Méditerranée : une union pour quoi faire ? edit

13 juillet 2008

Le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM) fut initialement intitulé Projet de l’Union de la Méditerranée. En mars 2008, il est officiellement devenu « Processus de Barcelone. Union pour la Méditerranée ». On est passé d’un projet français qui voulait associer les seuls riverains de la Méditerranée sous la houlette de Paris à un projet européen associant tous les pays de l’Union aux pays méditerranéens. Ce changement peut se lire comme un échec pour le Président français, mais aussi comme l’expression inattendue d’une vitalité européenne. En effet, malgré tout ce qui se dit sur l’incapacité de l’Europe à agir collectivement, force est de constater que chaque fois qu’un acteur tente « de s’échapper » ou de se détacher de ses partenaires, ces derniers le rattrapent. Reste à savoir si cette européanisation d’un projet national garantira son succès.

Cet épisode incite à réfléchir sur la difficulté à mettre en place des coopérations renforcées : face à l’immobilisme, certains Etats sont amenés à prendre les devants, mais dès qu’ils le font, les autres veulent s’y associer ou supportent mal d’en être exclus, ce qui peut conduire à une nouvelle paralysie.

Dans sa conception initiale, le projet de l’UPM traduisait du côté français cinq préoccupations. Primo, contrebalancer l’image atlantiste qu’à tort ou à raison Nicolas Sarkozy a voulu incarner pendant la campagne présidentielle ; secundo, envoyer un signal aux pays arabes pour leur signifier que son amitié pour Israël ne s’accompagnerait pas d’un désengagement politique vis-à-vis du monde arabe. Il faut en effet comprendre qu’il y a toujours un couplage entre Atlantisme/Méditerranée à travers la question israélo-palestinienne. Tertio, trouver un cadre politique éventuel pour la Turquie dans la perspective de sa non adhésion à l’Union européenne. Quatro, créer un espace d’action diplomatique propre à la France qui ne renverrait ni à l’Europe ni à l’Otan à l’heure où l’idée de pré carré français en Afrique est contestée par le chef de l’Etat lui-même. Last but not least : participer au contrôle à distance de la périphérie de l’Europe en essayant d’exporter de la stabilité pour ne pas avoir à importer de l’instabilité. Un peu sur le mode de l’Alena, il s’agit d’apporter au développement pour ne pas importer davantage d’immigrés même si le déficit démographique de l’Europe devrait en fait l’inciter à favoriser l’immigration. Pour paraphraser une expression désormais célèbre, il faut être intransigeant sur l’immigration et accommodant sur les causes de l’immigration. Là aussi le projet d’Union de la Méditerranée était censé atténuer ou compenser l’attitude très dure prise par le Président français pendant la campagne présidentielle contre l’immigration clandestine.

Il est donc impossible de comprendre ce projet sans référence à son arrière-plan géopolitique et politique.

Le projet UPM sous sa forme initiale ou ressuscitée par les Européens a pour mérite d’éviter les sujets qui fâchent et que le processus de Barcelone a été incapable de résoudre. En parlant d’une coopération par projets – et en fait des projets économiques – l’UPM espère contourner les obstacles politiques considérables auxquels s’est heurté Barcelone : la situation politique dans les pays méditerranéens et notamment l’absence de démocratie politique dans la quasi-totalité des pays de la rive Sud ; la question du terrorisme que les Etats de la rive Nord comme ceux de la rive Sud veulent contenir dans un cadre bilatéral ; la question des migrations et tout particulièrement celle des visas ; et enfin la gouvernance socio-économique des pays méditerranéens que l’accroissement des ressources pétrolières conduit à davantage de laxisme et de pharaonisme.

Le caractère pragmatique d’une coopération par projets paraît d’autant plus sensé que les projets identifiés offrent l’avantage de répondre à de réels besoins. La protection de l’environnement par exemple n’apparaît pas comme un luxe pour une mer qui occupe un espace infime de la surface maritime mondiale (moins de 0,1 %) mais qui, en revanche, abrite près de 18 % de la faune marine mondiale.

Les projets liés à l’eau paraissent également pertinents dans une région qui connaît de graves risques de pénurie et qui, en même temps, connaît un gâchis exceptionnel de ces ressources dans ce domaine.

