Principe de précaution, le nombrilisme français edit

31 octobre 2007

La France a ouvert un débat sur le principe de précaution à la suite de l’ambition prêtée à la Commission présidée par M. Attali de remettre en cause ce principe tel qu'il est écrit dans la Charte de l'Environnement française. Le principe de précaution serait un frein à la croissance. Or dans les multiples voix qui se sont prononcées sur le sujet, bien peu ont relevé une évidence : le principe de précaution n’a pas été découvert par le génie français mais est depuis près de quinze ans un des piliers du droit européen de l’environnement.

Il n’est semble-t-il pas inutile de rappeler que le droit national s’inscrit dans le droit européen : avec ou sans principe de précaution dans sa législation nationale, la France est d’abord soumise aux exigences qui résultent du droit européen.

Le principe de précaution est un des quatre principes fondateurs du droit européen de l'environnement et il est inscrit à l’article 174 du Traité. Il est mentionné mais n'est pas défini. La Cour de Justice a eu l'occasion d'en faire l'application notamment pour les questions de santé pour les affaires relatives à l’encéphalite spongiforme bovine : « (…) il doit être admis que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. » Les choses sont simples et relèvent du bon sens : les institutions peuvent juridiquement se fonder sur des informations scientifiques imparfaites pour agir.

Le principe de précaution à la française est un peu plus complexe. En effet, la Charte de l'Environnement, à la suite de débats nombreux et houleux, a cherché à atteindre deux objectifs : d’une part affirmer la place du principe de précaution et d’autre part limiter les incertitudes qu’il génère. Cela se traduit par une formulation plus alambiquée : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

On peut remarquer que le droit français parle de « dommage affectant (…) l’environnement », ce qui a pour effet de limiter la portée du principe au champ des dommages écologiques et que, par ailleurs, contrairement au principe européen, introduit une notion de « dommage grave et irréversible ». On pourrait aussi montrer que la formulation plus ancienne du principe de précaution telle qu’exprimée dans l’article ouvrant le Code de l’environnement propose une troisième piste.

Mais, dans une très large mesure, ce débat est vain : aujourd’hui, le juge national ne suivra pas une voie différente de celle tracée par le juge européen et les lectures faites par les juridictions nationales et européennes ne peuvent que coïncider. En d’autres termes, tous les efforts pour restreindre la portée d’un principe ou d’un texte communautaire sont voués à l’échec.

Est-ce à dire que la Commission Attali – si elle est persuadée qu’un tel principe est néfaste – doive porter son combat à l’échelle européenne ? Ce serait effectivement logique mais avec bien évidemment peu de chance d’être entendue. Pourquoi ?

Tout d’abord parce que comme cela a été rappelé, le principe tel qu’exprimé par la jurisprudence de la Cour de Justice relève du bon sens : est-ce que dans la crise de l’ESB, il fallait que les institutions communautaires attendent une preuve scientifique irréfutable pour agir ? Bon courage à ceux qui souhaiteraient aller sur ce terrain.

Par ailleurs, si on observe le droit européen de l’environnement, qui représente la source de 80% du droit de l’environnement français, on voit deux effets du principe de précaution qui n’ont jamais eu pour conséquence une vision rétrograde du développement technique.

D’une part lorsque le principe sert de base à une politique communautaire comme dans le cas de la législation sur les OGM, il permet de développer un encadrement rigoureux de pratiques mais n’est pas invocable à l’appui d’une interdiction déguisée. La Cour de Justice aussi bien que le juge national ont refusé une application idéologique du principe et s’attachent à ce que le risque invoqué soit étayé par des arguments solides. Incertitude ne veut pas dire simple hypothèse.

D’autre part, le principe de précaution sert au juge communautaire dans une lecture prudente de la législation : par exemple pour définir ce qu’est un déchet, le juge communautaire constatant que le législateur invoque le principe de précaution, en déduit que la définition doit être large. Cela semble conforme aux intentions du législateur et, loin de freiner la croissance, on peut soutenir qu’imposer des normes plus strictes a pour effet de développer l’imagination créative des entrepreneurs et a un effet stimulant sur l’innovation et la recherche.

En définitive, cette affaire montre une fois de plus que la France a beaucoup de mal à dépasser ses propres frontières dans le débat intellectuel.  Mais peut-être aussi que, consciemment ou non, toute référence aux règles communautaires est vécue comme un abandon de souveraineté insupportable. Se réfugier dans un discours hexagonal de refoulement et de négation du réel ne permettra cependant pas de peser bien lourd en Europe et dans le monde.