Netanyahou: la fin d’un règne ou la fin d’une ère? edit

13 juillet 2021

Fin de règne ou fin d’une époque ? C’est là la question. Pour ses partisans et l’intéressé lui-même, la réponse est claire : ni l’un ni l’autre. Benyamin Netanyahou aurait pu tirer prétexte de ce revers politique qui porte au pouvoir une coalition où il n’est plus au centre, où il n’est plus tout court, pour s’occuper de ses affaires judiciaires et revenir ensuite dans l’arène si la justice lui donnait raison. Il aurait pu également annoncer son retrait définitif de la vie politique. Une décision de cet ordre aurait créé la surprise et lui aurait valu de ses partisans, y compris de ses rivaux un concert d’éloges. Nul ne conteste qu’il a marqué l’histoire d’Israël, à commencer par la durée, de 1996 à 1999, puis depuis 2009, sans discontinuité, ce qui le hisse en tête, au-dessus de David Ben-Gourion. Netanyahou n’a pas souhaité partir dans ces conditions.

Si les quatre tours d’élections n’ont pas été autant de défaites, ils n’ont pas été non plus une victoire pour ses adversaires. Netanyahou se serait incliné devant un verdict sévère et impitoyable. Un million d’électeurs en sa faveur à la tête du Likoud, loin devant la formation de Yaïr Lapid, constitue pour Netanyahou un plébiscite qui pourrait bien servir tant il est convaincu que la situation est susceptible d’être renversée à son avantage. Netanyahou s’est donc résolu à rester dans la scène politique comme chef de l’opposition. Outre son tempérament combattif qui lui ordonne de ne pas s’incliner, surtout lorsque tout semble se coaliser contre lui, il compte sur les tensions internes au gouvernement, qu’il ne manquera pas de provoquer et d’attiser de l’extérieur. Rappelons que la "majorité du changement" tourne autour de 61 sièges sur 120 députés. Or, il n’y a pas moins de quatre députés récalcitrants qui font cavalier seul et n’excluent pas complètement de défier la discipline parlementaire et gouvernementale. Dans ce contexte fragile et incertain, Netanyahou pense que l’heure de son retour pourrait sonner bien plus vite que prévu

Netanyahou sait identifier dans la Knesset élue en 2021, près de soixante-dix députés qui, sont sur le plan idéologique, sont résolument à droite. Certes, plus d’une dizaine d’entre eux ont conçu contre lui des griefs d’une intensité telle qu’ils ont préféré s’allier avec le leader du parti islamiste conservateur plutôt que de siéger une fois de plus sous la coupe de Netanyahou. Cependant, ce paysage politique, inédit dans l’histoire d’Israël, l’incite à penser que la situation actuelle n’est pas définitive et qu’en cas de crise, il pourrait bien apparaître comme un recours. Il sait enfin que, sociologiquement parlant, un vieux cacique travailliste meurt tous les jours à l’hôpital tandis que dans la maternité mitoyenne naît un bébé Likoudnik ou un bébé orthodoxe. Enfin, les Juives de stricte observance mettent au monde une progéniture qui l’emportera, à l’âge du vote, sur les tentatives de convaincre telle ou telle électrice de la rationalité d’un bilan politique si ce gouvernement venait à surprendre.

Même s’il n’est pas déraisonnable d’admettre que c’est une fin de règne qui a eu lieu, est-ce également la fin d’une ère ? Quel Israël Netanyahou a-t-il trouvé en 2009 ? Quel Israël laisse-t-il en 2021 à ses successeurs ? Autrement dit, qu’est ce qui de cette décennie Netanyahou va durer encore et déterminer le sort du pays et de la région?

