Les conséquences d’une victoire edit

17 octobre 2011

Plusieurs raisons peuvent être données à la nette victoire de François Hollande à la primaire socialiste, sans qu’il soit possible pour l’instant de les hiérarchiser : la posture de rassembleur du candidat désigné, son arrivée largement en tête au premier tour et les désistements en sa faveur justifiés par cet avantage, ou encore les dérapages de Martine Aubry dans son effort pour disqualifier la candidature de son concurrent. Toutes ces raisons ont dans doute leur part dans l’explication générale du phénomène. Mais il faut insister sur une autre raison : le positionnement politique de Martine Aubry et la manière dont elle a polarisé la campagne du second tour.

En accusant son concurrent de représenter une gauche « molle » tandis qu’elle se présentait comme la candidate de la gauche dure, la gauche de conviction, elle a commis une grave erreur de jugement mais permis, du coup, d’évaluer le poids respectifs de ces deux gauches chez les sympathisants socialistes. Certes, cette évaluation doit tenir compte du fait que Martine Aubry, qui, de formation et sur le fond, appartient en réalité, comme François Hollande, à la gauche réformiste, avait endossé un habit de gauche radicale qui ne lui convenait pas. C’est sans doute la raison pour laquelle, semble-t-il, une part importante des électeurs d’Arnaud Montebourg a préféré s’abstenir au second tour plutôt que de voter pour elle. Mais quelle que soit la distance politique et idéologique réelle qui sépare les deux finalistes, l’important est que Martine Aubry a voulu jouer cette primaire comme un congrès socialiste où il est bien connu que le pouvoir se prend à gauche.

Elle a donc attaqué la gauche « hollandaise », qui s’est positionnée comme modérée ou réformiste et qu’elle a qualifiée de « molle ». On est donc en droit, prenant en compte ces deux positionnements opposés, de voir dans la victoire de François Hollande la victoire de cette gauche modérée sur la gauche radicalisée sinon radicale que Martine Aubry a voulu incarner l’espace de cette primaire.

Pour la première fois, un vote en grandeur réelle sur une large population de sympathisants socialistes montre que, si l’on entend distinguer politiquement les deux candidatures à partir du critère gauche/droite, ce n’est pas la radicalité, même en période de crise, qui caractérise les sympathisants socialistes dans leur ensemble. Ainsi, dans l’avenir, les primaires au sein du parti socialiste ne pourront plus être essentiellement structurées autour du clivage interne entre gauche modérée et gauche radicale. Il faudra trouver d’autres clivages et d’autres marqueurs pour distinguer les candidats et leurs propositions.

La victoire du candidat de la gauche modérée sur une première secrétaire – certes en congé de ses fonctions mais toujours première secrétaire pour les électeurs – qui incarnait l’appareil de direction du Parti socialiste montre une fois de plus que, d’une manière qui peut sembler paradoxale, l’occupation du poste de leader du parti est un grave handicap pour être candidat à une primaire, qu’elle soit d’ailleurs ouverte ou fermée. Henri Emmanuelli en fit l’expérience amère en 1995, de même que François Hollande en 2007 – qui ne tenta même pas sa chance – et, aujourd’hui, Martine Aubry.

Ce handicap est d’une double nature. D’une part, les Français n’aiment pas les partis politiques et leurs appareils et, d’autre part, le leader est obligé de défendre la ligne du parti qui, en général qui est en décalage, du fait de l’idéologie qui la colore, avec les préoccupations plus concrètes des sympathisants de ce parti. Dans l’avenir, il y a fort à parier que les premiers secrétaires en fonction renonceront à être candidats, ce qui serait de toutes manières une bonne chose, car l’appareil tend alors à défendre, à travers la candidature du premier secrétaire, ses positions de pouvoir internes. Pour aujourd’hui, il est légitime de penser que Martine Aubry, qui, en étant candidate à la primaire, a renoncé par définition à incarner la neutralité de l’appareil, devrait démissionner de son poste de Première secrétaire.

En effet, de deux choses l’une : ou bien, éventualité la moins probable, elle tente, à la faveur de cette position, d’établir un rapport de force politique avec le candidat, au moyen, en particulier, de rappels à l’ordre concernant la lettre du programme socialiste, élaboré par l’appareil et défendu par elle-même. Dans ce cas, la primaire est une farce. Ou bien elle se met loyalement au service de ce candidat, éventualité la plus probable. Mais alors, la droite aura beau jeu de mettre en doute la sincérité d’un tel ralliement après les graves accusations qu’elle a proférées contre François Hollande à la fin de la campagne, mettant en cause à la fois sa faiblesse de caractère, son inexpérience gouvernementale et son positionnement à la fois flou et droitier. Ayant largement perdu la primaire, sa démission permettrait de remettre les compteurs à zéro et d’éviter par ce retrait les faux semblants de cette réconciliation.

Certes, François Hollande ne demandera pas le départ de Martine Aubry du premier secrétariat, au moment où il entend rassembler tout le parti. Et la question de son remplacement poserait des problèmes délicats au parti socialiste. Mais cela ne devrait pas empêcher la première secrétaire de tirer elle-même toutes les conséquences du positionnement qui fut le sien entre les deux tours et qui donnera dans la campagne présidentielle des munitions précieuses à la droite. Elle reconnaîtrait ainsi qu’elle a eu tort de porter de telles accusations contre François Hollande et qu’elle est prête à en payer le prix. En outre, comme ce fut le cas avec Henri Emmanuelli en 1995, elle serait sans doute appelée à quitter son poste si François Hollande était élu président de la République car le chef du pouvoir exécutif doit pouvoir compter sur l’appui total du Premier secrétaire.

Gageons cependant que Martine Aubry voudra conserver son poste de première secrétaire. Dans ces conditions, la formation de l’équipe de campagne et la désignation de son directeur deviennent des enjeux de première importance dès aujourd’hui.