les proximités idéologiques ne jouent plus de rôle. C’est la guerre de tous contre tous, sans se préoccuper outre mesure de l’opinion d’un souverain affaibli. Ainsi, l’un des plus anciens partisans de François Hollande interrogé sur le point de savoir si son attitude actuelle n’affaiblissait pas le président de la République, a répondu : «  s’il ne voulait pas que je l’affaiblisse, il fallait qu’il me nomme à l’Intérieur ».

Cette situation s’explique aussi par la double révolte des socialistes contre le président, rendue possible par l’affaiblissement politique de ce dernier. D’une part, la révolte des élus contre la publication de leur patrimoine et contre la suppression du cumul des mandats. D’autre part la revanche de l’appareil du parti d’avant l’élection présidentielle qui n’avait pu maîtriser la primaire et faire battre François Hollande. Celui-ci paye ainsi le prix de son absence d’autorité sur un parti bien décidé à le mettre sous tutelle, comme l’interview de Claude Bartolone l’exprime on ne peut plus clairement.

Le problème est que cette mise sous tutelle est conçue comme le prélude à un changement de cap. Le parti rejette la politique de l’offre défendue il y a quelques mois par le président. Sous le prétexte de refuser l’austérité, il refuse en réalité les réformes nécessaires. La volonté de réactiver, en France comme en Europe, le clivage gauche/droite aurait en réalité comme conséquences l’isolement des socialistes en France et de la France en Europe. Lorsque les socialistes voient la solution dans la constitution d’une confrontation gauche/droite au niveau européen, il faudrait qu’ils nous disent qui sera du côté gauche en dehors du parti socialiste français parmi les partis au pouvoir en Europe !  En réalité nous assistons au retour de « l’autre politique ».

Or il faut se rappeler que ce qui fondait historiquement celle-ci était l’idée que la France pourrait mieux régler ses problèmes seule que dans le système de contraintes européen. Cette politique, sagement écartée par François Mitterrand en 1983 après un an d’hésitation, tournant qui nous orienta à marche forcée vers l’intégration européenne et la création de l’euro, était déjà impossible en réalité à ce moment-là. Point n’est besoin d’une longue démonstration pour se convaincre qu’elle serait tout simplement suicidaire aujourd’hui.

Face à cette dérive rapide du Parti socialiste, le président de la République ne peut plus compter seulement sur son habileté. Ni prétendre qu’il s’agit d’une simple affaire interne au PS. Plusieurs ministres, et non des moindres, ont clairement pris position contre les propos de Claude Bartolone. C’est une très bonne chose. Mais le chef de l’État lui-même ne peut rester silencieux. Les Français qui sont attachés à l’Euro et à l’intégration européenne – il en existe encore sans doute quelques uns parmi ses électeurs ! – sont en droit d’exiger de lui qu’il précise sa position sur cette question centrale. Les Allemands aussi pour savoir sur quel pied danser avec leur partenaire principal. Et en particulier Angela Merkel, que l’avant-projet de texte des socialistes sur l’Europe accusait d’« intransigeance égoïste » et de ne songer « à rien d'autre qu'à l'épargne des déposants outre-Rhin, à la balance commerciale enregistrée par Berlin et à son avenir électoral ».   Il est vrai que le Parti socialiste français, lui, ne songe nullement à son propre avenir électoral ! Quant à notre balance commerciale…