Solaire : l’Europe dans le panneau edit

9 juillet 2013

La Commission européenne a décidé d’appliquer à terme des droits de douane punitifs de 47,6%, et de 11,8% immédiatement sur les importations de panneaux solaires chinois, dans le cadre d’une procédure antidumping. L’initiative a été publiquement dénoncée par Mme Merkel alors que la Commission a agi dans le cadre de ses compétences, à la demande d’une firme allemande, et alors que l’industrie solaire allemande a été la principale victime du dumping chinois. L’annonce de Karel de Gucht a été saluée par les autorités françaises, qui n’ont pas d’actif significatif à défendre (hors Photowat). Cette décision a déclenché immédiatement des mesures de rétorsion chinoises contre les exportations européennes de vins. Cet épisode peut surprendre à bien des égards.

La Commission ne nous a guère habitués à manier le gros bâton en matière commerciale et spécialement contre la Chine. L’Allemagne, dont on comprend les motivations commerciales, prend le risque d’affaiblir l’Europe et la Commission européenne dans un domaine où la compétence est clairement supranationale. L’objet du conflit – l’industrie solaire – paraît de plus singulièrement mal choisi.

Il est en effet absurde que la Commission se réveille quand l’industrie solaire européenne est morte victime des lenteurs de cette même Commission, du tarissement des subventions nationales et d’une stratégie hégémonique chinoise. Il est absurde que la Commission cherche querelle à la Chine au moment où les rares projets solaires européens ne peuvent se réaliser que grâce aux bas prix chinois. Si la Chine subventionne l’équipement européen en solaire, pourquoi faudrait-il s’en plaindre ?

Il est absurde d’utiliser une arme, les droits de douane, quand la messe est dite, alors que des mesures de préférence européenne basée sur des critères écologiques (le contenu en carbone des panneaux fabriqués) auraient permis à l’industrie européenne de survivre et de croître si elles avaient été prises plus tôt.

Àces arguments on peut objecter que la Commission est dans son rôle en ouvrant une procédure anti-dumping, nécessairement longue, à la demande d'une entreprise allemande manifestement victime de prix cassés par des entreprises chinoises bénéficiant d’avantages indus.

De plus ce n’est pas le premier contentieux, loin s’en faut, entre l’UE et la Chine dont le commerce bilatéral est de 546 milliards de dollars.

Enfin ce n’est pas la première fois que des pressions s’exercent sur un Commissaire européen dans un contentieux commercial ouvert de la part d’un pays membre.

Cette situation soulève pourtant un double problème.

Comment comprendre le comportement des autorités allemandes qui apparemment abandonnent à leur sort des entreprises locales victimes du dumping chinois, qui critiquent la démarche légale de la Commission au risque d’un affaiblissement de l’Europe, et montent une coalition de 18 Etats pour faire reculer la Commission ? L’incompréhension est d'autant plus forte que la Chine est excédentaire vis-à-vis de l'Europe de 122 milliards de dollars et qu’elle a moins à perdre a un bras de fer avec l'UE.

Àl’inverse, comment comprendre que l’UE engage le bras de fer sur un terrain aussi peu utile aux intérêts européens alors même que sur les terrains des équipements de télécommunications, des tubes sans soudure ou plus généralement de la propriété intellectuelle les enjeux sont autrement plus importants ?

En prenant le risque d’affaiblir l'Europe dans le bras de fer qui s'engage, l’Allemagne envoie un message simple : elle n’entend abandonner à personne la maîtrise de sa relation commerciale à la Chine. L’Allemagne a tourné la page de sa politique solaire, elle accepte la disparition de la conception et de la production sur son sol de panneaux solaires, ses syndicats ne bronchent pas à l’annonce de l’abandon de l’activité par Siemens, Bosch ou QCells. De plus les entrepreneurs allemands ont fait le choix de monter dans la chaîne de valeur en se positionnant sur la vente d’équipements de production et en abandonnant la production de panneaux. Enfin après avoir beaucoup subventionné la pose de panneaux dans un pays peu ensoleillé, le gouvernement allemand, comme tous les autres gouvernements européens, revoit à la baisse ses subventions au déploiement des technologies photovoltaïques.

Le choix du solaire européen par la Commission relève d’une toute autre logique. Pour la Commission, la procédure l’emporte clairement sur la stratégie. Saisie d’une demande, elle l’instruit et elle décide dans les limites de ses prérogatives. Dans les domaines sensibles du contentieux commercial, la Commission est victime de l’impuissance politique de l’UE et de la tétanie des industriels Européens. L’UE n’a pas, comme les Etats-Unis, interdit l’importation de Chine des cœurs de réseaux de télécommunications au nom de la sécurité nationale. De plus l’importance du marché chinois est telle que les industriels européens victimes des mauvaises pratiques chinoises n’osent pas faire valoir leurs droits de peur des mesures de rétorsion.

En fait l’affaire du solaire européen livre un triple enseignement.

L’Allemagne, nation mercantiliste qui fait à présent les 3/4 de son excédent commercial hors de l’UE, n’entend abandonner à personne, et pas même aux institutions supranationales de l’Europe, la conduite de sa politique commerciale avec la Chine. La Commission dès lors a le choix entre se faire désavouer sur la place publique ou s’enquérir à l’avance des desiderata allemands.

La DG Commerce de l’UE, en engageant un combat mal préparé sur un terrain mal choisi, va perdre son bras de fer avec la Chine et affaiblir son autorité au moment s’ouvrent où les grandes manœuvres de l’Accord commercial transatlantique. L’incapacité de l’Europe à se servir du levier commercial pour parvenir à des relations mieux équilibrées avec la Chine aura comme conséquence de jeter l’Europe dans les bras des Américains pour une tardive tentative de « containment » chinois.

La politique de promotion des énergies renouvelables est la victime collatérale de cette stratégie commerciale mal pensée. Une stratégie qui, de fait, conduit des Etats désargentés à augmenter leurs concours au déploiement du solaire, pour maintenir le niveau actuel d’équipement.

Gageons donc que sur ce dossier la Commission opérera rapidement un retrait tactique et que la Chine aura la grandeur d’âme de ne pas sanctionner les vins français et les grosses cylindrées allemandes.