PSA: l’Etat ne peut pas tout edit

16 juillet 2012

La fermeture programmée d’Aulnay, une fois annoncée, nourrit, comme il fallait le prévoir, une rhétorique de la guerre sociale, de la stigmatisation patronale et un appel à l’Etat protecteur. Avec un bel ensemble la majorité veut faire rendre gorge aux croqueurs de dividendes et les contraindre à rembourser les aides passées, l’opposition dénonce les surcoûts salariaux que la TVA sociale allait corriger, et les syndicats par la bouche d’un délégué CGT proclament : « On est une bombe sociale, une bombe politique et on va l’utiliser ! » Un moment on avait caressé l’espoir d’un nouveau mode de résolution des conflits, d’une appréhension réaliste par les pouvoirs publics de la crise industrielle. Faudrait-il déjà y renoncer ?

Pourtant les difficultés qu’affronte PSA ont été clairement identifiées depuis longtemps. Elles se situent au confluent de trois crises, celle du marché automobile européen qui décroche, celle du site de production France devenu peu compétitif et celle enfin de la stratégie faillie de PSA.

Une demande qui s'écroule en France et dans les pays du sud de l’Europe, un outil de production européen en surcapacité depuis la crise de 2008, une guerre des prix qui sévit sur les véhicules d'entrée de gamme... La crise qui frappe PSA est d'abord due à la contraction du marché européen et au surdimensionnement de l'outil de production. S’il est un reproche qu’on peut faire à PSA ce n’est pas tant d’annoncer aujourd’hui la fermeture d’Aulnay que d’avoir tardé à adapter son offre en maintenant en survie artificielle des sites sous-utilisés ce qui l’a conduit à consommer du capital sans rassurer ses salariés.

La crise qui frappe PSA est aussi le résultat  d’erreurs stratégiques accumulées : hésitations au sommet sur la politique d'alliances, timidité dans la mise en œuvre des choix faits, politique contrainte par l’actionnariat familial. Peugeot qui était l'entreprise la plus rentable et la mieux gérée en Europe il y a 10 ans, a depuis raté son tournant vers le haut de gamme, manqué son expansion chinoise, différé sans cesse le choix de son partenaire stratégique et préservé à l’excès le site national à la différence de Renault. Ces erreurs stratégiques sont avérées. A la différence de VW qui a réussi sa percée chinoise ou de Renault qui prospère au Brésil, Peugeot qui avait été pionnier en Chine a échoué. A la différence de Renault qui a réussi son alliance avec Nissan et qui depuis pousse ses pions en Russie, au Maghreb et en Corée, PSA a cru que des alliances ponctuelles suffisaient avant de finir par se convertir à l’alliance avec GM.

La crise actuelle, enfin illustre le problème de compétitivité du site « France ». Les polémiques sur le coût du travail sont vaines, de même que les débats sur les compétitivités coût et hors coût de l’industrie française. La vérité que livre le cas PSA est simple : la France n’a pas des coûts adaptés à sa spécialisation, ou elle n’a pas la spécialisation lui permettant de supporter ses coûts. En fabriquant des produits d’entrée de gamme ou de moyenne gamme, l’industrie française ne peut résister à la concurrence des pays/produits low cost. Pour l’avoir compris très tôt en se délocalisant en Roumanie et ailleurs, Renault échappe au mal qui frappe aujourd’hui PSA.

Le diagnostic établi, que peut faire PSA? Que peut faire l’Etat ?

Les surcapacités de production avérées en Europe dans un contexte marqué durablement par la contraction de la demande conduisent à fermer les sites notoirement sous-employés. En 10 ans, la production de véhicules en France a baissé de 40%. Toute politique qui viserait à répartir la misère et à multiplier les usines Potemkine serait contreproductive. Faut-il rappeler que le plan Obama pour sauver Detroit avec l’accord des syndicats était basé sur un principe et un seul : tout faire pour que les entreprises aidées redeviennent productives, créatives et rentables. Entre 2007 et 2011, 17 unités d’assemblage d’automobiles ont été fermées aux Etats Unis.

Lors de la crise de 2008/2009, le gouvernement français avait mis en place un plan d’aide au secteur automobile comprenant une prime à la casse pour soutenir la demande, une enveloppe de prêts de 6 milliard d’euros pour permettre aux entreprises de continuer à investir, un dispositif spécifique d’aide aux équipementiers géré par le FSI et des prêts aux captives de crédit à la consommation pour parer aux effets de la crise de liquidité. La situation aujourd’hui n’est pas aussi dramatique mais toute aide publique conditionnée par le maintien de l’emploi serait le plus sûr moyen d’accélérer le déclin du secteur.

Les erreurs stratégiques du management et de l’actionnaire sont déjà sanctionnées par l’effondrement du cours de bourse. Demain le changement d’équipes dirigeantes et d’actionnaires peut être provoqué par une OPA. L’État doit-il prévenir ses évolutions au nom du patriotisme industriel en se substituant pour tout ou partie aux actionnaires défaillants ? On voit mal comment l’intervention du gouvernement français pourrait faire repartir le marché automobile espagnol, corriger les mauvais partenariats noués en Chine ou rattraper l’erreur du non-développement d’un véhicule hybride. On voit d’autant plus mal comment cet Etat pourrait faire mieux quand sa motivation essentielle est de préserver l’emploi et la production sur le sol national. La responsabilité de l’État est de veiller par contre à ce que les normes sociales soient respectées, que la négociation sociale soit conduite à bon port, que l’appariement entre compétences demandées et compétences inutilisées soit réalisé.

L’État a enfin une responsabilité éminente dans l’attractivité du site France pour la production industrielle. Mais il ne faut pas se tromper d’horizon. A moyen/long terme, seule une montée en gamme, une diversification des produits, une stratégie conquérante à l’export, un effort soutenu d’innovation peuvent aider les entreprises françaises à rester dans la course. A court terme, seul un choc d’offre avec un basculement vers une assiette CSG d’une part notable des charges patronales peut alléger le coût du travail et redonner une bouffée de compétitivité aux entreprises localisées sur le site France. Cette politique réclamée dans nombre de rapports officiels a été menée avec efficacité dans les pays nordiques.

Il n’est pas trop tard pour que l’affaire d’Aulnay soit traitée de manière constructive, en prenant au mot les dirigeants de PSA qui se sont engagés à ne pas procéder à des licenciements secs, en renonçant à la rhétorique populiste sur les étrangers qui détruisent nos emplois, en investissant dans l’avenir, la formation, l’innovation et en évitant les discours de guerre sociale.