Gauche française: les leçons de la crise grecque edit

1 septembre 2015

La crise politique grecque et ses évolutions confrontent les différentes organisations de la gauche française à des réalités dont elles ne semblent pas encore avoir pris pleine conscience. Aux yeux d’une part importante de ses dirigeants et militants, la victoire électorale et l’arrivée au pouvoir de Syriza représentaient l’espoir suprême d’une recomposition des gauches européennes  avec l’objectif d’imposer une réorientation des politiques économiques européennes. Haro sur l’euro, l’Allemagne, les libéraux et l’austérité. Les technocrates de Bruxelles et la finance internationale seraient enfin obligés de céder à la résistance démocratiquement exprimée des peuples soumis à leurs diktats.  D’où l’exigence largement exprimée d’un accord avec la Grèce qui permettrait à celle-ci de rester dans l’euro à ses conditions avec le soutien de son peuple appelé à condamner les propositions européennes. Souveraineté nationale contre dictature bruxelloise.

Or, après avoir appelé par référendum les Grecs à rejeter les propositions des pays membres de la zone euro et avoir obtenu un net succès, Alexis Tsipras, dans la foulée, a accepté quelques jours plus tard ces propositions, légèrement durcies. Devant le processus de scission engagé par l’aile gauche de Syriza, il a démissionné et convié aux urnes ces mêmes citoyens pour leur demander de soutenir le retournement opéré. Si les résultats des élections prévues à la fin de ce mois sont très incertains, en revanche, il paraît très probable que les scissionnistes de gauche seront marginalisés et que le parti de Tsipras arrivera en tête. Belle matière à réflexions politiques pour la gauche française.

La première, capitale, qui découle directement et logiquement du déroulement de la crise politique grecque, est qu’il n’y a pas trois attitudes possibles mais deux seulement  à l’égard de l’euro. Soit se plier aux résolutions communes prises par la majorité des pays membres de la zone euro concernant la gestion de la monnaie unique, soit sortir de cette zone. La troisième attitude, caressée par plusieurs courants de la gauche, consistant à établir un rapport de force suffisant au sein de cette zone pour obliger nos partenaires à réorienter nettement la politique menée, s’est révélée totalement vaine. Les échecs subis en la matière par Lionel Jospin jadis et François Hollande naguère auraient déjà dû convaincre depuis quelque temps la gauche de cette évidente vérité. Tsipras, lorsqu’il a été au bord du gouffre, comme François Mitterrand en 1983 avec le SME, a refusé de prendre pour son pays un risque immense aux conséquences incalculables. Il a eu certainement raison.

Jean-Luc Mélenchon semble enfin avoir pris conscience de cette réalité puisqu’à son plan A primitif, « obtenir une refonte radicale des traités » en construisant « un rapport de forces » avec l’Allemagne à travers une « politique de désobéissance aux traités européens », il vient d’ajouter un plan B plus réaliste bien que plus dangereux : sortir de la zone euro. «  Si, a-t-il déclaré, l’alternative qui venait à se présenter était le maintien de la zone euro dans la soumission au carcan néolibéral ou bien la sortie de l’euro pour appliquer le programme validé par le vote des citoyens, le Parti de gauche opterait sans hésitation pour cette seconde solution. » Mais comment alors interprète-t-il le fait que le peuple grec qui a massivement rejeté les propositions européennes ne semble pas tenir rigueur à Tsipras de les avoir finalement acceptées ? Ne fut-il pas, comme son leader, pris de vertige au dernier moment et finalement satisfait que ce dernier ait interprété son vote davantage comme un réflexe compréhensible de fierté nationale blessée que comme l’expression d’une claire volonté de sortir de l’euro ? Cet exemple devrait l’inciter à plus de finesse dans l’interprétation de ce qu’il appelle « un programme validé par le vote des citoyens » et réfléchir plus attentivement à la signification et à l’usage de la notion de souveraineté nationale pour un pays lié à d’autres par des règles et des institutions communautaires.

