Effet de levier ou effet de souffle edit

25 avril 2017

La probable victoire d’Emmanuel Macron aux élections présidentielles ouvre un nouveau chapitre de l’histoire politique française. Sur ce site, plusieurs auteurs, dont Jean-Louis Bourlanges, avaient présenté les différentes options et les paramètres qui allaient structurer le débat politique de cette élection présidentielle.

Forts du résultat connu et analysable, nous devons dès à présent prolonger la réflexion collective pour cerner ce qui, dans la conjoncture ainsi redessinée, est de nature à soulever des espoirs ou au contraire à susciter des interrogations.

Le monde médiatique, abusant des termes « inédit » et « historique » pour qualifier ce résultat, ne parvient pas cependant à approfondir l’analyse pour remettre en perspective ce qui s’est passé le dimanche 23 avril et ce que cela peut annoncer.

L’effet de souffle

Bien que la qualification de Marine Le Pen ait été anticipée par les enquêtes d’opinion, il ne faut pas mésestimer ce que cela révèle des fragilités françaises et combien cela affecte l’image de la France dans le monde. J’ai l’occasion de le mesurer pour l’Espagne qui s’inquiète des possibles dérives de la politique française. Mais l’exemple n’épuise pas le sujet. En outre, le vote Le Pen, dans sa répartition géographique et sociologique, semble tracer les contours d’une France qui se sent abandonnée et qui s’en remet aux solutions les plus extrêmes et les plus simplistes. Ces voix traduisent une pathologie qu’aucune politique publique n’a encore réussi à traiter. Croire qu’on y arrivera en suivant la montée de la fièvre et en y rajoutant des couches identitaires, culturelles et civilisationnelles est une lourde illusion pleine de menaces.

La non-qualification de François Fillon, elle aussi de plus en plus prévisible, ouvre une crise forte à droite. La victoire de M. Fillon aurait été une victoire en trompe-l’œil. Certes, son succès aux primaires était massif et ne méritait pas l’incompréhension des observateurs qui ne l’avaient pas vu venir. En revanche, pris dans les équilibres d’un parti resté contrôlé par les sarkozistes, puis dans un scandale le touchant personnellement et familialement, François Fillon s’est barricadé. Il a autant pris son camp en otage qu’il a été pris aussi en otage par une partie de son camp. Le résultat est là : les Républicains ne seront pas à l’Élysée. D’aucuns le regretteront, mais force est de constater que le renouvellement des équipes étaient restés mineurs. Il a manqué aussi la capacité de donner envie de l’alternance proposée. Les contempteurs républicains de Fillon devraient bien penser qu’ils font aussi partie de ceux qui ont été rejetés.

Le PS a subi ce que le PASOK grec a vécu il y plusieurs années. Le PSOE espagnol a mieux résisté mais les partis socialistes méditerranéens, largement comparables entre eux par l’importance du leadership fondateur et charismatique (Mitterrand en France, Papandréou en Grèce et González en Espagne), se meurent sous nos yeux. Jean-Luc Mélenchon qui, en fin de campagne, a bénéficié du soutien de Pablo Iglesias et de Podemos, peut espérer construire un Podemos à la française. Les élections législatives de juin s’annoncent ici décisives d’autant que, au regard de certains résultats, le duel pourrait dans de nombreuses circonscriptions mettre en concurrence le FN et le Front de Gauche.

Tous ces éléments disent l’effet de souffle du scrutin de dimanche sans parler de ce fait sans précédent sous la Ve République : l’arrivée en tête d’un homme nouveau sans parti. Le scrutin du 23 avril dit l’état de décomposition du traditionnel rapport de forces politique. Mieux même c’est un point d’arrivée. Après plusieurs séismes annonciateurs, le « Big One » a eu lieu…

L’effet de levier

Emmanuel Macron n’est pas que face à son destin. Ces analyses uniquement centrées sur la personne et sa psychologie, pour divertissantes qu’elles soient, masquent les réalités politiques. Emmanuel Macron reçoit la responsabilité de gouverner un grand pays malade. Il doit donc à la fois permettre une recomposition politique et organiser le redressement français. Le voilà devant écrire une partition dont on ne peut dire que les éléments joués par chacun des acteurs politiques et sociaux sont facilement compatibles. Le risque de cacophonie est énorme avant de pouvoir jouer la subtilité de la polyphonie.

La disqualification de la droite gouvernementale va affaiblir les Républicains. Il leur sera difficile d’obtenir une majorité absolue aux élections législatives. Certes, le vote conservateur va avoir le sentiment de s’être « fait voler » la victoire (ce qui est une vision tout à fait sotte puisque le principe du vote tient justement à cette imprévisibilité) mais les dynamiques de recomposition et les divisions d’analyses et de stratégies empêcheront les Républicains de conquérir le Palais Bourbon.

L’effondrement du PS ouvrant un boulevard à la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon, la pluralité des gauches est plus que jamais d’actualité. Une lecture binaire et trop simple des élections pourraient faire croire que la gauche frondeuse (Hamon + Mélenchon) est à 26% et la gauche de gouvernement (Macron) à 23,7%. La question n’est plus là : le cadre binaire, y compris au sein de la gauche, a explosé lors de cette campagne. Ce n’est pas le moindre des mérites d’Emmanuel Macron. Là encore, il suffit de lire sur ce site Telos les analyses de Gérard Grunberg pour s’en convaincre.

Le système a donc sauté. La candidature Macron a réalisé cet exploit de faire sauter des verrous et des blocages. Reste que tout commence maintenant. Avec 23,75% des voix, Emmanuel Macron disposera-t-il de la force de levier indispensable pour réussir une recomposition politique qui doit être aussi une recomposition sociale et civile? Là est la question politique. Emmanuel Macron devrait être, comme Jacques Chirac en son temps, être l’un des présidents les mieux élus de la Cinquième République et en même temps celui qui, au premier tour, aurait une des bases les plus faibles. Chirac gagna en 2002 avec 82% (dont il ne fit rien) et ne s’appuya que sur les 19% de son premier tour. Emmanuel Macron a la difficulté supplémentaire de ne pas disposer d’un appareil partisan. Dès son élection, il devra abattre ses cartes avec un gouvernement qui pourrait risquer d’être le plus bref de tous les gouvernements de la Ve si le scrutin de juin forçait le jeune président à une cohabitation dure. L’hypothèse la plus probable, à mes yeux, est que l’absence de majorité au Parlement lui donnera, au contraire, les moyens d’être l’arbitre de la vie politique. Pour cela, avec quel soin devra-t-il choisir ses soutiens et ses appuis ! Il a promis de le faire : la tâche est rude. Mais, là est le pari le plus difficile, il faut aussi remettre en marche une société fragmentée, fracturée, divisée géographiquement et socialement. L’opération ne peut être que politique : il faudra redonner goût aux Français d’aller de l’avant.

Ce sont de véritables travaux d’Hercule qui attendent le futur président. Pour réussir, il faudrait en finir avec une forme de pensée magique ou charismatique et comprendre qu’une élection engage autant l’élu (puis les élus) que les électeurs. Pour cela, Emmanuel Macron devra être le contraire de François Hollande : il lui faudra parler clair, avoir le courage de la vérité et de la pédagogie pour nous mobiliser dans un projet commun. Il y va d’une perspective de sortie de crise française dont l’Europe toute entière a besoin.