Les ressorts de la popularité de Giuseppe Conte edit

19 mai 2020

Giuseppe Conte est l’un des présidents du Conseil les plus populaires de Italie depuis la naissance de la République. Son taux de popularité est de 64% d’après l’institut de sondages Demos et 66% d’après Ipsos (après avoir atteint en mars le 71%). Malgré une baisse survenue ces derniers jours d’après tous les instituts de sondage, il s’agit de toute manière d’une valeur très élevée, qui le voit soutenu par à peu près deux Italiens sur trois.

Il s’agit sans aucun doute d’un succès personnel  puisque que les opinions positives concernant Conte sont plus nombreuses que celles, tout de même élevées, concernant le gouvernement qu’il préside (58-60%). Cette popularité – bien plus importante par rapport à celles des leaders d’autres pays, notamment la France, où l’on a mis en pratique des mesures très semblables à celles utilisées en Italie – tient à une série de raisons.

1. L’affaiblissement du sentiment d’appartenance des électeurs aux différentes forces politiques. Face à l’émergence du Covid-19, les disputes habituelles entre partis ont été mises de côté. Par exemple, encore il y a quelques mois, un débat sur l’abolition de la prescription des condamnations pénales semblait pouvoir faire tomber le gouvernement. Aujourd’hui ce sujet a disparu du débat aussi bien parmi les politiciens dans la capitale que dans les médias et dans l’opinion publique. Tout a disparu à la suite de la crise sanitaire et de la peur qui s’en est suivie. Cette absence de conflits contribue à la possibilité de reporter la confiance sur le chef du gouvernement, lequel est positivement évalué aussi par beaucoup de gens, malgré le fait qu’ils déclarent, dans les sondages sur l’intention de vote, de vouloir donner leur suffrage aux partis d’opposition. Conte bénéficie, donc, de n’être l’expression d’aucun parti et de se présenter comme le représentant de la « voix de la nation » (ou en tant que « l’avocat du peuple » tel qu’il s’est lui-même défini).

2. Le « silence » relatif des partis, que ce soit ceux du gouvernement ou ceux de l’opposition. Ils ne communiquent plus (ou, en tout cas, ils le font moins qu’auparavant) ni pour ni contre les mesures prises par le gouvernement de sorte à laisser à Conte, qui en profite sans hésitation, tout l’espace médiatique.

Les talkshows de la télévision (très suivis en ce moment) sont occupés par les débats entre scientifiques à propos du virus. Même les 5 Etoiles, qui pendant des années ont été les plus bruyants  sur la scène politique italienne, sont aujourd’hui silencieux, occupés à tirer profit de leurs privilèges d’appartenir au gouvernement, mais en même temps déchirés par des conflits internes et terrorisés par l’éventualité de nouvelles élections qui réduiraient au moins  de la moitié leur représentation au Parlement.

De l’autre côté, la Ligue aussi semble avoir peur de s’en prendre au gouvernement pour éviter de paraître « défaitiste » dans la lutte contre le virus. En outre, l’impossibilité d’organiser de grandes manifestations populaires (dont la Ligue était spécialiste et qui avaient un grand effet médiatique) leur nuit beaucoup. Le résultat est que Conte lui-même, plus que son gouvernement, a occupé une place centrale dans la communication.

3. Le style de la communication de Conte. Plutôt qu’une communication directe et claire (comme celle de Macron – c’est ce qu’on pense en Italie – et encore davantage de la chancelière Merkel), le président du Conseil a choisi un style d’un côté familial et de l’autre « captivant » et « rassurant », et envoyant un message du genre « je fais pour vous le mieux que je puis » ou « je suis contraint par les décisions des scientifiques, mais je m’occupe de vos intérêts » ou encore « restons tous unis ». Un style qui semble avoir conquis les Italiens.

4. L’occupation des médias. Conte est très souvent présent dans les médias. Il donne constamment des interviews et surtout il « occupe » continuellement la télévision (dans l’ensemble des chaînes nationales) aux heures de pointe (de préférence l’heure du dîner) en rassurant et faisant des promesses.

5. L’accroissement du sentiment d’unité nationale autour du gouvernement. Pendant les dernières semaines le nombre des Italiens qui déclarent d’« être orgueilleux de leur pays » et unis contre un ennemi commun a beaucoup augmenté. L’ennemi est évidemment et surtout le virus, mais par certains côtés l’Europe aussi, une Europe perçue de plus en plus comme « hostile » (surtout l’Allemagne) et dont « on pourrait se passer ». Cette perception ne conduit pas du tout à l’idée d’abandonner l’Union européenne (et encore moins l’euro), mais elle manifeste une attitude critique croissante à l’égard des pays du Nord du continent.

6. La promesse de distribuer beaucoup d’argent. Toutes les enquêtes les plus récentes ont montré que, depuis plusieurs semaines, les Italiens sont plus inquiets à propos de leur situation économique personnelle (et corrélativement de celle du pays) que de la situation sanitaire, qui crée toutefois angoisse et préoccupation. En tenant compte de cela, dans chacune de ses communications Conte promet toujours plus d’argent pour toutes les catégories sociales, gratuitement et sans conditions. L’argent n’arrive pas, mais Conte dit que c’est la faute aux banques et les invite à faire « un acte d’amour » à l’égard du peuple, qu’il représente et qui par conséquence s’identifie avec lui. Si on ne tient pas compte, du moins pour l’instant, des contraintes de la dette publique (dont les effets vont se faire sentir un beau jour), le gouvernement apparaît comme une agence qui distribue des contributions à tout le monde, les citoyens individuellement, mais aussi les grandes et petites entreprises. Il vaudrait certainement beaucoup mieux pouvoir créer des emplois et des opportunités de marché pour les entrepreneurs plutôt que distribuer de l’argent à tout le monde accompagné du slogan « on ne doit laisser personne de côté ». Seuls les groupes minoritaires protestent contre cette politique, qui donne apparemment à Conte un large consensus.

Cet ensemble de remarques peut contribuer à expliquer le succès de Conte (et de son gouvernement). Il s’agira évidemment de voir si le président du Conseil va réussir à gérer sa popularité au-delà de l’émergence sanitaire en une Italie frappée par une très grave crise économique et cela sans avoir derrière lui un parti dont il serait le leader. Ceci dépendra de son habileté personnelle et des conditions économiques et politiques de l’avenir.