Démocrates : le risque de l'enlisement edit

10 mars 2008

Aucun des deux candidats n’est désormais en mesure de l’emporter en nombre de délégués « simples » (pledged delegates) lors de la convention qui se tiendra à Denver au mois d’août prochain. Ce sont donc les « super-délégués » (superdelegates) qui feront la différence. Comment se fera leur choix ?

La nouvelle série de primaires qui vient d’avoir lieu – « mini » Super Tuesday dans l’Ohio, le Texas, le Vermont et le Rhode Island le 4 mars et Wyoming le 8 mars – n’a pas permis de mettre un terme à l’affrontement entre Hillary Clinton et Barack Obama dans la course à l’investiture démocrate. Bien au contraire puisque Hillary Clinton a réussi son pari de revenir dans la course en gagnant le combat dans ces deux gros pourvoyeurs de délégués que sont le Texas et l’Ohio. Clinton a aussi gagné dans le Rhode Island alors qu’Obama l’a emporté dans le Vermont et le Wyoming. Comme aucun des deux candidats n’est désormais en mesure de l’emporter en nombre de délégués « simples » lors de la convention qui se tiendra à Denver au mois d’août prochain, ce sont les « super-délégués » qui feront la différence : près de 800 grands élus et officiels du Parti démocrate qui ont le droit de voter librement à la convention pour la désignation du candidat. La décision finale leur appartiendra pour la première fois depuis 1984, l’année où Walter Mondale l’avait emporté face à Gary Hart avant de se faire battre par Ronald Reagan.

Les deux candidats l'ont compris et ont commencé à développer un argumentaire ciblé. Obama explique qu'ils ne peuvent aller que dans le sens du « vote populaire ». Clinton a commencé pour sa part à tenter de les convaincre que son rival n’est pas le bon candidat démocrate à l’élection présidentielle contre le Républicain John McCain. Pour Clinton, Obama n’est ni un bon candidat démocrate ni un bon candidat à la présidentielle.

Barack Obama n’est pas un bon candidat démocrate pour une raison essentielle : il n’est pas capable de mobiliser la base électorale de son camp sur les enjeux essentiels de l’élection. L’argument de Hillary Clinton repose essentiellement sur sa propre capacité d’attirer le vote des « bread-and-butter blue-collar » ou des « working-class white men », ces hommes blancs des classes populaires, à faible niveau d’étude ou de qualification, occupant des emplois industriels. Ceux, précisément, qui se sont exprimés majoritairement en sa faveur lors des primaires, notamment dans la plupart des grands états industriels malgré leur poids relatif en baisse dans la population totale – pour la première fois dans l’histoire électorale américaine de l’ère industrielle les blue-collar whites ne seront plus majoritaires dans l’électorat. Comme ce sont les questions économiques et sociales qui sont désormais au cœur de l’élection (pouvoir d’achat, emploi, assurance maladie…), cet électorat reste primordial pour les Démocrates. L’attaque lancée par Clinton contre Obama, il y a quelques jours, sur l’ALENA  l’accord de libre-échange nord-américain qui est accusé d’avoir encouragé les délocalisations et le déclin industriel américain – a d’ailleurs porté ses fruits. Le principal conseiller économique d’Obama, Austan Goolsbee, a en effet déclaré à des diplomates canadiens lors d’une rencontre qui aurait dû rester secrète que les positions hostiles à l’ALENA de son candidat n’étaient finalement qu’une posture électorale nécessaire dans le cadre de la campagne. Bref, Obama serait avant tout, comme il a été dit et répété ces dernières semaines par les clintoniens, le candidat des upper-middle-class « wine » Democrats (en clair des bobos diplômés du supérieur et amateurs de vin) alors que Clinton serait la représentante des working-class « beer » Democrats (des ouvriers et des employés modestes peu diplômés et buveurs de bière)… sous-entendu les « vrais » Démocrates !

Mais Barack Obama n’est pas seulement, aux yeux de Hillary Clinton, un plus mauvais démocrate qu’elle, il est aussi un bien plus mauvais candidat pour l’élection présidentielle surtout lorsqu’il faudra affronter John McCain. D’abord parce qu’il n’est pas capable de gagner dans les grands états, ceux qui rapportent beaucoup de grands électeurs et qui sont indispensables aux Démocrates pour le scrutin final puisque c’est elle qui les a remportés lors des primaires (Californie, New-York, New Jersey, Texas, Ohio…). Hillary Clinton a même tenu à préciser dans son discours de victoire le 4 mars qu’aucun candidat à l’élection présidentielle, démocrate ou républicain, n’avait été élu depuis bien longtemps sans avoir remporté les primaires de l’Ohio… Même si Obama a su gagner des états stratégiques pour l’élection finale, le Wisconsin ou le Colorado par exemple, et qu’il a été capable de gagner d’un bout à l’autre du pays : Nouvelle-Angleterre, Midwest, Sud, Ouest...

Deuxième argument anti-Obama : il n’a jamais eu à se battre dans l’adversité d’une campagne camp contre camp alors que Clinton se présente comme une spécialiste du combat politique depuis trente ans. Elle joue d’ailleurs beaucoup de son aura de come back girl dans cette campagne puisque par trois fois elle a su revenir dans la course cette année. Dans la perspective de la prochaine « grosse » primaire, le 22 avril, en Pennsylvanie, l’argument du combat au corps-à-corps, celui qui réclame le plus de qualités, va beaucoup être utilisé par l’équipe de Hillary Clinton puisque c’est dans ce combat-là que se révèlent les qualités de leur candidate ; notamment sa capacité à aller chercher la victoire par tous les moyens – y compris les plus triviaux – et pas seulement en faisant de « beaux discours » et en rassemblant dans grandes foules acquises d’avance.

Enfin, ultime argument soulignant l’absence de stature présidentielle de Barack Obama : il n’a ni expérience du pouvoir exécutif ni les qualités requises pour devenir le Commander-in-chief du pays. La publicité diffusée à la télévision par Hillary Clinton avant les primaires du 4 mars sur ce thème est éclairante : il est 3 heures du matin et le téléphone sonne à la Maison-Blanche pour annoncer qu’un événement grave vient d’arriver dans le monde, et sur fond d’image d’une enfant qui dort, la voix-off demande au téléspectateur : qui voudriez-vous qui décroche le téléphone ?

La campagne des primaires est donc loin d’être terminée. Mais malgré les préventions de beaucoup de Démocrates quant au risque qu’elle soit trop longue et trop dure, alors que le candidat républicain est d’ores et déjà désigné, il semble que les deux prétendants tout autant que l’organisation nationale du Parti démocrate elle-même, par la voix de son président, Howard Dean, ne soient pas trop inquiets. L’intérêt médiatique ne va pas décroître, loin de là, les sympathisants vont rester mobilisés, les arguments vont continuer de s’affûter et la démocratie ne s’en portera finalement pas plus mal. Cela tombe bien car les Américains, après huit ans d’Administration Bush, n’attendent que ça.