Mélenchon n’est pas le seul à gauche à sembler se diriger vers une prise de position anti-euro. En invitant à sa fête annuelle Yanis Varoufakis, qui tenta d’amener le gouvernement dont il faisait partie à sortir la Grèce de l’euro et qui fut, de ce fait,  finalement limogé par son Premier ministre, Arnaud Montebourg  a fait, lui aussi, un pas dans cette direction. Mais il s’agit cette fois d’un socialiste, ancien ministre du présent gouvernement. Plus grave encore, le Premier secrétaire du parti socialiste lui-même, Jean-Christophe Cambadélis, dans une lettre récente à un « ami allemand » où il pourfend la politique allemande, a osé lui rappeler en ces termes qu’en 1945 c’est le peuple français qui aida le peuple allemand à se redresser : « Ton pays aurait-il oublié la solidarité de la France aux lendemains mêmes des crimes atroces commis en ton nom ? » On aimerait connaître l’attitude actuelle du Premier secrétaire à l’égard de l’euro et de la manière de le gérer collectivement. Quant aux « frondeurs » du Parti socialiste, très ouverts à l’idée d’une recomposition de la gauche européenne autour des idées défendues par Syriza et Podemos, il leur faudra, eux aussi, donner leur interprétation de l’évolution politique de la crise grecque… et leur commentaires au lendemain des prochaines élections grecques.

En réalité, le choix historique auquel est confronté la gauche française est simple : donner la priorité au succès de l’euro et à la relance concertée de la construction européenne, et, dans ces conditions, négocier pour trouver des terrains d’entente avec nos partenaires européens, même s’ils sont de droite et pire encore allemands, ou bien tenter de reconstruire une gauche unie autour d’une critique radicale de l’euro qui la conduira à cesser d’être une force de gouvernement. Car, qu’elle ne s’y trompe pas, son électorat n’est pas sur cette ligne-là. Un sondage IFOP du mois d’août montre ainsi que si le candidat du PS à l’élection présidentielle prochaine était Manuel Valls, le représentant pour la gauche du PS du libéralisme honni, il obtiendrait 22% au premier tour tandis que si ce candidat était Arnaud Montebourg, il obtiendrait 8% ! Et dans ce cas, l’ensemble de la gauche rassemblerait à peine plus d’un quart des suffrages. Le choix d’une refonte de l’union de la gauche autour d’une condamnation radicale du libéralisme et de la politique européenne serait bel et bien le choix du renoncement à gouverner et la fin réelle du parti d’Epinay. Or, à écouter certaines voix socialistes, on sent se manifester une certaine fatigue du pouvoir… comme à la SFIO à la fin de la quatrième République, avec les suites que l’on sait.

Ce glissement progressif d’une partie de la gauche du PS vers les positions de la gauche radicale et l’éternel espoir de retisser l’union de ses différentes composantes la poussent nécessairement à envisager des compromis dangereux pour son identité même avec ceux qui dans cette gauche radicale, sous prétexte de défendre la souveraineté des peuples contre la « dictature libérale », veulent en réalité détricoter la construction européenne. Or, un tel projet ne peut être dominant dans l’ensemble de la gauche française. Dans ces conditions, ceux qui portent un tel projet peuvent être tentés, pour sortir de leur situation minoritaire à gauche, de rechercher ailleurs des alliances avec ceux qui partagent l’essentiel de ce projet et de construire avec eux un axe antieuropéen. C’est ce que vient de proposer l’économiste de gauche Jacques Sapir en appelant clairement à la constitution d’un « front de libération nationale ». A condition, toutefois, que le FN évolue un peu, précise-t-il ! On le voit, il est temps pour le PS de réaffirmer ses convictions et de faire la clarté sur ses objectifs, bref de définir sa propre voie. Refuser de le faire au nom du devoir suprême de préserver l’unité du parti et au-delà celle de la gauche serait à l’évidence un choix mortifère, et pas seulement pour lui !