Une chose est déjà perceptible moins d’un mois après l’alternance. On peut l’imputer à l’été et aux vacances qui approchent, mais le signe ne trompe pas : après s’être shootés à l’info jusqu’à l’overdose, maintenant que Netanyahou n’est plus omniprésent, les Israéliens délaissent le journal télévisé, lequel affiche une baisse considérable d’audimat. Familles et amis se réunissent, comme à l’accoutumée, et se rendent compte à l’issue de la soirée qu’ils n’ont pas parlé de Netanyahou, alors qu’il était jusque-là l’ingrédient indispensable et inévitable pour pimenter la soirée. L’écrivain Amos Oz avait forgé en 1999 une image si juste pour décrire l’ambiance produite après le premier départ de Netanyahou : « c’est comme une tondeuse à gazon dont a débranché le fil ». On peut enfin parler d’autre chose, cesser de clouer au pilori la police, la justice, la fonction publique, les institutions; retrouver un langage décent, inconcevable chez Netanyahou, tel le tweet du ministre des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, après la « manifestation des drapeaux » dans la vieille ville de Jérusalem: « On ne tient pas un drapeau d’Israël dans la main lorsque l’on crie "Mort aux arabes"; ce n’est pas Israël, ce n’est pas le judaïsme. »

Changement de ton et de style et d’humeur, mais encore ? Notons également que le ciel ne nous est pas tombé sur la tête du fait de la présence d’un parti arabe dans la coalition. Rendons cependant à César ce qui appartient à César : Netanyahou fut le premier à lever le tabou en courtisant publiquement Mansour Abbas, le leader du parti arabe islamique, pour qu’une alliance de ce type soit perçue comme légitime. Ce qui en dit long sur son impact.

Seulement, ce que Netanyahou était disposé à faire avec Mansour Abbas est exclu avec Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. C’est, à ses yeux, le trophée dont il peut se prévaloir : s’il est parvenu à entamer des négociations avec des leaders du monde arabe et faire en sorte que ces relations discrètes et secrètes deviennent publiques et concrétisées par des accords de normalisation, Netanyahou est aussi le premier à avoir cessé de négocier avec les Palestiniens. La dernière rencontre eut lieu en mai 2014 et s’est soldée par l’échec de la mission Kerry, le secrétaire d’Etat du président Obama. Depuis, plus rien. La crédibilité de l’Autorité palestinienne est dérisoire : elle ne dispose plus d’un soutien populaire, ce qui explique l’aubaine qu’a été pour Mahmoud Abbas la décision israélienne de ne pas autoriser des bureaux de vote à Jérusalem–est comme prétexte pour reporter les élections.

Les Israéliens se félicitent de savoir que la coopération sécuritaire se poursuit, quitte à être provisoirement interrompue en période de tension, comme en mai dernier, avant de reprendre comme si de rien n’était. Soutiendraient-ils un retour à la négociation ? Le manque de crédibilité politique de l’Autorité palestinienne les dissuade. Marwan Baraghouti pourrait en redorer le blason à ceci près que les autorités israéliennes devraient alors au préalable le libérer de prison pour avoir été reconnu coupable d’activités terroristes. Les Israéliens vont-ils être vite sevrés de l’approche Netanyahou ? Tout ne tient pas à son impact, et ce qui restera de son héritage dépendra dans une large mesure de ce qui se passera au sein de l’Autorité palestinienne. Celle-ci est exposée à une sévère remise en question, suite à l’élimination d’un journaliste critique à son égard. Le Hamas a tenté de récupérer la cascade d’événements survenus à Jérusalem. Depuis, il fait profil bas et s’emploie à trouver des soutiens financiers pour la reconstruction de Gaza.   

Pour que les négociations reprennent, il faudrait sans aucun doute une administration américaine plus engagée dans la région alors qu’elle se retire progressivement. Poutine ne demanderait pas mieux qu’à jouer un rôle actif. L’Europe dit en avoir les volontés. Il n’est pas certain qu’elle en ait les moyens. Mais avant de dresser la table d’une future conférence internationale, il sera bien nécessaire de tester l’opinion israélienne. A cet égard, les accords d’Abraham pourraient bien être un atout, car ils démontrent une "bonne volonté" de la part de pays arabes à considérer la présence Israël dans la région non plus comme une épine, mais comme une bénédiction face aux défis locaux et régionaux à relever. La ligne entre Israël et le Maroc sera propice aux échanges économiques, mais aussi culturels. Les accords peuvent conduire les esprits à juger que ce qui est possible à l’échelle régionale peut l’être aussi entre Israéliens et Palestiniens. A cet égard, le rôle des sociétés civiles dans la préparation d’un nouveau dialogue pourrait bien être indispensable pour appuyer une négociation par le haut.