Macron - Le Pen, qui est le plus national? edit

2 mai 2017

L’opposition des programmes économiques d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen est vue comme celle d’une ligne ‘mondialiste européenne’ contre une ligne ‘nationaliste eurosceptique’. D’un côté, un partisan d’une mondialisation heureuse, de l’autre, une partisane d’un ‘protectionnisme intelligent’. Pourtant, une lecture attentive des plateformes fait apparaître un clivage bien différent, à front renversé pourrait-on même dire.

Du côté de Marine Le Pen, on trouve les mêmes propositions que celles de Donald Trump, (avant son élection en tout cas, car, depuis, le Président américain a mis de l’eau dans son vin), de Nigel Farage au Royaume-Uni (avant le vote Brexit, puisqu’il a disparu depuis), ou du mouvement Cinque Stelle en Italie : ériger des protections douanières et utiliser le taux de change pour ‘protéger’ les entreprises nationales, mettre au pas les banques et la banque centrale pour financer l’économie.

A quelques nuances nationales près, ces propositions économiques sont tirées d’un catalogue international de recettes protectionnistes et nationalistes. Pour prendre l’exemple qui semble le plus inspirer la candidate du Front National, le candidat Trump voulait remettre en cause les traités commerciaux signés par les Etats-Unis, dénoncés comme injustes, relever les tarifs douaniers vis-à-vis des pays ayant un excédent commercial avec les États-Unis, de la Chine à l’Allemagne, forcer les banques à financer les PME et donner des ordres à la Réserve Fédérale, accusée d’être vendue aux démocrates.

Retranscrit dans le cadre national français par le Front National, le catalogue de l’internationale protectionniste produit naturellement une remise en cause radicale des règles de fonctionnement de l’Union Européenne et de leurs trois libertés, mouvement des biens et services, des capitaux et des personnes. Remise en cause si radicale d’ailleurs que le ‘Frexit’ en est la seule expression crédible, l’abandon de l’euro n’étant qu’une conséquence de la remise en cause de l’UE, objet de la proposition de révision de la Constitution proposée par Marine Le Pen, d’ailleurs. Qu’à la veille du vote, la candidate mette sous le boisseau la sortie de l’euro et ne jure plus que par des négociations avec nos partenaires ne doit pas faire illusion : le cœur de son programme économique est bien la sortie de l’UE, condition nécessaire au rétablissement des barrières douanières (propositions 35 et 36), au contrôle de l’immigration y compris des pays de l’Union (propositions 24 et 26), et à la mise sous tutelle de la Banque de France pour financer les projets du gouvernement (proposition 43).

Du côté d’Emmanuel Macron, on ne remet en cause ni le libre-échange, ni les règles du marché unique et de la zone euro, ni la libre circulation des capitaux. On compte faire évoluer le modus operandi de la mondialisation vers une forme plus ‘régulée’, une constante de la position diplomatique française qui rencontre plus de sympathie aujourd’hui qu’avant la crise mais reste de l’ordre de la rhétorique.

L’ambition concernant la gouvernance de la zone euro est plus nette, puisqu’il s’agit de négocier une mutualisation budgétaire, avec un budget de la zone euro voté par un Parlement de la zone euro, idées intéressantes mais contingentes aux positions de nos principaux partenaires.

En première analyse, c’est une sorte de statu quo avec option d’évolution que défend le candidat d’En Marche. En revanche, sur les grands sujets structurels propres à la France, l’échec grandissant de son système éducatif de masse, l’inefficacité et la fracture de son marché du travail entre protégés inquiets et rejetés sans espoir, la difficulté de ses entreprises à gagner de la compétitivité, et pas seulement par les coûts, le poids exorbitant des dépenses publiques, Emmanuel Macron a des propositions concrètes, dont on peut souhaiter qu’elles soient plus ambitieuses (pourquoi donc s’accrocher aux 35 heures ?), mais qui ont le mérite de s’attaquer aux dysfonctionnements structurels identifiés depuis longtemps par les chercheurs et les organismes internationaux.

En annonçant que le premier train de réformes du droit du travail, dont la primauté des accords d’entreprises majoritaires et la flexibilisation du temps de travail, serait mis en œuvre par ordonnances dès l’été 2017, Emmanuel Macron gagne en crédibilité, puisqu’il prend le risque d’un front syndical du refus.

La réforme du système d’indemnisation du chômage, qui comprend à la fois un élargissement de l’assurance chômage et une plus stricte conditionnalité des allocations, remet en cause l’une des vaches sacrées de notre pays, la gestion paritaire de la protection sociale, qui a fini par se réduire à une garantie implicite de renflouement de l’Unedic par le contribuable, est un autre exemple de réforme spécifique à la réalité française et, de ce fait, sujette à l’opposition des gérants du paritarisme.

La réforme en profondeur du système de retraite par répartition, certes envisagée à moyen terme mais ayant l’ambition d’unifier les différents régimes sous le principe de l’égalité des droits ouverts par une même contribution, sujet qui, dans le passé, coalisa les intérêts des bénéficiaires des régimes spéciaux au point de faire échouer toute évolution, est un autre exemple de réforme spécifique à la France et assumant le risque d’opposition.

Difficile de trouver dans le programme de Marine Le Pen des mesures significatives visant à résoudre les problèmes structurels de l’économie française, à l’exception peut-être de la pérennisation du CICE en abaissement de charges, seule mesure commune aux programmes des deux candidats. Les propositions économiques de Marine Le Pen se rangent en deux rubriques : mesures protectionnistes et augmentation de la dépense publique ou fiscale.

Dans la première catégorie, outre les mesures protectionnistes aux frontières qui découleraient du Frexit, on trouve l’exclusivité de l’accès aux commandes publiques attribuée aux entreprises nationales, le contrôle des investissements étrangers et la création d’un fonds souverain à vocation défensive, idées surprenantes pour un pays qui a structurellement besoin d’importer des capitaux pour financer son déficit courant.

Dans la seconde, l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans et de la durée de cotisation à 40 ans, la revalorisation des minimas sociaux, la baisse de l’impôt sur le revenu pour les trois premières tranches, l’augmentation du budget de la Défense à 3% du PIB… Lorsque le programme de Marine Le Pen touche à des sujets structurels, c’est pour revenir sur des réformes péniblement mises en œuvre par les gouvernements précédents, comme sur les retraites, ou la loi travail. Il risque ainsi d’exacerber plutôt que réduire les faiblesses structurelles de notre économie.

Des deux programmes économiques qui s’affronteront le 7 mai, celui d’Emmanuel Macron est finalement le plus national, au sens où il vise explicitement à remédier aux faiblesses structurelles de l’économie française, au risque de susciter l’opposition de tous ceux qui pensent bénéficier de ces ‘exceptions françaises’. Celui de Marine Le Pen relève plutôt de la montée nationaliste mondiale, post-crise financière. En se présentant comme championne de l’opposition à la mondialisation, la candidate du Front National s’interdit pratiquement de s’attaquer à ce qui ne va pas dans notre pays, et se range du côté de l’internationale protectionniste et nationaliste.