Enfin l’idée d’associer les sociétés civiles à ces projets peut a priori paraître comme une réponse à l’échec de Barcelone dont on dit qu’il n’a guère été réapproprié par les pays de la rive Sud et encore moins par les sociétés civiles, probablement parce que les gouvernements des pays de la rive Sud veulent rester maître du contrôle des ressources d’origine européenne.

L’accent mis sur les projets plutôt que sur leur financement constitue un point positif, car ces pays manquent moins de ressources que d’une allocation optimale de celles-ci.

Cela étant, les chances de succès de l’UPM paraissent très limitées et ce n’est pas forcément l’européanisation du projet français qui en améliorera les chances de succès. Pourquoi ?

Tout d’abord, l’échec du processus de Barcelone n’a pas donné lieu à une réelle évaluation. Plus grave encore, la communication de la Commission du 25 mai dernier semble en faire un bilan édulcoré mais avantageux. Il est par exemple dit que le Processus de Barcelone est le seul cadre dans lequel les pays méditerranéens dialoguent entre eux. Cette affirmation est formellement juste, mais politiquement vide de sens. Le conflit israélo-palestinien n’a jamais été influencé par le Processus de Barcelone. Le rôle des Etats-Unis ou localement de l’Egypte est bien plus déterminant que celui des pays de la Méditerranée. Les problèmes du Liban n’ont également jamais été traités dans ce cadre. Il en va de même pour les conflits régionaux comme l’interminable conflit algéro-marocain sur le Sahara occidental. On peut même penser que la plupart des pays de la rive Sud étaient plus favorables à la version française initiale qu’à sa version européanisée, tant ils sont attachés au bilatéralisme. Chacun attend d’ailleurs des compensations à cette participation et notamment de la France qui a besoin de ces Etats pour crédibiliser le projet. La Turquie, par exemple, sait que la France devra adoucir son opposition à son adhésion alors que, paradoxalement, elle craignait de voir dans ce projet une véritable voie de garage. Le Maroc attend un statut de partenaire avancé qui ne changera rien sur le fond, mais qui lui apportera une gratification symbolique.

Ensuite, la communication de la Commission continue à entretenir la fiction d’une zone de libre échange entre l’Europe et la Méditerranée comme l’une des réalisations en cours du Processus de Barcelone, alors que rien n’indique qu’il s’agisse d’une réelle réponse au déséquilibre entre les deux rives. En réalité, on peut craindre qu’un tel projet ne soit qu’un moyen de faciliter les exportations européennes de produits agricoles et industriels vers des pays dont les spécialisations commerciales évoluent peu et dont la montée en gamme apparaît problématique.

A cette incapacité de l’Europe à proposer une ouverture des marchés correspond une incapacité de ses partenaires à avoir une véritable stratégie de développement. Or on touche là au cœur du problème et au non-dit majeur de ce projet.

Pour qu’il y ait développement, il faut qu’il y ait un projet. Or ce projet ne peut pas venir de l’Europe. Il ne peut venir que de ses partenaires. Le concept de co-développement n’a aucun sens puisqu’il s’agit de stimuler le rattrapage du Nord par le Sud. Or, du Maroc à l’Egypte, en passant par l’Algérie et la Libye, il est extrêmement difficile de voir l’amorce de véritables stratégies de développement, allant au-delà de la maximisation des ressources rentières de ces pays. Par ressources rentières, il faut entendre l’ensemble des ressources valorisables rapidement sur le marché mondial, sans forte valeur ajoutée locale ni implication au sens large de la population locale.. C’est la raison pour laquelle on ne peut qu’être très inquiet quant à la possibilité d’un tel projet de répondre aux besoins de création de 8 à 10 millions d’emplois dans les pays de zone Sud dans les dix années à venir.

Le fait que l’accroissement considérable des ressources énergétiques n’ait permis d’enrayer ni la dégradation des systèmes éducatifs, ni l’effondrement du développement humain, ni l’augmentation des inégalités l’atteste éloquemment. De fait, la rive Sud a un PNB par habitant douze fois inférieur à celui de la rive Nord. Cette même rive comptera 325 millions d’habitants en 2025 contre 200 sur la rive Nord, alors qu’en 1970 la rive Nord était encore bien plus peuplée que la rive Sud (170 millions contre 116).

On pourra naturellement trouver dans ces déséquilibres une incitation supplémentaire à mettre en œuvre l’UPM. Mais sans dynamique endogène, la Méditerranée restera une frontière politique de plus en plus étanche.